Chapitre 2 - Oscar
12.01.21
Appartement 32, étage 3, HLM B, Quartier de Barking & Dagenham, LONDON – 07:30 am.
— Oscar !
— Oui ! rugis-je, la bouche pleine de céréales.
Je me dépêche d’avaler ma bouchée, termine le lait et me précipite vers la porte. Je saisis au passage mon sac et ferme la porte à clé.
— Maman va criser si c'est comme ça tous les jours.
— C'est bon, commence pas à me faire chier, Sarah.
Ma sœur secoue la tête et commence à dévaler les escaliers. Je la suis tout en replaçant la veste d'uniforme aux couleurs de mon nouveau lycée. On est vraiment obligés de porter ces vêtements ? On a l'air de têtes à claques en smoking.
Nous rejoignons ma mère au sous-sol de l'immeuble et grimpons dans la voiture. Je souffle devant le regard noir qu'elle me jette.
— Ça va, panne de réveil.
— Comme toujours avec toi. Je sais pas si tu te rends compte de la chance que t'as. Ce n'est pas donné à tout le monde d'aller dans ce lycée, et tu ferais mieux de faire des efforts pour...
Je prends mes écouteurs et les enfonce dans mes oreilles. Je connais déjà ce couplet par cœur. Ça fait deux semaines qu'on le subit tous les soirs. Mais j'ai rien demandé, moi. J'en ai rien à foutre de ce lycée. Et encore moins des études en général. Il a juste fallu que je me voie octroyer une bourse non voulue, grâce à ma sœur. Elle pouvait pas y aller toute seule ?
Je regarde par la fenêtre tandis que le paysage de Londres défile interminablement devant moi. Et en plus, il faut que je me lève une demi-heure plus tôt, parce que ce foutu lycée est en plein cœur de la ville !
Je jette un regard à ma sœur jumelle assise sur la banquette arrière. Elle est plongée dans un bouquin d'école, ses cheveux châtains coupés au carré masquant partiellement son visage. De nous deux, c'est elle qui est la plus excitée par ce lycée, et de loin. C'était un de ses rêves, pouvoir étudier dans un lycée aussi... prestigieux. J'aurais plutôt dit pompeux, de riches, snob, clinquant... Cohez la chose que vous voulez !
Cette foutue bourse m'a privé de Max et Yanis. Comment je vais faire sans eux ? Je vais devoir supporter tous ces gosses de riches qui ne manqueront pas de nous prendre de haut, Sarah et moi.
La voiture s'arrête et me reconnecte à la réalité. On est arrivés. Sarah descend et je m'apprête à la rejoindre quand ma mère m'agrippe le bras.
— Ne fais pas d'histoires, s'il te plaît. Tu sais combien étudier dans ce lycée est important pour ta sœur.
Bien sûr que je le sais ! Ma mère place tous ses espoirs en elle. Elle sait très bien qu'avec moi, c'est raté d'avance.
— Ouais, ouais.
— Je suis très fière de toi aussi, Oscar.
Ma mère me sourit. Je grogne et me dégage doucement de son emprise avant d'ouvrir la portière.
— Je vous aime ! lance-t-elle par la fenêtre.
— Moi aussi, lui répond Sarah.
Moi, je me tais.
Je jette un regard au bâtiment devant nous. Grand, impressionnant et surtout, moderne. Rien à voir avec notre petit bahut de banlieue, je dois bien l'avouer. Ici, même l'herbe parfaitement tondue des immenses pelouses du campus pue l'argent à plein nez. Ça m'étonerrait même pas qu'ils coupent l'herbe aux ciseaux ! J'aperçois alors sur ma gauche, à demi camouflé par le bâtiment central, un petit point d'eau. Eh bien, on croirait presque se retrouver dans une oasis en plein cœur du désert.
Nous remontons l'allée goudronnée, et bien sûr, nous ne manquons pas d'attirer tous les regards sur nous. À croire que ces gens-là n'ont jamais vu de pauvres. Quoique, c'est fort possible. Je bouge mes épaules avant de passer le bras dans mon dos. Cet uniforme n'est pas du tout confortable, il me gratte tellement.
— Arrête de stresser, me souffle Sarah en remontant la bretelle de son sac à dos rempli de cahiers.
— Je stresse pas.
