Chapitre 21 - ASTRID
Un grésillement dans mon oreillette m'indique qu'une communication vient d'être ouverte. Je fronce les sourcils, déconcertée, sans oser consulter Mehdi du regard.
Nous n'avons demandé aucune aide de l'équipe informatique, ce qui signifie que c'est une autre équipe qui cherche à nous contacter. Or, nous soupçonnons tous les canaux d'être étroitement surveillés, ce qui ne peut vouloir dire qu'une seule chose : une urgence.
Je lâche un grand soupir angoissé et manque de percuter un homme en costume, qui m'évite en grommelant un juron. Heureusement, il ne se retourne pas vers moi.
C'est alors que la voix de mon frère retentit dans l'oreillette :
- Nous venons de localiser la cible. On va guider le groupe le plus proche.
Puis, comme il vient de l'annoncer par ce "on" qui désigne discrètement l'équipe informatique, une autre voix prend le relais. Cette fois, elle n'appartient à aucun membre de l'équipe d'intervention :
- Tom, Jasper, revenez sur vos pas jusqu'à une petite porte. Elle conduit directement aux cellules les plus surveillées. Nous travaillons déjà à dévérouiller la porte à distance, mais essayez quand même avec vos badges. Les deux si possible, mais pas trop, sinon une activité anormale risquerait d'être détectée. Dépêchez-vous. D'après notre source, ces couloirs sont en général gardés par plusieurs soldats, ce qui signifie que vous serez repérés dès que vous passerez la porte.
Un court silence, puis :
- À toutes les équipes, sauf l'équipe 1, commencez dès maintenant à vous diriger vers la sortie. Une alarme intrusion pourrait être déclenchée dans peu de temps.
Mon coeur remonte dans ma gorge tandis que nous suivons les instructions de l'équipe informatique. Bientôt, nous atteignons la petite porte indiquée. À ce stade, je n'arrive presque plus à respirer tant j'ai peur. Je suis presque étonnée de cette réaction, qu'un soldat de l'Organisation ne devrait pas avoir, avant de comprendre qu'Alexy a refait surface, se mélangeant à Astrid pour recréer Alid. Je ne sais pas si cette nouvelle est bonne ou mauvaise. Après tout, j'ai également besoin de l'humanité d'Alexy pour mener à bien cette mission. La force brute ne suffit pas toujours, même si je sais pertinemment que c'est le combat qui m'attend de l'autre côté, le but étant de neutraliser tous les soldats le plus rapidement possible pour qu'aucun n'ait le temps de déclencher l'alarme. Si le couloir s'étire en longueur, nous avons perdu d'avance. Il ne reste plus qu'à espérer que ces cellules spéciales ne soient pas trop nombreuses.
- À toi l'honneur, soufflé-je alors en direction de Mehdi, tout en levant les yeux vers lui pour la première fois ; il me couve d'un regard protecteur... et quelque part, admiratif.
- Nous la ferons sortir de là, je te le promets, me répond-t-il avant de glisser son bagde dans la fente destinée à cet usage.
Le temps semble s'arrêter, puis un claquement sec et familier nous indique que l'opération a fonctionné. La porte est ouverte.
J'abaisse mes paupières une fraction de seconde, le temps de faire réapparaître Astrid complètement, vérifie que le couloir est désert...
.... puis enfonce la porte d'un coup d'épaules.
Comme prévu, le battant n'offre aucune résistance et je suis projetée dans un endroit mal éclairé. Mehdi me talonne, et j'analyse la situation aussitôt. Nous disposons de l'effet de surprise, mais c'est là notre seul avantage face à la dizaine de gardes qui gardent environ le même nombre de portes. Heureusement, mon voeu s'est réalisé, et le couloir reste relativement petit. Je dégaîne le petit couteau que je porte à la ceinture, rendu indétectable grâce aux ingénieurs de l'Organisation. Dans un même mouvement, ma veste d'uniforme tombe au sol, dévoilant le dernier modèle de ma combinaison. À force de m'entraîner avec elle, je me suis habituée au tissu ultra léger, qui ne me donne même plus l'impression de me promener nue partout où je vais. La matière s'adapte immédiatement à l'environnement, me rendant presque invisible, surtout dans la pénombre relative du couloir.
Même si mon arme de prédilection reste le pistolet, arme que je n'aurais pas pu introduire ici à cause des détecteurs, mon corps garde en mémoire les heures d'entraînement que j'ai passées au centre, dans mon enfance et mon adolescence, et Allen m'a assuré que j'étais plutôt douée au lancer de couteau, si bien que je vise ma cible en quelques secondes avant de propulser la lame sans une hésitation. Un cri de douleur, dont j'espère qu'il sera étouffé par la porte, s'échappe des lèvres de l'homme, touché à la gorge, mais je n'ai pas le temps de m'attarder sur son cas, sachant déjà que ses blessures seront mortelles.
La tueuse a de nouveau éclipsé Alexy.
