Chapitre 10 (2/2) - Oscar
22.01.21
24 Paradise Street, Quartier de Southwark, LONDON – 02:54 pm.
Je descends du bus et m'arrête quelques secondes pour jeter un coup d'œil au GPS de mon téléphone. Il m'indique qu'il me reste cinq minutes à pied.
Un groupe de trois filles me dépasse et je les entends glousser, malgré mes écouteurs dans les oreilles. L'une d'entre elles se retourne et je vois ses yeux m'analyser de haut en bas avant qu'elle ne se penche à l'oreille de son amie. Elles se remettent à rire.
Connasses.
Je commence à marcher jusqu'à ma destination tout en regardant le paysage. Enfin, les énormes villas qui se dressent de part et d'autre de la route. Certaines sont masquées par d'énormes murs en pierre taillée, d'autres laissent leur jardin se dévoiler. Le silence domine les lieux, seulement interrompu par le bruit du moteur du bus qui s'éloigne tranquillement. À cet instant, je me sens tout petit, comme écrasé par l'atmosphère qui y règne, et étrangement, en sécurité. Rien à voir avec les quartiers chauds de l'est de la ville que j'ai déjà traversé en voiture ou même à pied. Ici, on n'entend pas de chiens aboyer – ils doivent tous avoir des petits caniches qui font des concours de beauté – ni de gosses crier et courir partout dans la rue. Aucuns jeunes qui fument un joint en bas de leur bâtiment. Quoique, je n'en ai jamais vraiment vu non plus au pied de notre immeuble.
Mon GPS m'indique que je suis arrivé. Je relève la tête et regarde la boite aux lettres qui affiche fièrement le numéro vingt-quatre. Puis, mes yeux remontent jusqu'à la bâtisse. Un sifflement s'échappe de mes lèvres. Ils se mettent bien, les Clark !
Je remonte l'allée – le portail est ouvert, je suppose que c'est fait exprès – et manque de m'étouffer.
— J'y crois pas...
Devant moi, en plein milieu du chemin, se trouve une magnifique mercedes-AMG GT décapotable noir mat. Je reste ahuri, clignant plusieurs fois des yeux. J'en fais précautionneusement le tour, me penche juste assez pour jeter un coup d'œil au cuir rouge des sièges et au tableau de bord ultra moderne. L'envie de toucher ce bolide me brûle des doigts. Quand je raconterai aux gars que j'ai pu voir de mes propres yeux une telle bagnole, ils crèveront de jalousie.
Je finis par me détacher à contre-cœur de ce mirage et continue mon chemin jusqu'à l'entrée de la maison. Le soleil qui brille haut dans le ciel malgré le froid mordant de janvier finit par être caché par la tour en pierre couleur jaune crème de la maison. Je gravis les quelques marches du perron surmonté de deux petites colonnes et sonne à la porte.
La tête de Liam apparaît dans l'embrasure.
— Oscar ! Entre, je viens tout juste de terminer de tout préparer.
Je le suis dans le couloir, préoccupé que mes chaussures laissent des traces sur le sol brillant. Celles de Liam sont resplendissantes de propreté. Nous arrivons dans la pièce à vivre. Il m'entraîne vers une table en verre qui trône fièrement au centre, devant des baies vitrées qui offre une vue imprenable sur le jardin. Le salon est décoré avec simplicité, quelques cadres de famille sont posés sur un buffet. Rien à voir avec la maison de Luna qui semble austère comparée à celle de Liam : ses parents ont réussi à garder le cachet de la pierre. Elle me fait pensait aux grandes baraques de campagnes qu'on peut voir dans les films.
— Assieds-toi, je t'en prie.
Je m'exécute sous son regard brûlant. Je commence à avoir chaud et j'enlève ma veste tout en jetant des coups d'œils discrets autour de moi. La maison n'a rien à voir avec celle de Luna : bien qu'elle soit tout aussi moderne je suppose, elle a gardé un certain cachet ancien, notamment grâce aux murs en pierre. Néanmoins, comme celle de Luna, elle pue la richesse à plein nez. Il n'y a qu'à voir le petit bijou de technologie et de beauté devant l'entrée...
— C'est étrange de te voir chez moi, lance soudain Liam
Je reporte mon attention sur lui, mi-coupable d'avoir été pris en flagrant délit de curiosité. Il ne manquerait plus qu'il comprenne que je sois admiratif...
— Pourquoi ?
— Aucun garçon n'a mis les pieds ici, auparavant.
Je le regarde, étonné.
— Je ne comprends pas.
