Chapitre 12 - ALLEN
Je n'ai qu'une envie, c'est bien me rouler en boule dans mon lit et m'endormir pour ne plus jamais me réveiller, du moins pas avant qu'elle ne revienne. Je m'étais pourtant promis que je la protégerais jusqu'au bout, mais que pouvais-je faire contre l'autorité de Marshall et la propre décision d'Astrid ? Comme toujours, je suis impuissant, incapable d'être à ses côtés quand elle en a besoin. Je n'arrive pourtant pas à oublier ses paroles.
Tu es un oiseau, un magnifique oiseau, mais il n'est pas encore temps pour toi de rejoindre le ciel étoilé.
Le ciel étoilé représente la mort, j'en suis convaincu, je la connais assez pour n'avoir aucun doute là-dessus. Mais pourquoi semblait-elle si persuadée que je ne reviendrais pas de cette mission ? On aurait dit qu'elle était soulagée que je ne vienne pas, parce que sinon.... elle m'aurait perdu ? Il y avait tellement de regrets et de culpabilité dans ses yeux, alors je me demande ce qui pouvait bien la perturber à ce point.
Mais malgré toute ma lassitude, je n'ai pas pu me résoudre, encore une fois, à l'abandonner complètement. J'ai donc exigé d'être dans la salle informatique tout du long, pour suivre le déroulement du plan dans ses moindre détails. Evidemment, les autres équipes ne m'intéressant pas vraiment, j'ai intégré, le groupe de surveillance de l'équipe B, celle d'Astrid. Sur l'écran principal, je ne la vois quasiment pas, et une partie de son corps est coupée par la fin du champ. Sur un plus petit plan, dont elle occupe presque toute la surface, je peux clairement voir ses traits crispés mais déterminés. À vrai dire, je ne la reconnais pas vraiment. Qui est cette inconnue qui a chassé ma soeur de son corps ?
Le trajet se déroulant sans encombres, je me permets une petite minute d'inattention et repère immédiatement l'écran montrant Sacha. Je dois m'empêcher de me retourner pour cogner le mur quand son visage m'apparaît. Sa bouche se tort certes en une grimace torturée, mais je ne suis toujours pas convaincu qu'il se soucie réellement d'Astrid. Avec lui, j'ai toujours l'impression que tout est une manipulation, destinée à gagner notre confiance pour mieux la briser ensuite. Je crois bien que je n'arriverai jamais à ne pas le voir ainsi, mais qui m'y oblige ? Je le hais pour avoir attrapé ma soeur dans ses filets, elle qui était avant la moins susceptible de tomber dedans. Mais remuer ces questions à l'infini ne me servira à rien. Je me concentre donc de nouveau sur les images qui défilent sur l'écran. Sacha disparaît une fraction de seconde et, emporté par les émotions, je manque de protester avec virulence quand il réapparaît soudain. Je pousse un soupir de soulagement, qui se bloque presque immédiatement dans ma gorge quand je me rends compte de ce qu'il fixe vraiment.
Il est en train de scruter Astrid, avec un mélange de crainte, de douleur et de tristesse, mais je ne vois aucune rancoeur dans son regard, ce qui me rassure quelque peu. Il ne sait pas vraiment qu'il est observé, même s'il doit s'en douter, mais je ne peux m'empêcher de ressentir qu'il est sincère en ce moment. Ce constat ne va certes pas dans l'alignement de ma pensée, mais je ne peux pas le repousser. J'ai besoin de voir la situation clairement, les bons côtés comme ceux que je n'ai pas envie d'entendre. C'est cette cécité qui m'a fait perdre ma soeur, car malgré toutes ses belles paroles, nous savons tous les deux que rien ne sera plus jamais comme avant.
Je m'empêche de pleurer à tout prix. À nouveau, mes yeux sautent vers la caméra filmant Astrid. Elle est loin d'être paisible, mais les quelques émotions que j'arrive à déchiffrer dans son regard font plus probablement référence à la mission qu'à Sacha. Heureusement, sinon je crois que je n'aurais définitivement pas réussi à me contrôler.
- Il reste encore une bonne dizaine d'heures de voyage, alors je te conseille de t'assoir, à moins que tu n'aies assez d'endurance pour tenir tout ce temps debout, m'interpelle soudain un des informaticiens.
La pitié dans sa voix me répugne, mais d'indique au moins qu'il pourrait être un allié. Lui, au moins, cherche un peu à comprendre ma peine et à l'alléger, même s'il ne s'y prend pas bien. Je ne connais pas son nom, mais je décide qu'il sera une sorte de référent pour moi durant cette mission, et tant pis si je finis par l'énerver. Tout seul, je risque de perdre le fil, au milieu de toutes ces images tourbillonnantes.
Pour ne pas le brusquer, je suis donc son conseil et me laisse lourdement tomber dans une chaise à roulettes, même si j'en ai tout sauf envie.
Puis l'attente commence, et conformément à ses dires, elle s'annonce très longue.
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