Elle me jette un regard. Bon, peut-être un peu, j'avoue. Mais en même temps, ce n'est pas la première fois qu'on peut rencontrer autant de gens dont les parents sont si importants. C'est normal d'avoir peur, nan ?
Nous dépassons un groupe de trois élèves, deux gars et une fille. Sentant leurs regards sur moi, je me retourne. Je prends le temps de les dévisager avant de continuer mon chemin. L'argent rend vraiment plus beau.
Nous passons enfin les portes du bâtiment. Elles ne sont même pas automatiques, un comble ! Une fois à l’intérieur, je me sens encore plus inconfortable. On ne peut plus éviter les regards posés sur nous. Et il y en a un paquet. Eh ouais, c'est bien nous, les boursiers qui venons étudier dans votre lycée. Vous pouvez nous mater autant que vous le voulez, c'est pas un problème. Toute façon, ce n'est pas comme si je n'avais pas l'habitude.
Tandis que moi, je me redresse, la tête haute pour traverser le couloir, ma sœur baisse la sienne. Je sais qu'elle va avoir beaucoup de mal à s'adapter. Déjà, dans notre ancien lycée, c'était pas terrible : on la charriait parce qu'elle aimait l'école, apprendre de nouvelles choses. Ici, elle pense que ça sera mieux, entouré de gens bosseurs comme elle. Moi, je sais que ce sont juste de vrais glands, qui arrivent à avoir leur diplôme grâce à l'argent de papa. Quel est le pire, devoir affronter des gens méchants et agressifs, ou bien des gars vicieux qui se cachent derrière leur statut pour te mener la vie dure ?
Je devais être assez fort pour nous deux, encore plus qu'avant. Je pouvais encaisser les pires crasses, Sarah non.
— C'est quelle salle ? demandé-je à ma sœur.
Elle me tend l'emploi du temps. C'était juste au bout du couloir. Tant mieux, parce que je ne me sentais pas de devoir traverser de long en large le lycée avec tous ces chuchotements sur mon passage. Ils savent qu'on les entend, au moins ?
— Ça va ?
— Oui, oui.
Sarah m'adresse un timide sourire. Je m'approche un peu plus d'elle, pour que nos épaules se touchent.
Soudain, je tourne la tête, sentant un regard sur moi. Quatre personnes nous fixent, assises sur des canapés dans un renfoncement du large couloir. Nous allons devoir passer devant eux.
La fille aux cheveux bruns a tous les attributs d'une pimbêche : faux ongles aussi longs que mon propre doigt, maquillée comme un camion volé et très maniérée. Son regard est plus qu'hostile.
Celle à côté ne montre aucune émotion, son visage de poupée est aussi lisse qu'une pierre. Un des gars nous jette un rapide coup d'œil avant de se désintéresser. Alors que nous les dépassons, le quatrième me regarde fixement. Il est vraiment beau. Grand, fin, châtain presque blond. Mon type, très clairement.
Nos yeux se rencontrent et s'accrochent. Sa droiture, son uniforme, son visage puent l'argent. Mais n'ai-je pas dit que l'argent rend beau ? Il me sourit. Je sens que dans ce sourire se cache autre chose.
Je me détourne, embarrassé. Je me mets alors à prier tous les dieux que je suis capable de citer pour qu'il ne soit pas dans ma classe.
XXX
Bien sûr, je ne suis pas entendu... C'est un dernière année, comme moi. Lorsque je les vois entrer tous les quatre dans la salle, je sens les problèmes arriver. Je choisis l'option la plus utile en cet instant : je baisse la tête et fais semblant d'être absorbé par mon joli petit bureau. Oh qu'elle est belle la petite tache d'encre !
Raté. Il faut dire qu'être assis au premier rang – chose qui ne m'est pas arrivé pendant toute ma scolarité, mais que ne ferions-nous pas pour notre sœur ? – n'aide pas à passer inaperçu. Les gars tirent des chaises à eux tandis que les deux filles grimpent sur la table en face de la nôtre. Normal, avec leur taille de guêpe, tu m'étonnes qu'elles puissent s'asseoir toutes les deux sur la même table. Quoique, la blonde a une belle paire de miches. Je soupire intérieurement. On va pas pouvoir se débarrasser d'eux facilement. Je relève la tête. Encore une fois, je croise ses yeux noisette qui me fixent. Sourire. Dents blanches.
