Bernadette s'éveilla, caressa les cheveux de sa soeur cadette lovée contre son ventre. Louise dormait à poings fermés. Bernadette se glissa hors du lit, murmura un hâtif Notre-père, avant de déverser l'eau fraîche du puits pour sa toilette. Elle laissa quelques tranches de pain perdu pour Louise et devant se rendre au village fila sans tarder. À son grand étonnement la voiture servant de carosse à Ada Ernst attendait sagement à l'entrée de la ferme. Bernadette en était certaine : l'allemande ne se trouvait nulle part dans la maison. L'helferinne avait quitté la demeure des Mainener peu avant le chant du coq, s'enfonçant dans le noir revêtue de sa tenue de sport. Sans plus de considération pour le sort de Bernadette enfourcha sa vieille bicyclette.

Le pédalage de Bernadette se fit plus pressant. L'aînée des mainemer n'avait qu'une idée en tête : fuir le bois. La mine défaite, absourdie par sa lâcheté, la jeune paysanne parvint à décrire les étranges machines. Selon ses dires, de stupéfiants cylindres chenillés remontaient le bois en direction de la ferme familiale. l'un des engins, plus proche de la lisière de la forêt, émit un léger bourdonnement lorsqu'elle le croisa. Son canon court saillait d'une plaque de blindage rivetée juste au dessus de laquelle une fente assurait sans doute au conducteur une médiocre vision vers l'avant.

Louise dévorait en silence les tranches de pain perdu laissées par Bernadette quand Ada Ernst apparut brusquement à l'entrée de la cuisine. Elle est sûrement tombée dans l'étang, pensa la fillette en toisant l'intruse ruissellante.

Les résistants lancés à ses trousses perdirent la trace de l'allemande au niveau d'un petit pont en pierre. L'édifice en ruine était dévoré par la mouse et recouvert de lierre. Les solides gaillards menés par Dents de lapin rebroussèrent chemin, tombèrent nez-à-nez avec une escadre de tanks cylindriques. Ce fut le chaos.