Éphémère liberté

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Pendant la réunion qui suivit, Tina était sur un nuage de luxure. Son corps ressentait encore tous les bienfaits de cet étalon, alors qu'elle entendit la vibration d'un téléphone dans son sac à main. Elle savait alors qu'il s'agissait d'André ou de Nathalie, le sien officiel étant sur mode sonnerie. Rapidement, elle s'excusa et fila aux toilettes. Juste après être montée si haut, Tina redescendit sur Terre à la vitesse grand V en lisant le contenu du message, sur le portable qu'elle partageait avec André: "Madame. Ne rentrez pas chez vous après la réunion. Allez dans un endroit public, que l'on vous voie et détruisez ce téléphone, qu'il n'en reste aucune trace. Je vous aime, madame".

Assise sur le trône, Tina sentit ses jambes défaillir, puis tout le reste de son corps. Elle connaissait peu André, au fond, mais elle savait dans quel monde il évoluait, si proche d'elle et à la fois si loin. Ses mains tremblaient, imaginant déjà le pire. S'il lui demandait de détruire le téléphone, c'était qu'il se sentait en danger... et ce mot-là, dans le monde d'André, était synonyme de mort imminente. Un instant, Tina fut perdue, dans une ignorance qui accentuait encore son malaise. Elle ne réussit donc qu'à s'accrocher à une chose: les derniers mots d'André. Il ne le lui avait jamais dit, mais elle le savait. Ce n'était pas réciproque et c'est bien pour ça qu'il ne lui disait rien. Avec des gestes approximatifs, elle retira la batterie du portable et fit glisser la carte sim, qu'elle brisa en deux avant de la jeter dans la cuvette. Elle tira la chasse et sortit de la cabine en prenant une grande inspiration.

Au lavabo, elle se lava les mains, les frotta. Elle n'arrivait pas à penser, à raisonner comme elle le faisait continuellement d'habitude. Faire ce qu'André a dit, s'arrêter à cela, et il serait bien temps de réagir lorsqu'elle aurait de ses nouvelles. Oui, elle allait avoir bientôt de ses nouvelles et tout s'arrangerait. Elle trempa son visage, doucement pour ne pas retirer son maquillage et était en train de s'essuyer lorsque Lydie entra à son tour.

-- Tout va bien, Tina? Ça fait dix minutes que tu es là-dedans.

-- Oui. Oui, pardon, répondit Tina en espérant ne pas être livide. Une petite nausée, mais c'est passé.

-- Oh! Ça pourrait être ce que je pense? lui fit Lydie avec un sourire.

-- Aucune chance, crois-moi. Je parierais plutôt sur le plat de ce midi.

Lydie n'eut pas vraiment l'air de la croire, mais elle ne dit rien. Sa présence lui fit du bien. Lydie était de celles qui rien qu'en vous regardant pouvait vous rebooster un moral en berne.

-- Tu sais... Le vernissage dont tu m'as parlé...

-- Oui! Dommage que tu ne puisses pas venir, j'aurais aimé te présenter...

-- Je vais venir, finalement!

-- Oh? Alors super! Allez viens, les autres t'attendent.

Pour oublier son stress, Tina se donna à fond dans la dernière partie de la réunion. Avant le vernissage, Tina insista pour inviter Lydie à aller boire un verre. Il s'agissait surtout de ne pas rester seule. Mais Lydie n'était pas quelqu'un à qui l'on pouvait cacher quelque chose bien longtemps. À plusieurs reprises, elle lui demanda si elle allait bien, qu'elle ne semblait pas dans son assiette, ailleurs. Tina faisait comme elle pouvait pour botter en touche à chaque fois. Avant de ressortir du bar, elle nettoya le portable grâce auquel elle communiquait avec André pour en retirer au mieux les empreintes, sépara chaque partie démontable et les enveloppa dans des emballages de serviettes hygiéniques. En marchant le long des quais pour se rendre au vernissage, elle les balança sous les yeux médusés de Lydie.

-- Qu'est-ce que tu as balancé? Ça n'avait pas l'air très écolo, tout ça.

-- Disons que je me débarrasse d'un poids.

-- Toi, tu vas avoir des choses à me raconter, madame Dupin!

Elles partirent ensemble d'un rire léger et se rendirent bras dessus, bras dessous, à ce fameux vernissage. Tina vit d'abord plusieurs journalistes en train de mitrailler la star du jour: un jeune homme qui ressemblait à un adolescent et dont les clichés de femmes nues tapissaient les murs de la galerie. Seulement du noir et blanc, des femmes de toutes les origines, de toutes les carrures. Elle entendit l'artiste dire volontiers aux journalistes que son but ultime serait de prendre en photo toutes les femmes du monde.