— Vous devez être les boursiers.
Bien joué, gosse de riches. C'est pas difficile à deviner.
— Ouais.
— C'est quoi vos jolis noms ? demande alors la pimbêche d'une voix mielleuse.
D'après mon expérience, lorsqu'on est polis avec vous, c'est soit parce qu'on veut vous entuber, soit parce qu'on cherche à tirer profit de vous. Dans tous les cas, vous vous faites baiser.
— Sarah, répond ma sœur.
Elle baisse immédiatement la tête en croisant le regard de la belle demoiselle. Ironie, bien sûr. Son sourire s'élargit tandis que ses yeux bleus dévisagent ma sœur. Je la sens vraiment pas, elle.
— Oscar, lancé-je pour attirer de nouveau leur attention. Et vous ?
— Liam.
Ses yeux noisette sont tellement captivants que je manque presque ne pas entendre les prénoms des trois autres. Je n'ose pas croire qu'il ait déjà deviné qu'il m'attire. Enfin, dans le sens où tirer mon coup dans le cul tellement précieux d'un gosse de riche doit être si jouissif.
— Vous venez d'où ?
La pimbêche répondant au doux nom de Luna ne cesse d'arborer son sourire d'ange. Elle commence à m'énerver, elle.
— Un quartier de Londres que tu dois certainement pas connaître.
Au moins, ma réponse agressive lui fait fermer sa bouche. La blonde prend enfin la parole: :
— Tous les gens de votre genre sont aussi malpolis ?
— Non, rassure-toi t'es seulement tombée sur les mauvais.
— Oscar... chuchote ma sœur en me lançant un regard noir.
L'arrivée du professeur met un terme à l'échange et me sauve en même temps la vie. Le groupe se disperse dans le fond de la classe.
— On était d'accord qu'on devait pas se faire remarquer, me reproche Sarah.
— J'y peux rien ! Et de toute façon à partir du moment où ils nous ont aperçus dans le couloir, c'était trop tard.
— En espérant qu'ils nous fichent la paix.
Je ne réponds pas. Ça m'étonnerait beaucoup qu'ils en restent là. Ce type de personnes ne peut s'empêcher d'asseoir leur réputation. Il n'y a qu'à voir les autres de la classe : ils ne semblent pas les porter dans leur cœur non plus.
Je jette un coup d'œil derrière moi pour savoir où les quatre compères se sont assis. Au fond de la classe, évidemment. Soudain, le beau gosse – Liam, il me semble – lève la tête. Il me regarde tout en mordillant son crayon de papier. Il me sourit, de ce sourire qui insinue beaucoup de choses. Je me retourne immédiatement. Il faut à tout prix que je cesse de jouer avec le danger. Je ne dois pas entrer dans son manège ou je finirai par être mangé tout cru.
Bien entendu, le professeur – un homme mûr, cheveux mi-longs châtains – nous souhaite la bienvenue et nous demande de venir le rejoindre pour qu'on puisse nous présenter. Sarah et moi échangeons un regard avant de quitter notre place. Qui a instauré ce rituel ? Nous n'avons rien à leur dire, et c'est plus humiliant qu'autre chose.
Arrivé au tableau, je sens vingt paires d'yeux sur moi mais j'évite particulièrement quatre d'entre elles. J'ai l'impression que celles-ci pèsent plus lourdement sur moi, comme si elles me brûlaient. Je me racle la gorge pour me donner du courage.
— Bonjour, je m'appelle Oscar Wight, j'ai 18 ans depuis deux mois. Avec ma sœur, on vient d'un petit lycée près de là où on habite et puis... voilà.
Le reste ne les regarde pas. Ma sœur enchaîne rapidement. Alors que c'est au tour de Sarah d'accaparer tous les regards – pauvre d'elle, elle déteste être le centre de l'attention –, je vois à la frontière de mon champ de vision Liam qui ne cesse de me scruter. Il commence à me gonfler lui.
Nous retournons à notre place et le cours peut commencer. Enfin.
XXX
J'attends Sarah dans le couloir pendant qu'elle range ses affaires. Au moins, une chose n'a pas changé : je suis toujours le premier à sortir de classe.
