Chapitre 20 - Un peu plus tôt - ALID
Au détour de ce nouveau couloir je me retrouve bloquée devant une autre porte. Exaspérée, sur les nerfs, j'introduis mon passe dans la fente en sachant déjà que ça ne marchera pas, mais, à ma grande surprise, un déclic m'indique de la première étape est passée. Une plaque glisse alors dans le mur et un scanner rétinien apparaît. Je présente le plus rapidement possible la reconstitution des prunelles de Willer, mais un voyant rouge m'apprend que ça n'a pas marché. Étouffant un juron, je change pour, cette fois, montrer l'oeil de Sacha. Il s'agit là de ma dernière chance, et je ne peux que prier pour que je réussisse. Deux fois, le trait rouge parcourt la petite reconstitution, et mon coeur bât la chamade, parce que je sais pertinemment que les gardes ne devraient plus tarder.
Enfin.
Nouveau déclic.
J'essuie la sueur qui me coule dans les yeux sans m'arrêter sur ma victoire. Je suis à nouveau comme transportée hors de mon corps. Et c'est alors qu'une nouvelle sécurité surgit, qui n'était pas prévue.
Le scanneur a été remplacé par un écran qui me présente les dix chiffres, zéro inclu.
Et au-dessus, une petite fenêtre attend en clignotant que je rentre le code.
Les larmes me montent aux yeux quand je comprends que je ne réussirai pas, et je n'ai probablement qu'un seul essai avant qu'un système de protection se déclenche devant un échec. Sûrement une explosion, qui décimera tout ce qui se trouve dans ce couloir. Ou peut-être.... oh, et puis après tout, je n'ai pas vraiment le temps de réfléchir!
Venu de nulle part, un souvenir lointain me remonte alors en mémoire. Je fronce les sourcils, intriguée par l'image qui s'imprime devant mes yeux, chevauchant la fenêtre où le code devrait s'afficher.
Un numéro qui rentre parfaitement.
Un numéro que j'ai déjà vu quelque part, et que j'avais à l'époque pris pour le simple nombre d'identification d'une arme.
210418.
Le pistolet de Willer.
Mûs par un étrange instinct, je sens mes doigts bouger d'eux-mêmes, sans même que j'aie le temps de me demander si je ne me trompe pas complètement. Est-ce que je ne suis pas en train de commettre une erreur monumentale ? Et au final, qu'est-ce que ça changerait ? Je me dois de tenter le tout pour le tout. Pour Allen, pour Sacha, l'Organisation. Tout ce pour quoi je me bats depuis le début. En cet instant, comme en transe, ma trahison est loin derrière moi. Dans mon esprit, je n'ai jamais vendu des informations cruciales au Gouvernement, et je cherche simplement à remplir à le rôle qui m'a été confié dans cette mission si déterminante.
Mes doigts tapent, l'un après l'autre, les chiffres.
2
1
0
4
1
8
Pendant une seconde, le temps s'arrête, et mon coeur avec. Puis un voyant vert m'aveugle, la porte coulisse sans un bruit, et je me glisse à l'intérieur comme dans un rêve.
Je découvre alors une pièce plongée dans la pénombre, seulement éclairée par la lumière de quelques voyants de toutes les couleurs. Ces petites lueurs brillent jusqu'à très loin de la pièce, aussi ne puis-je pas vraiment savoir combien elle est grande, ni jusqu'où elle s'étend dans quelle direction. Revenant brusquement à la réalité, et surtout à l'urgence du moment, je fais un pas en arrière, et tire une nouvelle fois dans le mécanisme pour empêcher les gardes de rentrer. La porte étant blindée, ils ne pourront pas la faire exploser, même si je sais que Walter Cost, le Leader de Chicago, ne tardera pas à la dévérouiller lui-même à distance. Je n'ai donc, malgré ce contre-temps, toujours pas beaucoup de temps.
