Chapitre 12
Une main claque la mienne et mes pilules volent dans tous les sens.
Que se passe-t-il ?
Je ne comprends pas. J’étais pourtant certain d’être seul.
Cette odeur… Ce parfum… Non… Il est avec Ly…
- Je peux savoir ce que t’allais foutre ?
Il crie. Sa voix est éraillée. Colérique. Son souffle, erratique. Comme s’il avait couru un marathon. Mes yeux acceptent enfin de le voir, mon corps de le sentir. Rey est assis à califourchon sur moi. Son œil doré lance des éclairs tandis que son œil azuré a l’air suppliant.
Qu’est-ce qu’il fout là ?
- J’attends.
Sa voix est glaciale. La colère déforme ses traits. Sa dualité se fixe dans mes yeux : je ne sais pas ce qu’il y lit mais il se calme un peu alors qu'à contrario la colère monte en moi tel un geyser. Pourquoi ? Pourquoi il est là ? Fous-moi la paix putain !
- Qu’est-ce que ça peut bien te foutre de toute façon ? je lui réponds, d’une voix sèche en détachant soigneusement chaque mot.
- T’es sérieux là ?
Sa voix… Sa voix est bizarre. Elle est froide mais pas calme. Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Ça me fait mal mais tant pis : mes pilules ne devraient plus tarder à agir. L’or de son œil se voile.
- Je peux savoir pourquoi tu ris ?
- Tu veux vraiment le savoir ? Je ris de ma propre idiotie. Je ris de tes réactions. Je ris parce que ma vie est un véritable enfer depuis trois ans mais ce n’est rien en comparaison de ce qui se passe dans ma tête en ce moment. Je ris… parce que j’en ai marre de la vie. De ma vie. Je ris parce que tu es la dernière personne que je m’attendais à voir au moment fatidique. D’ailleurs… Pourquoi tu m’en as empêché hein ? Pourquoi ? De quel droit ?
Plus j’avance dans ma tirade, plus je vois la colère de Rey se transformer en fureur.
- Pourquoi ? Parce que j’ai eu un coup au cœur depuis que je t’ai vu descendre de cet arbre ce samedi-là. Parce que depuis que j’ai appris à te connaître, je ne sais plus où j’en suis. Parce que je… Je désire ce corps. Ton corps. Je… J’en ai grave envie. PUTAIN ! Tu as pris une place insensée dans ma vie. Dans… dans mon coeur… Parce que te voir dans cet état de douleur ce matin m’a complètement retourné l’estomac sans que je sache pourquoi. Mon petit lion… Je…
… t’aime.
Mon rire s’est coincé dans ma gorge lorsque sa voix s’est brisée sur ce dernier “je”. J’ai terminé sa phrase mentalement. J’ai enfin réalisé la teneur de mes sentiments. Je suis stupéfait et en même temps, je me sens idiot. Je suis amoureux. Amoureux d’un autre garçon. De Rey.
Ses larmes tombent sur mon visage et me transpercentle cœur comme jamais auparavant. Le venin de la culpabilité coule dans mes veines. Il réalise alors ce qu’il vient de dire. Ce qu’il a failli m’avouer. Son œil s’ouvre en grand. Je sais, je sens qu’il panique. Il est toujours à califourchon sur moi mais finit par se lever brutalement pour se diriger vers la porte.
- Rey…
Ma voix s’est faite suppliante. Je m’assois lentement. Sa main s’est arrêtée sur la poignée de la porte. Il hésite à l’ouvrir. Qu’est-ce que je dois dire ou faire pour qu’il reste ? Pour qu’il comprenne que c’est aussi à cause de lui que je suis comme ça ? Dans cet état ? Que je partage ses sentiments…
- PUTAIN, FAIT CHIER !
Ces mots hurlés avec tant de rage me font sursauter. Il ouvre la porte et la claque. J’entends la sienne se refermer presque aussitôt. Mes pilules choisissent ce moment pour agir. Je sens une sorte de sérénité se propager dans mes veines. Ou alors c’est l’effet de ses paroles ?
Parce que j’ai eu un coup au cœur depuis que je t’ai vu descendre de cet arbre ce samedi-là.
Parce que depuis que j’ai appris à te connaître, je ne sais plus où j’en suis.
Parce que je… Je désire ce corps. Ton corps. Je… J’en ai grave envie.
Parce que te voir dans cet état de douleur ce matin m’a complètement retourné l’estomac sans que je sache pourquoi.
Parce que j’ai envie de ce corps.
Il a envie de moi. Est-ce vraiment dans le sens où je le comprends ? Je repense alors à tous nos moments et un en particulier me revient à l’esprit.
Ne bouge pas mon petit lion… Je vais t’aider… Fais attention… Tes paroles… prononcées à l’instant… peuvent signifier tout autre chose… dans un contexte plus…
Évite de me faire des clins d'œil comme ça… ou je réfléchirai vraiment à l’idée de prendre une chambre…
Nous étions alors à l’Akuma Club. Pour moi ce n’était que de l’humour… Noir, certes, mais de l’humour. Rey est beau, il doit faire chavirer le cœur des plus belles filles… D’ailleurs… D’ailleurs, il est en couple avec Lydia. Je ne dois pas me fait d'illusion.