Sentant une présence silencieuse dans mon dos, je me retourne et envoie mon coude d'un coup sec dans le visage de mon adversaire puis, sans lui laisser le temps de produire le moindre son, je me faufile derrière lui pour lui briser la nuque. Il s'effondre à mes pieds et je m'arrête une fraction de seconde, à peine essouflée, pour analyser une nouvelle la situation. Mehdi, de son côté, a déjà éliminé deux autres soldats, et plante une de ses lames effilées dans le flan d'un troisième. Puis il lui tranche la gorge d'un geste assuré.
En ajoutant ses victimes et les miennes, il ne reste plus que cinq gardes dans le couloir : nous avons fait la moitié du chemin.
Les survivants, regroupés à l'autre bout du corridor, pointent leurs pistolets vers nous, qu'ils ont sûrement récupérés dans un endroit spécial. Je me maudis de ne pas y avoir pensé avant tout en me rapprochant le plus possible de mon coéquipier : si nous avions nous aussi des armes automatiques, ce combat serait beaucoup moins inégal.
Mais ce n'est pas le moment de désespérer, puisque, de toute manière, nous ne repartirons pas sans Diane. Sachant cela, chaque seconde compte : ils ne doivent pas avoir le temps de lancer l'alerte. Je ne sais même pas pourquoi ils ne l'ont toujours pas fait. Peut-être se croient-ils en mesure de nous arrêter ? Mais la véritable raison m'apparaît bien vite lorsque l'un d'eux, les mains tremblantes, lance en relevant le menton par-dessus son arme :
- Jasper, arrête, qu'est-ce que tu fais ? Et c'est qui celui-là ? Qu'est-ce que tu fais ? répète-t-il, complètement paniqué.
D'après ce qu'il dit, il connaît donc mon alibi mais pas celui de Mehdi. Et les autres également, puisque je peux percevoir la même répugnance dans leurs yeux que dans ceux de celui qui a parlé. Ils ne nous attaqueront que si nous mettons directement leur vie en danger, mais pour le moment, nous n'avons fait que tuer leurs camarades : je perçois d'ici leur espoir que tout ceci ne soit qu'une gigantesque erreur. Puis je songe à la puce, je me dis que nous pouvons être découverts à tout moment, et ma mère me revient en mémoire. Je ne l'ai jamais vue, je ne sais pas à quoi elle ressemble : pour vérifier son identité, nous n'avons qu'une seule possibilité.
Lui demander.
Mais malgré tout ça, je sens en moi ma rage de la défendre. Elle est là, à quelques pas, peut-être dans cette cellule, où celle-ci.
Tout en me faisant cette réflexion, je pose mes yeux sur chaque porte, et c'est alors que je le vois.
Un grand 6 juste à ma droite.
Bien plus près que ce que je m'imaginais, puisque tous ces soldats me séparent encore d'elle.
J'ai déjà trop trainé.
Me maudissant de ne pas y avoir pensé avant, je me baisse vers le soldat à mes pieds et extirpe son arme de sa ceinture, qu'il n'a même pas eu le temps de dégaîner avant que Mehdi ne le tue. Je n'ai d'ailleurs pas besoin de parler pour que ce-dernier devine ce que je m'apprête à faire.
Tout s'enchaîne alors très vite.
Du coin de l'oeil, je vois mon partenaire s'élancer vers un autre pistolet, qui a sûrement dû glisser sur le sol. Pendant ce temps, je me suis déjà relevée et je loge une balle dans la tête du soldat le plus menaçant, que j'ai repéré tout à l'heure. Dans le même mouvement, je plonge au sol, effectue une roulade risquée que ma combinaison amortit puis me relève grâce aux propulseurs de mes bottes, juste le nez des quatre autres gardes. Je lâche mon arme à terre, espérant de tout mon coeur que Mehdi est déjà en position pour me couvrir. Je suis à présent particulièrement vulnérable, mais une nouvelle fois, j'ai l'effet de surprise, et surtout, aucun d'eux ne tient à me tuer. Voilà pourquoi c'était à moi de prendre ce risque.
Leur seconde d'hésitation est fatale à deux d'entre eux : je fauche les jambes du premiers, qui tombe à terre sans un gémissement étranglé tandis que la semelle cloutée de ma botte s'abat sur sa tête. J'essaye de ne pas m'attarder sur les gouttes de sang chaud qui giclent sur ma combinaison pour me concentrer sur le deuxième, auquel j'administre un coup violent du tranchant de la main sur la gorge. Il suffoque, dérape, se cogne contre le mur derrière lui. Une détonation assourdissante me fait soudain sursauter, mais je me reprends rapidement en constatant que ce n'est que Mehdi, qui vient d'abattre encore un autre soldat.
Mais avec deux coups de feu, nous avons dû ameuter tout le complexe, et le temps presse plus que jamais.
Le corps de notre dernier adversaire s'écroule à son tour au sol après deux derniers coups de feu : le premier, qu'il a lui-même tiré en direction de Mehdi, sans succès, et le deuxième, celui qui lui a été fatal.
Je soupire de soulagement et essuie de la main mon front, en remarquant au dernier moment que le liquide poisseux qui dégouline devant mes yeux n'est autre que du sang.
Le sang de mes victimes.
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