Je murmure quelques mots dans mon Communicateur pour chercher, en premier lieu, du réseau ou un lien avec l'équipe informatique, mais il m'oppose une réponse laconique me signifiant que je ne recevrai aucune aide de ce côté là. De rage, je le jette contre le sol molletonné, recouvert d'une épaise moquette noire - du moins d'après ce que je peux en juger -, et je l'écrase sous mon talon, avant de reprendre mon calme et de poursuivre mon chemin. D'après mes professeurs de l'équipe informatique, je dois détruire le programme à la base, c'est-à-dire non pas en branchant le virus qu'ils m'ont fourni sur un des petites ordinateurs, mais sur la tour centrale. Cependant, comment la repérer dans cette immensité ? Je repense à mon Communicateur écrabouillé, et je maudis mon impulsivité : si j'avais pu disposer de sa lampe torche, j'aurais gagné de précieuses secondes.
Je m'affale contre le mur, les mains sur la tête, cherchant désespérément une solution, et je sens un petit cliquetis dans mon dos. Sursautant de peur d'avoir déclenché un mauvais mécanisme, je me retourne brusquement, avant de me rendre compte, éberluée, que le plafond s'éclaire petit à petit au-dessus de ma tête. De longue traînée de lumière s'allument les unes après les autres, et je prends enfin conscience que, contrairement à mon impression première, je ne me trouve pas du tout dans une immense salle. Au contraire, j'ai plutôt l'impression d'être coincée dans un petit local, de la taille de deux ou trois chambres, où des piles d'objets informatiques s'entassent sans ordre apparent pour moi. Je ne doute cependant pas que chacun d'eux mérite sa place ici, puisque je me trouve dans le CCP et que les experts informatiques du Gouvernement n'auraient certainement pas encombré cette pièce si importante avec des broutilles.
Remise de mes émotions, je fouille la pièce des yeux dans le silence lourd et oppressant : on dirait qu'ici tout est enveloppé dans du coton, calfeutré, pour étouffer le moindre bruit. Je songe que les concepteurs ont sûrement voulu éviter qu'on ne remarque le CCP à cause du bruit des ordinateurs, sensé être secret pour presque tous. Mon regard tombe alors sur une énorme structure, dans un coin de la pièce, qui ronfle doucement et, maintenant que j'y prête plus attention, semble faire trembler le sol autour de lui. Je m'en approche craintivement, apeurée dans cet environnement qui ne m'est aucunement familier. Et s'il y avait une protection supplémentaire autour de cette gigantesque tour ? Mais, à quelques mètres, il n'est toujours rien arrivé... jusqu'à ce que des bruits de pas précipités et de cris me parviennent depuis l'autre côté de la porte.
Ils arrivent.
La panique me reprend tandis que je franchis les derniers mètres qui me séparent de ma destination finale. Fébrile, je mets plusieurs secondes à extirper la clé USB d'une de mes poches, à l'intérieur de ma veste, sursautant si fort à chaque coup tapé contre le battant qu'elle manque de me glisser des doigts à plusieurs reprises. Je m'empêche cependant de jetter un seul regard en arrière, me concentrant sur la tour... et le futur. Et si je réussissais à détruire le CCP malgré tout ? Malgré ma trahison ? Je mourrais sûrement, mais au moins, l'Organisation pourrait continuer la lutte après moi. Et Sacha ?
Je me fais ces réflexions tout en cherchant, tremblante, un port de clé. Enfin, j'en repère un, à quelques centimètres du sol. Pas très visible, si on ne sait pas où chercher, songé-je. Un de mes nombreux tuteurs d'informatique m'a expliqué que, malgré le danger que cela représente, toutes les tours sont munies de port USB, qui peuvent également être utiles pour les autres. Je savais donc qu'il en existait au moins un. Sans une hésitation, j'introduis la clé, tous mes doutes et toutes mes questions chassées par l'adrénaline qui revient en force. Une série de bips retentit, presque en phase avec les coups de l'autre côté. Je frémis tandis qu'un écran, juste à ma droite, s'allume, puis je me jette dessus, sans même prendre la peine de m'assoir. Frénétiquement, je tape les premières instructions de la fenêtre de code qui vient de s'ouvrir, et tous mes cours, toutes les scéances suivies à l'Organisation me reviennent en mémoire. La procédure pour lancer le virus se met en marche après une dernière manipulation, et je pousse un soupir de soulagement au moment même où la porte s'ouvre derrière moi.