— À part Tobias, bien sûr ! enchaîne-t-il. Et d'anciens amis d'enfance, mais c'est tout.
Je hoche la tête, préférant abandonner. Je commence à saisir son petit côté « ambigu ».
— Tu sais quand ton frère arrivera ? lui demandé-je plutôt.
— Il est déjà là. Il est dans le bureau de mon père, il doit régler quelques soucis avec sa boîte à Washington mais il sera bientôt tout à nous.
Ses lèvres qui remontent au coin de sa bouche semblent insinuer autre chose, mais je ne saurais dire quoi. Est-ce qu'il m'aurait menti et qu'il ne projette pas du tout de parler du travail de son frère?
— Tu veux boire quelque chose ? Café, thé, chocolat ou peut-être même bière ?
Il me dévisage quelques instants et m'empêche de répondre :
— Oui, un homme comme toi, ça boit forcément une bière !
— Euh, si tu veux...
Il s'éloigne avant que je ne puisse finir ma phrase. Il revient quelques minutes plus tard – le temps pour moi de jeter un énième regard admiratif autour de moi, décidément elle est vachement belle cette baraque – avec deux bières en main.
— Toi aussi t'es un homme comme moi, fais-je remarquer en prenant la boisson.
— Pas tout à fait, honnêtement. Tu es plus... sanguin.
J'ai l'habitude de voir Liam agir bizarrement. Mais je n'ai jamais été aussi perplexe quant à comprendre où il veut en venir. Je décide alors de le confronter pour de bon :
— Tu veux me dire quelque chose ?
— Pas du tout, répond-il rapidement. Je ne fais que te mettre à l'aise, je n'ai pas envie de travailler dans une ambiance pesante.
C'est vrai que faire des sous-entendus est le meilleur moyen de mettre quelqu'un à l'aise.
— Je vais voir ce que fait Erik, je reviens dans un instant. Fais comme chez toi, n'hésite pas à prendre tes marques.
Il me lance un clin d'œil et tourne les talons. Je secoue la tête. Je ne vais plus chercher à comprendre son comportement, ça ne sert à rien. C'est une vraie girouette. Ça m'étonnerait même pas qu'il ait pris de la coke juste avant, ça expliquerait pourquoi il est aussi bizarre.
Je sors de quoi prendre des notes de mon sac pour patienter. Je regarde mon téléphone et vois que j'ai reçu un énième message de Mathieu. Cette fois-ci, il me propose carrément un rendez-vous dans quelques jours. Je décide ne pas lui répondre tout de suite. Je ne sais toujours pas si je veux vraiment le revoir, de toute façon. Et je ne veux pas engager ce type de conversation maintenant.
Des pas résonnant dans les escaliers finissent par rompre le silence. Liam apparaît dans la pièce, accompagné d'un autre homme. Si Liam ne m'avait pas dit que j'allais rencontrer son frère, je n'aurais jamais cru que les deux soient de la même famille. Ils ne se ressemblent pas vraiment, tant par l'apparence physique que par le style vestimentaire. Son frère est plus conforme à son statut social que Liam.
— Enchanté, me lance-t-il en me tendant la main. Erik.
Je me lève et la lui serre.
— Oscar.
Ses sourcils se froncent un instant.
— Tu ne serais pas le nouvel élève de Wymountain school ?
— Si, c'est bien moi.
Ainsi, Liam lui a parlé de ma sœur et moi. Pour quelles raisons ? Il ne semblait pas être au courant que ce soit moi en particulier qui vienne aujourd'hui.
— Liam a évoqué votre arrivée quand je suis revenu des Etats-Unis. J'imagine que le changement a dû être dur ?
— Assez, avoué-je. Les cours ne sont pas du tout pareils ni l'environnement.
— J'imagine bien.
—Mais mon ancien lycée me manque un peu, me sens-je obligé d'ajouter, plus par fierté qu'autre chose.
Il me sourit mais ne répond pas. Nous nous asseyons.
— Allez-y, dites-moi en quoi consiste exactement votre travail, lance Erik en joignant ses mains sur la table.
— On doit te poser des questions sur ton travail, faire une fiche de renseignements dessus, en quelques sortes.
— J'ai préparé des questions de mon côté, enchainé-je. Je ne sais pas si toi tu l'as fait...
Liam me regarde avec une mimique gênée.
— Pas vraiment. Je pensais qu'on pourrait les poser au fur et à mesure qu'elles nous viennent.
Je me contente de hocher la tête. Évidemment qu'il n'avait rien foutu. Il comptait sur moi pour faire tout le boulot et heureusement que je l'ai prévu sinon on se serait retrouvé comme des cons.
