Chapitre 6

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Je me sens ballotté. Comme si on… me portait ? J’essaie d’ouvrir les yeux, de bouger… Mais rien… Tant pis.

Je me sens bien. Mais pourquoi ? Je suis dans un cocon. C’est chaud… C’est doux… C’est rassurant… Je respire cette odeur que je ne connais… pas ? Si ? Un mélange de cigarette, de menthe et d’huile… J’aime ce parfum… Il me rappelle… me rappelle… Quoi ?

  • Mon petit lion… Pourquoi ?

Où suis-je ?

J’ouvre les yeux difficilement. J’ai complètement perdu la notion du temps. Je ne sais plus où je suis… Mes souvenirs du collège sont encore frais dans ma tête…

J’ai envie d’en rire mais n’y arrive pas. Comme si la totalité de mes muscles refusait catégoriquement de m’obéir… Je suis fou. Doucement, mes yeux s’habituent à la pénombre de… ma chambre semblerait-il.

Ah… Oui… Je suis chez Stéphanie…

J’ai l’impression de me souvenir d’un autre rêve étrange… Étrange mais délicieux. Impossible de rattraper les images… Elles me fuient tout en laissant un sentiment de bien-être dans leurs sillages…

J’essaie de comprendre ce qui se passe. Les briques de mes souvenirs se remettent en place doucement dans ma tête. Le dîner. L’école. Ma fuite. Mon arbre. Ma… première vraie tentative… Je soupire.

Et merde… Raté.

Mon corps commence à se réveiller, lentement mais sûrement. J’ai comme des fourmillement partout et ma tête me lance un peu.

Je t’ai trouvé. Mon petit lion.

Une douce sensation se propage dans mes veines lorsque je repense à Rey. Quoique… sa voix était plus que glaciale à ce moment-là.

Je voudrais m’asseoir. Mes mains me font un mal de chien.

  • Non ! Tristan n’essaie pas de te lever…

Stéphanie entre dans la pièce, mi-paniquée, mi-soulagée, et me force à rester au lit. Je suis soudain pris de nausées. Prompte, Stéphanie me place une bassine sur les genoux. Je vomis un liquide jaunâtre. Les spasmes de mon corps me font souffrir. Stéphanie me caresse le dos et me réconforte du mieux qu’elle peut.

Pourquoi ? Pourquoi fait-elle ça ?

  • Ça va mieux ?

Je hoche difficilement la tête pour mentir : mon corps entier est douloureux. Mes mains. Ma tête. Mon estomac.

  • C’est Rey qui t’as retrouvé, m’informe-t-elle. Je me suis faite un sang d’encre à ton sujet !

Cela me confirme que je n’ai pas rêvé. C’est bien Rey qui m’a trouvé, embrassé les phalanges et… léché le visage ? Non… Pour les deux dernières choses, j’ai dû rêver. Les médicaments sans doute. Et puis, pourquoi je fantasmerai sur lui ?

Il a veillé sur toi un bon moment, tu sais… Tout le temps où le médecin était là, il ne t’a pas lâché d’une semelle, tournant en rond comme un lion en cage. Il est même resté près de toi lorsque tu dormais.

Je déglutis… pendant que je dormais ? Cela signifie que… Non… Ce n’est pas possible. Ce n’était qu’un rêve. Un doux rêve mais un rêve quand même.

  • Tu as le petit doigt cassé. Rien de bien grave selon le Dr Mines. En revanche, tes mains ! Elles ont bien morflé… Écoute. Si tu ne veux pas retourner au lycée maintenant, je ferais en sorte que tu n’y ailles pas. Mais je ne pourrais pas retarder ta rentrée de beaucoup, sinon j’aurais moi aussi des ennuis. Tu comprends ? Ça ne sert à rien de… - elle soupire - Non, laisse tomber. L’essentiel c’est que tu ailles mieux.

Je la regarde et elle me sourit, tout en inclinant la tête légèrement sur la droite. Je ne peux que hocher mon assentiment. Elle me caresse les cheveux et sort. Ce geste doux et inattendu me fait secrètement plaisir. Je crois bien que personne n’a été tendre avec moi depuis… plus de quatre ans maintenant.

Je venais de fêter mes onze ans et je soufflais mes bougies. Papa s’est approché de moi et m’a ébouriffé les cheveux.

  • Il devient grand ! m’avait-il dit avec un large sourire.

