Là où je suis, on y a entassé le potin de l’éducation populaire breton. Une nouvelle réunion, un nouvel apprentissage silencieux. Encore des non-dits confondus à des clameurs, encore des regards comme des livres pour chacun. Qui osera prendre la parole ? Qui brisera le cercle de la pudeur ? Personne, ou presque, bien sûr. Comme à chaque fois.

Mais quelques regards persistent. Un tremblement de voix. Un cri sourd.

D’où viendra la secousse ?

*

Comme la dernière fois, dans le même établissement vide et blanc, dans la même salle de cours aseptisé. L'air manque, mes souvenirs me chuchotte de mornes histoires, mais qu’importe ! parce qu’au fond, là, a côté du tableau, je vois une citation de Condorcet, écrit sur le coin d’une feuille colorée. Le brave Condorcet rappelle que l’éducation reste de fait un l’apprentissage de l’insoumission, du doute et de l’action face à l’injustice.

Aujourd’hui, j’ai l’impression que n’importe quelle citation à minimum pertinente devient révolutionnaire. Mauvais signe pour notre époque. Et dommage que les grands esprits se soit perdus en route : notre civilisation offre un champ de bataille glorieux pour qui sait tenir les armes !

Mais où vivent les guerriers d'ajourd'hui ? Seuls nous seuls à attendre leurs retours ?

Arg, Condorcet ! Vaincre les resentiments, les pensées nihiliste ! Pas maintenant, non, pas ce matin. Je me suis levé d'un pied gauche ferme et décidé : les autres aussi, je l'espère.

Ces autres, d'ailleurs, ils ont changé. Voilà notre deuxième réunion, et je ressens une nouvelle force ici. Est-ce un péché de romantisme ? Maintenant, je les regarde avec fierté. Nous voilà dans l’intimité de notre conseil. Autour de moi, des inconnus qui deviendront camarades de travail. La conversation peut être belle, sans nulle place laissé à la timidité.

Au fond, se cache du Café bio et des madeleines. Bon, ce n'est pas la Commune, mais je m’en ferai peut être un impérissable souvenir. Je m'imagine déjà m'en souvenir. C’est là où j’ai accompli quelques choses. Il ne s’agit que de mots, de regards, de raison et d’orgueil. Une recette connu et maitrisé. Tout ira bien.

En ce début de printemps, le FonJep Bretagne tiens sa première réunion. Une rencontre sans enjeu annoncé, bien sûr : nous sommes conviés pour du vent. Mais je crois qu’au fond, il n’y a jamais aucune promesse quand trente éducateurs populaires se regroupent dans une même salle.

Je lève mon nez : quelques choses planent dans l’air. Des anciens esprits chuchottent à mes oreilles d'étranges incantations. Un vent faible, comme un soufflement, un son lointain, presque inaudible. Comme une parole, un discours du passé, un vieux souvenir venant imbibé l’atmosphère d’une légère odeur. « Ainsi parle les morts » , n’est-ce pas ?

Allons, pas trop de romantisme, ce n’est qu’une réunion…