Lorsque je vois le gars brun – Tobias je crois, j'ai une très mauvaise mémoire des noms – je baisse la tête, obnubilé par le fond d'écran de mon téléphone. Par chance, il ne veut pas me parler. Ou bien il a déjà oublié mon existence, ce qui m'arrangerait beaucoup. Luna sort à son tour, suivie de Chloe. Liam pointe alors le bout de son nez. Celui-là m'a très bien vu.
— À plus tard, guapo.
Je ne retiens pas le surnom espagnol. Je sais bien que je suis assez mat de peau mais tout de même, j'ai une tête à venir d'Amérique du sud ?
Il me lance un regard qui a dû en faire chavirer plus d'unes, ou d'uns, je ne sais pas même pas s'il est gay. Mais bon, il y a certaines choses qui ne trompent pas, et à défaut de retenir les noms, j'ai un radar très développé. Et puis, quel homme en appelle un autre comme ça ?
Je hausse le sourcil pour lui faire comprendre que je ne compte pas le revoir de si tôt. Il me sourit avant de rejoindre ses amis. Je sais pas ce que je lui ai fait, mais je sens que je suis pas près de me débarrasser de lui.
— Salut...
Il veut quoi lui encore ? Je dévisage celui qui vient de m'adresser la parole. Brun, cheveux bouclés, yeux marron. Banal, bien que son air timide lui donne un certain charme. Il baisse légèrement le regard.
— Je m'appelle Arthur. Je... je voulais te souhaiter la bienvenue à toi et à ta sœur.
Avant que je ne puisse répondre, Sarah se décide enfin à sortir de la classe. Elle s'arrête et me jette un coup d'œil interrogateur. Lorsque Arthur voit ma sœur, ses joues s'empourprent légèrement, et je le vois se redresser un peu, comme s'il bombait le torse.
— Arthur nous souhaite la bienvenue, déclaré-je à l'attention de ma sœur.
Un sourire se dessine sur les lèvres de Sarah.
— Merci, c'est gentil. Tu as quel âge ?
— Dix-sept ans.
— On a dix-huit ans, mon frère et moi.
— Vous vous ressemblez vachement, remarqua alors Arthur.
— On est jumeaux, répondis-je. Même si je suis né avant elle.
— De trois minutes ! rétorqua Sarah en levant les yeux au ciel.
Cela m'arrache un sourire. J'adore la taquiner sur ce point. Arthur commence à se détendre, et sourit même. Sans nous concerter, nous nous mettons à marcher tous les trois, ma sœur au milieu. Je ne peux pas m'empêcher de me mordille la lèvre. On ne peut se fier à personne, ici.
— J'ai entendu votre conversation avant que le cours commence, avoue-t-il. Vous avez fait la rencontre de Liam et de sa bande...
— C'est une mauvaise chose ?
Arthur hausse les épaules.
— Je ne sais pas trop. À vrai dire, je ne suis pas ami avec eux. Enfin, peu de monde l'est. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais ils sont assez... imbus de leur personne.
Un petit rire sarcastique s'échappe de mes lèvres.
— Parce que tu te crois meilleur qu'eux ?
Arthur rougit et baisse les yeux. Sarah me donne un coup de coude dans les côtes. Quoi ? Il faut pas oublier qu'il est plus proche d'eux que de nous.
— Disons, qu'ils sont spéciaux. Enfin, j'imagine qu'on l'est tous un peu à vos yeux.
Il s'arrête et plonge alors ses yeux marron dans les miens. C'est la première fois depuis que nous discutons. C'est à mon tour de bouger mes épaules.
— Pas faux.
Soudain, il regarde sa montre qui doit certainement coûter plus cher que trois mois de loyer pour notre appartement.
— Je dois y aller, je suis désolé. On se retrouve à la pause ?
— Bien sûr, lui répond Sara. À tout à l'heure !
Arthur se contente de sourire, avant de bégayer un timide « à plus » à ma sœur avant de s'éloigner d'un pas pressé, son sac sur le dos. Je rêve où le gars vient complètement de m'ignorer ?
— Il est sympa, hein ?
— Ouais. 'Fin, je pense que tu y es pour quelque chose.
Ma sœur me regarde en fronçant les sourcils.
— Laisse tomber, soufflé-je.
Je ne sais pas qui est la plus grande menace : le mystérieux et carnassier Liam et toute sa clique, ou le gentil petit Arthur ?
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