En discutant avec Lydie, elle apprit que sa démarche était empirique puis pragmatique. En fait, il ne faisait que choisir une terrasse de café où s'asseoir et regardait, scrutait, le maximum de femmes qui passaient. Parfois, une d'elles lui "chuchotait", comme il se plaisait à dire. La période empirique faisait alors place au pragmatisme, à l'action. Il allait l'accoster et lui proposait de poser pour lui sans attendre, comme elle était, sans aucune préparation, quitte à la rémunérer si besoin. Comme cette femme, une mendiante, sale et belle à la fois. Ses seins tombaient en gants de toilette, sa peau était flasque. Mais il la rendait belle, presque désirable, si ce n'était l'immense tristesse dans ses yeux.

Ce tour de galerie fit oublier à Tina ce qui l'avait amenée ici. Chaque corps, chaque regard, chaque sourire ou visage crispé racontait une histoire. Qu'elle soit belle, heureuse ou malheureuse, chaque femme, avec son corps offert aux regards, était un véritable roman. Comment arrivait-il à faire cela? Tina en était subjuguée, et écoutait Lydie lui expliquer le travail de son ami sans dire un mot, recevant chaque histoire de plein fouet, sans pouvoir les refuser. Ce qui donnait une certaine violence au travail de ce Jérémie Paltine.

Les présentations vinrent. Le regard de cet homme sur elle était comme un viol. Il vous pénétrait sans que vous ne l'ayez invité. Mais ce viol était agréable, il n'y avait aucun moyen de s'y défaire.

-- Je vous veux, lui dit-il sans plus d'explication.

Mais Tina ne réussit pas à s'en offusquer. Quelque chose en lui était démoniaque, mais il avait un visage d'ange qui appelait autant à la confiance qu'à la luxure. Elle se perdait dans son profond regard, n'arrivait pas à regarder ailleurs.

-- Madame Dupin?

Elle allait accepter. Elle luttait encore un peu, tout en sachant qu'elle se donnerait à son œil et même à tout ce qu'il voudrait.

-- Madame Dupin, excusez-nous de vous déranger...

Elle tourna la tête lorsque Jérémie le fit aussi. Elle découvrit près d'elle deux hommes dont la tenue n'avait rien à voir avec l'art ou l'argent qui l'achetait. L'un des deux, le visage marqué par des années de tabagisme, dégaina un portefeuille et lui montra discrètement une carte de police. Tina fronça les sourcils, ne comprenant pas ce qu'ils venaient faire là. Et alors que l'inspecteur elle-ne-savait-plus-quoi commença à lui parler, tout lui revint en tête. Son cœur s'emballa.

-- Pourriez-vous nous suivre, madame Dupin? C'est à propos de votre mari.

-- Puis-je l'accompagner? demanda Lydie avec une sorte de panique sur le visage.

-- Vous êtes une amie? demanda l'inspecteur.

-- Une très bonne amie, répondit Lydie.

-- Alors il vaudrait mieux, oui.

Abasourdie, muette, le visage livide, les yeux fixes et le cerveau vide, Tina suivit Lydie qui la trainait vers l'extérieur, précédée des deux policiers.

-- Que se passe-t-il, finit-elle par réussir à leur demander une fois dehors et qu'ils s'étaient tournée vers elle avec des faces décomposées.

-- Madame Dupin, j'ai le regret de vous apprendre que votre mari a succombé à un accident de la route, il y a environ une heure.

Lydie dut retenir Tina qui menaçait de s'effondrer. Mais Tina n'était pas vraiment attristée de la perte de son mari. Elle comprit à cet instant qu'au fond d'elle, elle savait qu'un jour ça arriverait, qu'une mort violente l'emporterait, due à un ennemi en affaires. Elle comprit aussi qu'elle l'attendait, qu'elle l'avait choisi peut-être pour ça: être veuve et encore jeune, pleine aux as. Est-ce que cela faisait d'elle une mauvaise personne? Ce n'était sûrement pas pire que d'épouser et profiter d'une femme uniquement pour ce qu'elle pouvait vous apporter socialement.

Non, Tina ne s'effondrait pas parce qu'elle regrettait ses choix, mais parce qu'elle faisait le lien avec le message d'André. Quelque chose avait fait que son soumis avait éliminé son mari... et que quelque part, elle se retrouvait sûrement complice d'un meurtre. Et ces deux policiers étaient là pour la questionner, pour lui faire dire qu'elle savait tout de ce meurtre. Ils utilisaient le terme d'accident pour la berner, pour l'adoucir, mais les questions allaient fuser, intraitables.

-- Comment? demanda-t-elle dans un sanglot qui sembla désarmer les deux hommes.

-- Madame, je... Veuillez recevoir toutes nos condoléances. Nous n'en savons pas plus, pour l'instant. Il semblerait que ce doit dû à la vitesse. Le véhicule de votre mari s'est fait flasher quelques minutes avant à une vitesse de plus de 150km/h. Le chauffeur a perdu le contrôle, d'après des témoins. Lui aussi est décédé, ainsi que le garde du corps de votre mari.

