Marinette passe à l'action
« Mais qu’est-ce qu’y me fait, c’con-là ? » songea Marinette en voyant arriver Sylvette, jolie minette sur qui elle avait des vues, sous le bras de l’éclatant Raphaël, garçon qu’elle connaissait, certes, mais sans avoir jamais pensé qu’il fût hétéro…
On était au Pélican moldave, vaste et branchée brasserie de la ville ancienne que vous connaissez tous, et qui, ce vendredi soir d’août, n’était pas si pleine qu’à l’accoutumée.
D’où venait que la Marinette, qui était provisoirement seule, n’avait pas raté l’entrée des deux autres dans la grand salle, superbement décorée dans les années trente du siècle passé.
Ces jeunes gens ne l’avaient pas vue, et allèrent se poser dans un coin qu’elle ne pouvait apercevoir ; aussi saisit-elle sa chope de bière belge — car elle avait ses principes, et ne buvait que « la meilleure bière du monde », la Marinette — pour se décaler un peu, afin d’observer ce qui ne manquerait pas, elle le savait d’avance, de l’énerver au plus haut point.
Et même de la faire chier carrément, oui !
Car si la Sylvette était une jolie poupette qu’elle draguait non sans espoir de succès depuis quelques semaines, elle n’était pas encore arrivée à ses fins — que vous devinez hautement lubriques, hein ? — et voilà que ladite se pavanait tout sourire au bras du rayonnant Raphaël !
Un mot d’iceluy : grand, mince, blond foncé et avec une gueule de premier communiant doublée d’un look de premier de la classe, bien élevé et souriant toujours, il faisait figure de…
Oh ! J’ai oublié de préciser que ses parents étaient pleins aux as… ce qui en faisait… le gendre idéal.
Et donc l’ennemi public numéro un, pour une Marinette qui décida que la guerre nucléaire venait d’être déclarée, rien de moins !
Elle allait vous l’éclater, ce p’tit con, tout pété de tunes qu’il fût ! Poser la main sur SA Sylvette, comme ça, devant tout le monde !
Il ne le savait pas encore, le blondinet, mais il allait le payer cher !
À vrai dire, personne ne savait encore rien des desseins amoureux de la Marinette, à ce moment. Quelques unes de ses copines savaient qu’elle était seule depuis peu, et qu’elle louchait sur la jolie p’tite brune qu’était Sylvette, m’enfin, elle n’était pas la seule en ce cas… car la Sylvette était une jolie petite fille au teint pâle, un genre de porcelaine, qui faisait depuis toujours se retourner filles et garçons…
En revanche, elle savait peu de choses sur Raphaël. Ce beau, très beau garçon, s’était peu affiché en ville avec ses conquêtes, et encore qu’icelles eussent toujours été des nanas, Marinette était convaincue que ce minet en croquait pour les garçons.
Sans preuve, cependant… Là, elle sirotait sa belge en épiant les supposés amoureux… et elle était obligée de constater que le Raphaël y allait avec douceur et componction. La classe, donc… ce qui semblait plaire à la fillette, hélas !
Marinette était un peu plus… ou un peu moins… Disons qu’elle y allait plus au bulldozer qu’au poème courtois… ce qui lui avait du reste toujours réussi, ou presque.
Il ne se passait rien, à l’autre table… mais les supposés tourtereaux se dévoraient littéralement des yeux. Et ça l’énervait, la Marinette, qui sentait poindre en sa poitrine agitée une furieuse envie d’aller baffer tout l’monde, là !
Soudain parut ici quelqu’un à qui elle n’aurait nullement pensé : son cousin Nicolas, vingt ans tout juste, et qui venait continuer ses études céans. Il n’était pas en ville depuis une semaine, aussi ne l’avait-elle pas intégré dans ses circuits de pensée, comme elle disait.
Elle ne connaissait pas le type avec qui était, son coloc’, sans doute. Vite, elle fut frappée par la ressemblance du fin Nicolas avec le non moins gracieux Raphaël… si ce n’est que Nicolas était brun, au teint pâle et au regard bleu. Mais tout dans la démarche, dans l’attitude générale, les rapprochait…
Soudain jaillit en son cerveau surchauffé une idée diabolique : selon toute apparence, son cousin était aussi gay que ce bellâtre de Raphaël… et il allait servir ses noirs desseins !
Juste avant que les garçons prissent place, elle fit un grand geste du bras pour attirer leur attention ; elle leur fit signe alors de la rejoindre. L’autre était bien le coloc’ de Nicolas, gentil garçon au demeurant. Dont le téléphone sonna, à sa gêne. On apprit aussitôt qu’il était réclamé par sa copine, qui venait d’apprendre qu’il était en ville : en plein mois d’août, il y avait fait juste un saut pour y accueillir son nouveau colocataire… discrètement… mais ça avait donc raté.
Tout ce qui ravissait Marinette ! Elle suggéra à son mignon mais désemparé cousin de lui présenter un fort gentil garçon dans son genre, et sans attendre la réponse, elle le mena à Raphaël. Il y avait bien deux verres sur la table d’iceluy, mais Marinette prit d’autorité celui de Sylvette, qu’elle alla poser sur sa table… avant de foncer aux toilettes des dames.