— Tu aurais pu en faire, lui reproche Erik. Encore heureux qu'Oscar ait pris les devants.
— Tu as raison. Si seulement il le faisait pour autre chose...
Le regard qu'il me lance a cet instant est plus qu'explicite. Il fait allusion à la soirée chez Luna. Je m'empresse de répondre pour éviter qu'Erik ne pose des questions mais je n'oublie pas de lui lancer un regard noir :
— Du coup, on peut commencer si tout le monde est prêt. Erik, tu pourrais nous expliquer quel est ton métier ?
— Bien sûr, répondit-il avec un sourire. Je suis avocat en droit des affaires, plus spécifiquement en droit financier. Je suis parti il y a quelque temps aux Etats-Unis mais j'exerce normalement ici, à Londres. Je travaille dans un grand cabinet mondialement connu et, je vous passe les détails, on avait besoin de moi là-bas. Mon rôle consiste à accompagner des entreprises dans leur démarches juridiques et aussi à régir les relations qui s'appliquent aux activités des institutions financières. On protège le marché financier et on empêche les entreprises de se rendre coupable de certaines infractions comme le blanchiment d'argent par exemple ou bien...
Je le regarde, la bouche à moitié ouverte. Honnêtement, j'ai décroché après « droit financier ». C'est quoi la différence entre financier et affaires ? C'est quoi des activités financières ? Erik a l'air de s'en rendre compte car il finit par s'arrêter. Il rit en me voyant.
— Le droit financier s'occupe des relations entre entreprises principalement. Ce droit est une des branches du droit des affaires. C'est un peu compliqué à vous expliquer en quoi mon métier consiste. La plupart du temps, je suis enfermé dans mon bureau et je lis des pages et des pages de documents divers : comptes des entreprises, contrats conclus, etc. Je peux également aider les entreprises à conclure lesdits contrats ou alors à s'insérer dans le marché financier tout en leur évitant de tomber dans l'illégalité. Je les aide dans les démarches administratives pour déclarer leurs impôts et leur éviter ainsi d'être sanctionnés par l'Etat.
— C'est quoi un marché financier ? demande Liam.
Erik grimace.
— Ce n'est pas une notion facile à expliquer, surtout pour vous. Pour vous aider, visualisez un marché de fruits et légumes : des vendeurs vous proposent leurs produits et vous, vous décidez d'acheter ces oranges ou plutôt ces tomates selon vos envies. Eh bien, un marché financier est à peu près la même chose, sauf qu'à la place des tomates, ce sont de l'argent, ou des titres financiers en tout genre. Et ce marché peut être virtuel ou réel. On a souvent l'image des grandes bourses mondiales où les actions grimpent en flèche et quelques secondes plus tard, tombent à pic. C'est grosso modo ça, aussi.
— Je vois...
Pas du tout. Mais j'écris rigoureusement tout ce qu'il dit, en priant pour que le jour de l'exposé, le prof ne nous pose pas de question dessus.
— Et il t'arrive de parler devant le juge pour défendre ton client comme on le voit dans les séries ?
— Pas souvent, en réalité. Vous savez, les films idéalisent la chose. Ce qu'on appelle plaider ne représente que dix pour cent de notre métier. Il ne faut pas oublier que notre rôle est d'éviter que les entreprises se fassent condamner et donc, si on se retrouve à plaider, ça veut dire qu'on n'a mal fait notre boulot, en quelque sorte. Pas nous personnellement, mais en général. Vous comprenez ?
— Je pense, répond Liam.
— Vous ne voulez pas qu'on fasse une petite pause ? propose Erik. Le temps pour vous d'ingérer tout ce que j'ai dit. Et puis, vous pouvez en profiter pour flâner un peu, Liam pourrait te faire visiter la maison et vous avez peut-être faim aussi.
Je regarde Liam perplexe. J'ai bien envie de continuer, et passer du temps avec Liam ne m'enchante pas trop... Mais je ne suis pas chez moi, ce n'est pas à moi de décider.
— Pourquoi pas, tous ces mots compliqués vont finir par me donner mal à la tête.
— Alors on fait comme ça ! Réfléchissez à des questions, et prévenez-moi quand vous êtes prêt.
Il nous fait un clin d'œil, se leva et quitta la pièce. Me voilà de nouveau seul avec Liam. Je lui jette un regard discret pendant que je range mes affaires. J'espère qu'il est plus calme qu'avant. Mais j'en doute fortement.
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