Sourire qui s’est définitivement effacé l’année suivante. Je me cache sous mes couvertures suite à ce souvenir. Je ne pleure plus sa perte. Je crois que je l’ai trop fait. Il ne me reste de son départ qu’un grand manque.

BOUM !

Je jette un œil en soulevant doucement la couverture. C’est Rey : il est entré dans ma chambre par la fenêtre. Il ne peut pas voir que je le regarde donc j’en profite un peu. Il est torse nu, comme l’autre nuit. Son jean descend insolemment sur ses hanches, découvrant l’élastique de son boxer. Ses cheveux sont lâchés et encadrent son visage. Dans la semie pénombre de la chambre, je n’arrive pas à lire ses émotions. Son œil doré se balade sur mon lit de haut en bas. Il passe une main dans ses cheveux… de frustration ? Non… Il semble énervé. Il se rapproche doucement.

  • Tu me veux quoi ?

Ma voix est éraillée.

  • T’es réveillé du coup ?

La sienne est toujours aussi glaciale. Je rabas le drap et le regarde : je me noie dans ses prunelles. Mon corps est encore engourdi mais je ne peux m’empêcher de frissonner sous l’effet de son œil azuré. Il grimpe sur le lit et se place au-dessus de moi, ses mains de part et d'autre de mon visage. Le sien se trouve à peine à une vingtaine de centimètres. Je déglutis. Je ne m’attendais pas à une si soudaine proximité. Mon cœur s’emballe.

  • Je vais être clair. Mon. Petit. Lion. La prochaine fois que tu fais pleurer Ma, je te défonce.

Ses mots me transpercent. Mais pas plus que son odeur. Ce mélange de cigarette, de menthe et d’huile. Ses cheveux me chatouillent le visage et l’expression de son œil valide me fait comprendre qu’il est on ne peut plus sérieux.

  • Je…
  • Pas d'excuses. Ne la fait plus pleurer, c’est tout.
  • D’accord.

Ma réponse n’est qu’un murmure. Son visage s’adoucit un peu. Je me rends enfin compte dans la position dans laquelle nous sommes : c’est… très suggestif. Je déglutis à nouveau, ce qui fait apparaître un sourire carnassier sur les lèvres de mon tortionnaire.

  • Cette position te dérange ?
  • Pas… pas… Le moins du monde…
  • Ton hésitation est éloquente… Et si je fais ça ?

Il rapproche son visage du mien, centimètre par centimètre, jusqu’à ce que nos nez se touchent. Mes yeux plongés dans sa dualité, je n’ose plus respirer. Il se déplace légèrement sur le côté et va jusque dans mon cou. Mes sensations corporelles sont indescriptibles. Il pose ses lèvres à la base de mon oreille et je ne peux retenir un souffle rauque.

Comprenant sûrement qu’il va trop loin, Rey stoppe net son geste et se lève, assez brusquement, sans un regard pour moi. Il s’enfuit par la fenêtre.

Nous sommes en début de soirée. Je ne suis pas sorti de ma chambre depuis que Rey est parti. Oh, pas que j’avais peur de le croiser… J’ai bien entendu le son de sa moto quelques minutes après m’avoir laissé… En plan. Parce que c’est ce qu’il a fait. Je n’avais jamais eu de réaction aussi violente. Lorsque ses lèvres se sont …

Brrrrr.

J’en frissonne encore. Je n’arrive toujours pas à croire ou à comprendre. Je ne sais même pas si Rey a senti… mon érection. Une putain d’érection. Mon corps était engourdi mais faut croire que la magie de Rey l’a réveillé… et pas au bon endroit.

Toc, toc.

Ces deux coups me tirent de ma rêverie. Stéphanie entre, l’air un peu gêné.

  • Je peux ?

Je lui fais signe que oui. Elle pénètre dans mon petit espace et s’assoit près de moi. Elle pose ma boîte de pilule vide sur la table de nuit.

  • C’est Rey qui l’avait. Je ne suis pas trop d’accord pour que tu les aies en permanence avec toi… Mais bon, le médecin m’a expliqué pour tes crises : qu’elles peuvent être violentes et subites. Je t’en prie : essaie de te contrôler et n'abuse pas de ces pilules. Je sais que tu peux le faire. Non. Tu dois le faire. Je ne veux pas en arriver à te les confisquer.