Où il y avait la queue… façon de parler ! Elle chopa la Sylvette, qui sursauta, et lui tint à peu près ce langage : elle affirma que Raphaël n’était pas le bon cheval, vu qu’il était pédé jusqu’à l’os… et que d’ailleurs il l’avait déjà remplacée… par un mec aussi gay que lui. Sursaut et larmes de la petite pâlotte… que Marinette accueillit sur son sein palpitant.
Les filles entrèrent ensemble dans une cabine, où Marinette s’accroupit juste en face de la pisseuse (là, c’était le cas de le dire) pour la mater de près, avant de lui demander de s’asseoir sur ses genoux, tandis qu’elle évacuait ses surplus de bière belge tout en lui roulant des patins… Ambiance, dans le réduit !
En remontant, elle fit remarquer à la fillette comme les mectons se regardaient de près, et lui ordonna de passer près d’eux sans les regarder ; elle paya à la caisse et s’en fut, sa poupette sous le bras… et mouillant déjà comme une folle.
Elle abonda évidemment dans le sens d’icelle, qui trouvait « carrément dégueulasse » l’attitude de Raphaël… Mais elle sut faire passer ses regrets à une Sylvette qui n’était somme toute pas farouche et qui, si c’était sa première fois avec une nana, avait décidé de se venger de la plus éclatante manière…
Marinette laissa dire et profita des beautés de la p’tite, qui n’en manquait d’ailleurs pas. Et ce serait peut dire qu’elle la fit crier ! Car Sylvette hurla, carrément, et pas qu’une fois !
Elle avait tellement la bouche pleine des charmes de la fillette, et les oreilles des geignements d’icelle qu’elle n’ouït point son téléphone.
Y jetant un regard après la douche, elle y lut un message affolé de Nicolas. Le pauvret s’y plaignait d’avoir été invité au restaurant par un Raphaël entreprenant, certes, mais de toute classe : il lui demandait que faire !
Elle répondit aussitôt qu’il n’avait qu’à se laisser aller, car ce mec était la crème des mecs, et ne le violerait point ! Et ce fut bien contente d’elle qu’elle raconta à Sylvette avoir été mise au courant que Raphaël était dans un restaurant connu avec un jeune et joli mec…
Or donc, la nuit continua son cours… Au matin, on remit ça avec ardeur : Marinette cachait sa joie, mais la p’tite beuglait comme une jeune taure nouvellement saillie — ce qu’elle ne fut pas, notez !
Elle appela enfin son cousin, qui répondit à côté de toutes ses questions… Bien ! Il était sur le bon chemin… celui de l’amour, ou du moins du dérèglement des sens ! songea-t-elle.
L’adorable et blanche poupée qui gisait lascivement près d’elle lui faisait bouillir le sang, sans préjudice de ses autres humeurs…
Il fallut se séparer, vers deux heures. À peine partie, la petite fut remplacée par un appel désespéré de Nicolas, qu’elle convoqua incontinent. Le pauvret parut, l’air défait : elle lui servit une dose de raide à faire bander une momie — de la mirabelle de Lorraine —, et le fit parler.
Il avait été dragué par Raphaël — ça, elle l’avait prévu. Ce mec était la classe-même, et vite, ces garçons s’étaient découvert des tas de points communs. Il n’avait pu refuser l’invitation au restaurant, puis… puis ! On en était resté là. Et il ne savait qu’en penser, ce minet.
Marinette s’enquit des velléités de Nicolas… qui finit par avouer qu’il était partant… en pleurant sur le sein accueillant de Marinette. Laquelle jura que tout serait mis en œuvre pour que les choses allassent au terme désiré.
Elle conseilla au minet de ne pas lâcher le morceau, d’appeler tout de suite pour remercier, de suggérer de nouvelles rencontres… et surtout d’adopter les bonnes manières de Raphaël. Qu’elle avait compris aussi puceau que son cousin… Oh ! Quelle chance elle avait eue, de le voir arriver, çui-là ! Restait à le cornaquer avec adresse, intelligence et fermeté.
Et devant elle, Nicolas appela Raphaël. Vite, l’immense sourire de Nicolas lui indiqua que les choses se présentaient bien, ce qui lui fut confirmé aussitôt : le garçon était prié à une petite visite culturelle de la vieille ville, puis à un dîner chez Raphaël… qui avait même précisé que Nicolas pourrait dormir chez lui, en cas de besoin !
Elle rayonnait, Marinette, en serrant Nicolas en ses bras, lorsqu’il fila à son rendez-vous.
Elle-même ne perdit pas son après-midi, qu’on m’en croie ! Cependant, elle se garda un temps pour parler à Nicolas, tandis que Sylvette se prélassait dans sa baignoire, après un épisode de fortes chaleurs… comme ils disent à Météo France !
Le minet semblait à la fois tremblant et excité, au bout du fil ; du moins apprit-elle que ces garçons étaient passés à l’acte, et que Raphaël avait été, au dire de Nicolas, de la plus parfaite tenue — tous sens confondus !
Et elle se dit qu’elle l’avait échappé belle ! Car si la Sylvette était tombée dans les filets de ce gentleman-là, qui sait ce que ça aurait donné… pour tout le monde !
Bref, tout était bien qui finissait mieux qu’espéré, oui-da ! Marinette pensa qu’il vaudrait mieux attendre un petit temps avant de remettre en présence sa poupette et l’éclatant Raphaël… mais elle croisa celui-ci en ville avec Nicolas sous le bras deux jours plus tard, et il rayonnait tellement, le Raphaël ! Nicolas aussi, d’ailleurs…
22. VIII. 2020
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