Le souvenir de ce matin me revient en mémoire avec une cruauté terrifiante. Il détient vraiment mon cœur entre ses mains. Je me roule en boule dans mon lit, l’oreiller où perce son odeur serré contre moi. Je ne sais plus quoi faire. Ni quoi penser.
PUTAIN ! Tu as pris une place insensée dans ma vie.
Dans… dans mon coeur…
Mon petit lion… Je…
Je crois que je me suis endormi. Je me réveille lentement, les yeux encore humides d’avoir pleuré dans mon sommeil, lorsque j’entends Stéphanie et Arnold rentrer. Je me lève avec difficulté et ferme ma porte à clé. Je n’ai envie de voir personne. Mon corps est douloureux et ma tête me lance… Je remarque sur la table de chevet des bandages, pansements, du rouge ainsi qu’un petit mot.
“Pourquoi avoir fait ça à mon corps ?”
À “mon” corps ?
Je ne sais pas comment comprendre cette phrase : son corps à lui ou le mien ? J’ai tendance à penser à la deuxième solution à cause de la présence des pansements. J’ai envie de croire que mon corps lui appartient vu que mon cœur est déjà à lui.
Ça y est, je recommence à me bercer d’illusions, à rêver. La chute n’en sera que plus dure, plus douloureuse. Mais je n’y peux rien. J’aime Rey. Je remonte dans mon lit et prie pour que Morphée me reprenne dans ses bras. En vain. Je ne veux pas penser, ni réfléchir mais mon cerveau a décidé de ne pas m’obéir.
Je visualise tous nos moments passés ensemble : à l’Akuma, dans la grotte… Je n’ai donc pas rêvé… Tous ces moments où nos corps étaient proches l’un de l’autre… Tout ce temps… il me… voulait ? Et ce, depuis le premier jour ? Je n’arrive pas à y croire…
Mais il semblerait que Rey ait peur de ses propres envies. Après tout, il m’a fui…
Toc toc.
- Tristan ? T’es là ? Tu descends manger ?
Stéphanie essaye d’ouvrir ma porte et comprend qu’elle est fermée à clé, signe de ma présence. C’est déjà l’heure du dîner ? Je n’ai pas envie de voir leurs visages. Pas envie d’essayer de faire comme si tout allait bien, si jamais ça allait bien un jour. Je lui glisse un mot sous la porte : “non”. Pas envie de parler non plus. Je l’entends soupirer de l’autre côté. Elle frappe à la chambre de Rey.
- Et toi Rey ?
- Je n’ai pas faim, Ma.
- Qu’est-ce qui se passe tous les deux ? Vous vous êtes disputés ?
- Laisse tomber, Ma. Je n’ai pas faim c’est tout.
Elle soupire à nouveau puis j’entends ses pas s’éloigner dans les escaliers. J’ai presque envie de ramasser mes pilules… Mais non. Je finis par réussir à éteindre mon cerveau et à ne plus penser à rien. Les yeux grands ouverts, je fixe le plafond à la recherche d’un semblant de sérénité.
BOUM.
J’ai finalement réussi à me rendormir. Je suis complètement amorphe, comme si toute velléité de bouger avait quitté mon corps. Je n’ai même pas envie de reprendre totalement conscience, de peur de ressentir à nouveau quelque chose.
Mmmh ? J’ai bien entendu ?
Il semblerait que Rey soit entré dans ma chambre. Je peine à ouvrir les yeux. Le lit s’affaisse près de moi. Pas dans mon dos mais devant moi. Je garde les yeux fermés, soudainement pleinement réveillé. Sa main caresse doucement ma joue. Je frissonne secrètement : j’espère qu’il ne le remarquera pas.
- Ah… Mon petit lion… Qu’est-ce que tu me fais ? Il n’y a qu’un mur qui nous sépare mais pour moi c’en est déjà trop. Ton odeur me manque. Ton sourire, même pathétique, me manque. Ta chaleur me manque… Pourquoi ? Je n’aime pas te savoir dans cet état. Surtout si c’est à cause de moi… Je ne suis qu’un imbécile… Je ne mérite pas que l’on pleure pour moi…
Que dois-je faire ? Ouvrir les yeux ?
Ses mains essuient les restes de mes larmes, en suivant leurs sillons sur ma joue. Il pousse alors un soupir à fendre même le plus solide des rocs. Il me semble tellement déchiré, tellement perdu. Je sens qu’il s’éloigne. J'attrape alors sa main et l’attire contre moi, le faisant perdre l’équilibre.
- Trist…
- Tais-toi et dors.
Je sens son sourire démono-carnassier dans mon cou qu’il embrasse doucement en inspirant longuement. Ma peau se couvre de frissons de plaisir et je souhaite que finalement il le remarque, qu’il voit l’effet qu’il me fait. Je l’emprisonne alors dans mes bras maigres malgré la douleur qui se propage dans mon torse. Son soupir d’aise me récompense. Il me rend mon étreinte de ses bras puissants et je ne peux m’empêcher de gémir de douleur.