D'un bond, je me relève, sachant que je dois à présent faire en sorte que personne ne remarque la clé tant que le virus n'aura pas endommagé tout le système. D'après l'équipe informatique, cela pourra peut-être longtemps, ou peut-être pas, selon le niveau de sécurité de la base, mais ils ont manifestement conçu un virus adapté à partir des virus les plus puissants de l'ancien monde. Je n'ai même pas cherché à savoir où ils pouvaient bien les avoir récupérés.
Le premier soldat pénètre dans la pièce brillamment éclairée tandis que je faufile une main dans mon dos pour éteindre l'écran de l'ordinateur. S'ils n'y connaissent rien en informatique, ils n'y verront que du feu. Et c'est alors qu'il apparaît, au milieu de la colonne : un homme en costume, qui n'a rien d'un militaire, et qui me toise méchamment. Il crie quelques ordres aux soldats que je ne prends même pas la peine d'essayer de comprendre : si une telle personne est présente, il ne peut s'agit que d'un expert. Et je sais déjà que je ne résisterai pas assez longtemps pour que le virus fasse complètement effet. Il faut donc que je me contente de ce que je peux avoir : le plus possible de dégâts.
Cette pensée me ramène à mon premier enfermement, quand j'ai tenté de m'évader une première fois, tout en sachant que ça ne marcherait pas : mon véritable but était effectivement de voler le passe de Willer. Et j'ai réussi, même si je ne savais pas encore que c'était voulu de leur part. Cependant, à l'époque, je n'avais qu'une seule pensée en tête : les faire souffrir le plus possible, leur mettre des bâtons dans les roues. Aujourd'hui, tout a changé, mais mon objectif reste le même.
Je dégaîne mon pistolet et tire sur le premier soldat, qui s'effondre au sol sans un cri, puis voyant qu'un deuxième pointe son arme droit sur moi, je plonge au sol pour esquiver. Je me cogne au passage contre un objet dur et pointu, mais n'y prête pas attention tout en m'apprêtant à ramper sous une table. Puis je réalise ce que je suis en train de faire, et je me fige quelques instants avant de faire marche arrière.
Je ne peux pas laisser libre accès à la tour, sinon ma résistance ne servira à rien : l'informaticien pourra aller récupérer la clé, malgré tous les soldats que j'abattrai entre-temps. Il faut donc que je maintienne ma position exposée, ou que je tue cet expert.
Tuer, tuer, tuer, tuer, et encore tuer.
Mais cette fois, je n'ai pas le temps de penser aux conséquences.
Je me relève rapidement et réalise aussitôt ma chance de ne pas être touchée quand un projectile me frôle. Puis je comprends autre chose : il ne s'agissait bien sûr pas d'une balle, et j'aurais même pu le savoir avant si j'y avais plus réfléchi. Nous nous trouvons dans le CCP, le Gouvernement ne peut donc pas se permettre d'endommager les appareils, ce qui signifie que ce que projettent ces pistolets sont sûrement des fléchettes anesthésiantes, la deuxième raison étant qu'ils ne doivent pas me blesser selon le contrat que j'ai passé avec eux.
Pendant plusieurs minutes, je joue donc sur cette avantage, tout en restant consciente que, si je me fais toucher malgré tout, les fléchettes m'endormiront immédiatement et je ne tiendrai pas plus de quelques secondes. Cachée sous une table qui me permet de me protéger tout en barrant l'accès à la tour, je repère mes ennemis à leurs pieds et me relève juste le temps d'en abattre un, avant de me coucher de nouveau. Ma technique semble marcher pendant quelques temps, mais plus j'en élimine, plus les renforts qui arrivent par derrière sont nombreux. Et bientôt, je suis littéralement submergée.
À droite, à gauche, devant... derrière...
Je sens la présence avant de voir le soldat, mais il est déjà trop tard. Une fléchette se plante dans ma nuque découverte et je frémis, crispée, renversant le coup en arrière, avant de sentitr l'anesthésiant commencer à faire effet. Petit à petit, je me sens m'endormir, de plus en plus lourde, les membres gourds.
Puis je plonge dans ce sommeil forcé, tout en priant pour que l'effet soit de courte durée.
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