J’ouvre grand les yeux. Je ne comprends pas. Enfin si… Elle parle sûrement d’aujourd’hui… et de ma semaine d’hôpital.

  • Tristan, s’il te plaît. Si tu ne le fais pas pour moi… ni pour toi… Fais-le pour Rey…

Pour Rey ?

Je la fixe. Devant mon air interrogateur, Stéphanie secoue la tête et me dit que ce n’est pas à elle de m’en parler. Je prends la boîte et regarde à travers le verre orangé. Je finis par le jeter à la poubelle. Stéphanie me sourit. Je me demande pourquoi elles me sont si utiles… et surtout ce que je deviendrai sans elles. Ce que Stéphanie ne sait pas c’est que j’en ai encore.

  • Tu descends pour le dîner ?

Je n’ai pas très envie mais réponds tout de même par l’affirmative.

Rey n’est pas là pour le repas du soir. Bien que cela l’affecte, Stéphanie tente de ne rien laisser paraître. Arnold, lui, semble fâché et me fixe d’un air peu sympathique.

Comme si son absence était de ma faute…

Stéphanie, profitant de son passage près de son mari, lui donne une tape sur le sommet du crâne. Arnold la regarde et lui sourit. Toute leur complicité m’apparaît alors comme une gifle en plein visage. Je me sens soudain en trop. Comme si je ne pouvais… non… ne devait pas faire parti du même schéma familial… Une impureté dans une eau limpide.

Ma poitrine se serre. Signe avant coureur. Mais ce n'est pas de la tristesse. Non. De la colère. Une furie inexplicite. Mes mains se mettent à trembler et je les cache sous la table. Mon cœur cogne encore et encore. Mon tourbillon noir refait surface et se met à tourner de plus en plus vite, me donnant la nausée. Ma tête me lance. Je n’ai qu’une envie : la frapper contre un mur.

Je lève la tête et croise le regard de Stéphanie qui sursaute devant mon expression.

Ne la fait plus pleurer, c’est tout.

Les paroles de Rey. Sa voix. Mon palpitant se calme, lentement mais sûrement. Je me ferme au monde extérieur comme je sais si bien le faire. Plus rien ne m'atteint : ni le bruit, ni les couleurs. Mon monde se peint de gris et noir. J’effectue machinalement les gestes de bienséance : se tenir droit, utiliser son couteau et sa fourchette, boire son verre d’eau… Je ne sens même pas le goût des aliments.

J’attends la fin du repas dans un état second. Ni Arnold ni Stéphanie ne m'adressent plus la parole… Enfin, je crois. Dans mon monde bichrome, les sons ne me parviennent pas. C’est le silence absolu, comme lorsque je suis sous l’eau, la respiration en plus.

Une tape sur mon épaule. Je lève paresseusement les yeux. C’est Arnold : il me fait comprendre que je peux sortir de table. J’obtempère et monte directement dans ma chambre et de ma chambre sur le toit.

Il n’est pas là…

Je rentre et sort ma boîte de pilules du placard avant de remonter. Je m’allonge sur les tuiles. Là, seul, dans le noir avec pour seule compagnie les étoiles, je laisse mon esprit divaguer. Je ne veux penser à rien en particulier et pourtant l’image de Rey s’impose d’elle-même dans mon esprit. Comme si elle y était indispensable.

VROUM ! VROUM !

Il est rentré.

Mon coeur a un sursaut. Mon monde se recolore. Mes oreilles acceptent à nouveau de faire entrer le son. Malgré moi, un sentiment de soulagement s’empare de ma poitrine. Je m’assois sur le rebord de la lucarne. Ses phares éclairent l’allée : il rentre sa moto dans le garage. Je ferme les yeux, essayant de ralentir la course folle de mon coeur. C’est souvent comme ça quand il est dans les parages…

  • … là ?
  • Quoi ?

La voix de Rey. Assis à quelques mètres de moi, un demi sourire scotché sur les lèvres. Je me surprends à le vouloir plus près.

  • Encore parti dans les étoiles ?

Je pouffe et mets ma main devant mes yeux.

  • Je n’y vais jamais. Disons plutôt que je sombre dans les profondeurs de l’enfer.

Sa main se pose sur la mienne et la dégage doucement pour la mettre sur ma poitrine.

  • Ne te caches pas… Essaie de ne pas y aller seul. Emmène-moi avec toi. Où que tu ailles.

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