- La prochaine fois que tu oses blesser mon corps, tu auras à faire à moi.
Cette fois-ci, j’ouvre les yeux en grand pour rencontrer les siens, quelques centimètres plus bas. Il pose un baiser sur mon nez, pendant que je prie qu’il descende sur mes lèvres frémissantes, et ferme son œil.
- Bonne nuit, mon petit lion.
Sur ces mots, il pose son front contre le mien et s’endort paisiblement alors que mon cœur bat la chamade et que mon corps me trahit de la pire des manières.
Une fois Rey installé dans mon lit, je n’ai que très peu dormi. L’avoir près de moi ainsi m’a complètement chamboulé, surtout après cette journée de merde. Qu’est-ce que je suis en train de faire ? Je ne devais pas enfermer mon coeur ? Jeter la clé ? J’ai dû recommencer à dormir au petit matin.
Lorsque je me réveille, Rey n’est plus là. Un millier de questions se bouscule dans mon esprit. Pourquoi est-il venu me retrouver ? Qu’est-ce que cela signifie ? Surtout… Pourquoi suis-je seul dans ce lit ?
Je meurs de faim. Je n’ai rien sur l’estomac depuis plus de vingt-quatre heures. Je regarde l’heure : 5h48. Je ne suis pas sûr que Stéphanie soit réveillée en revanche Arnold doit l’être lui. Ai-je vraiment envie de le voir assis à sa table de cuisine ? Non. Je décide d’attendre encore un peu.
Finalement, j’entends la porte de la chambre de Stéphanie s’ouvrir et ses pas feutrés descendre les escaliers. Prenant mon courage à deux mains, je sors de la mienne. J’avais raison : Arnold est bien là, lisant son journal, sa tasse de café fumante posée devant lui. Stéphanie s’affaire devant les fourneaux : elle prépare des crêpes, l’air soucieux.
- Ah… Te voilà, Tristan. Je… J’ai bien cru que tu ne descendrais pas… Assieds-toi et prends quelque chose à manger s’il te plaît. Depuis quand n’as-tu rien sur l’estomac ?
Sa question me fait tiquer… D’ailleurs, son comportement en lui-même me fait tiquer. Stéphanie a toujours été prévenante avec moi mais là… c’est trop. Comme si elle en faisait des tonnes. Je vois Arnold lever les yeux au ciel d’exaspération : Stéphanie le fait taire d’un simple regard.
Mais que se passe-t-il enfin ?
Je m’assois, un peu suspicieux, et commence à boire mon café au lait en mangeant une crêpe au chocolat. Rey n’est toujours pas là. Une fois mon petit déjeuner avalé, Stéphanie et Arnold me poussent vers le salon. Nous nous asseyons dans le canapé.
- Bon Tristan, commence Stéphanie. Demain c’est lundi…
Oui… Et ?
Je ne comprends pas pourquoi elle m’annonce une telle banalité.
- Stéphanie. Arrête avec les pincettes. Tu ne l’aides pas, là.
- Je sais mais avec tout ce qu’il a vécu…
Attends. Demain, c’est… lundi. Je… Je dois reprendre le lycée…
Le lycée… J’avais complètement oublié cette donnée. Mon petit déjeuner menace de remonter. Le regard d’Arnold me fait froid dans le dos et j’ai l’impression que toute la chaleur a quitté mon corps. Je crois que je n’y réchaperrai pas cette fois-ci.
- C’est pour cela que nous étions en ville hier. Nous voulions lancer les démarches pour que tu puisses prendre le bus scolaire, m’informe-t-elle, une lueur d’inquiétude dans les yeux. Mais comme ce n’est pas ouvert les samedis…
J’ai arrêté d’écouter. Je vais devoir aller au lycée. Revoir des ados. Des CPE. Des profs. Mon cœur s’accélère. Mon ventre se soulève et j’ai des hauts le coeur. Je sens monter en moi une énergie bien familière : la peur. Je voudrais dire non mais j’en suis incapable. La sueur commence à perler sur mon front. Non… Pas encore… Je ne suis pas prêt. Je ne veux pas ! Je sens une goutte froide descendre le long de mon dos.
Soudain, ma tête me tourne. Stéphanie se met devant moi et claque des doigts juste sous mon nez : je ne les entends pas. C’est à peine si je peux bouger. Ma respiration se bloque dans ma poitrine. Je panique et porte la main à mon cou. Je veux respirer mais je n’y arrive pas : j’ouvre et je ferme la bouche comme un poisson sorti de l’eau. Je sens mes larmes couler sans que je ne puisse rien y faire.
Mes jambes finissent par me lâcher et je tombe lourdement au sol. Mon corps est pris d’un tremblement totalement incontrôlable. On m’attrappe les chevilles pour les surélever. Ma tête est tournée sur le côté et des doigts s'enfoncent dans ma bouche pour maintenir ma langue. A ce moment-là, je vomis en toussant encore et encore. Je peux à peine respirer. Je ne distingue que très peu de chose autour de moi : le contour des meubles est flou et les sons me parviennent feutrés.
Tout se noircit peu à peu autour de moi… Je perds connaissance.
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