André. C'en était trop pour elle. Tina entrevoyait pourtant déjà le sacrifice de son soumis. Mais mille questions se bousculaient en elle alors qu'elle se laissa complètement aller dans les bras de son amie. Les sanglots se muèrent en cris, en plaintes. Lydie autant que les policiers imaginaient qu'ils étaient pour Léo Dupin, et ils avaient en partie raison, mais la grande majorité était destinée à André, cet homme formidable dont elle se rendait maintenant compte de l'importance qu'il avait pour elle. Trop tard. Il est toujours trop tard, pour ces choses-là.

-- Quand pourrai-je les voir? finit-elle par demander en reniflant.

-- Madame, c'est...

-- Je sais très bien ce que j'y verrai! Je veux les voir! Tous les trois!

-- Nous vous tiendrons au courant, madame.

Lydie ramena Tina chez elle. Il n'y eut pas un mot de tout le trajet. Dans la demeure qui allait lui paraître bien vide d'ici peu, c'était l'effervescence. Accompagnée de son amie, elle croisa des hommes affairés, tristes, compatissants. Mais affairés. Tous ces gens étaient là pour préserver le royaume de la mort qu'avait construit Léo, pour ne pas perdre leur place, même gagner en galons. Léo avait sûrement déjà désigné son successeur à la tête de cet empire du mal, et elle serait rapidement évincée, jetée dehors comme l'indésirable qu'elle était depuis le début.

Errant telle une âme en peine dans les couloirs de sa maison, répondant comme elle pouvait aux condoléances qu'on lui offrait avec le plus de sincérité dont ces hommes étaient capables, elle mena Lydie jusqu'au bureau de son mari. Seul Mathieu, le seul véritable ami de Léo, était là, pleurant celui qu'il appelait "frère" avec un verre de cognac à la main.

-- Il est mort en te détestant, lui dit-il une fois que la porte fut refermée.

-- Comment peux-tu...

-- Arrête! hurla-t-il en brandissant des clichés qu'il balança dans la pièce.

Tina se vit avec André, le tenant par la laisse en riant, montée sur son dos, ou chevauchant son énorme chibre. Elle croisa le regard d'une Lydie effarée, mais préféra affronter celui de Mathieu.

-- Ne t'inquiète pas, lui cracha-t-il avec dédain. Ce sont les seuls clichés qui existent. Tout le reste a été détruit. Il ne voulait pas devenir la risée du monde entier. À quoi tu pensais, bordel?

-- À moi, répondit-elle sans aucune hésitation.

-- Bien tout ce qui t'intéresse...

-- Parce que personne d'autre ne l'a jamais fait, Mathieu. Et ne va pas me dire que Léo le faisait. Il me laissait vivre ma vie tant que ça n'interférait pas dans ses affaires. Il n'en avait rien à faire, de ce que je pouvais ressentir. Ce n'est pas moi qui l’avais remis sur pied après la perte de sa femme, c'est l'amour de lui-même à travers mes yeux. Il était imbu de sa personne au point de ne pas voir ce que je pouvais vraiment ressentir.

-- Il t'aimait, lui lança Mathieu, visiblement déstabilisé.

-- Il aimait surtout ce que je représentais à ses yeux. Il n'aimait pas la femme que j'étais. Sinon il n'aurait pas passé les dernières années sans me toucher ou presque. L'amour est fait de désir, Mathieu, et il n'en avait plus aucun pour moi. L'amour est fait de passion et de passion, il n'en avait que pour les affaires! Ah! Les affaires! Tu crois que j'étais si dupe que ça, Mathieu?

-- Tina, arrête...

Il était clair que Mathieu ne souhaitait pas discuter de ça en présence de Lydie, surtout en sa présence à elle. Tina, elle, semblait partie pour vider son sac, enfin se délester de tous ces secrets qu'elle partageait avec eux sans pouvoir jamais en parler. Quelqu'un frappa à la porte alors qu'elle s'apprêtait à continuer ses accusations, et Mathieu sauta sur l'occasion:

-- Entrez!

Dès que la porte s'ouvrit, Tina vit le visage fermé de Nathalie. En un clin d'œil, il ne fut plus question de cacher quoi que ce soit. Elles se jetèrent dans les bras l'une de l'autre et se serrèrent aussi fort qu'elles purent. Nathalie n'avait pas besoin de lui dire à quel point elle était ravagée par cette annonce. Sans un mot, elles partageaient les mêmes émotions. C'était triste pour Léo et son chauffeur, mais André ne méritait pas ça. Pourtant, Tina se doutait que son amante ne savait pas tout sur cet accident.

Elles séchèrent leurs larmes et Tina fit les présentations à Lydie:

-- Lydie... Voici Nathalie, la secrétaire de mon mari. Et voici Maître Leblanc, l'avocat de Léo, précisa-t-elle en désignant l'homme qui suivait Nathalie.

Après les condoléances d'usage, celui-ci ouvrit sa mallette et invita Mathieu, Tina et Nathalie à s'asseoir. Lydie resta debout derrière Tina, Nathalie prenait des notes du mieux qu'elle pouvait, et Tina et Mathieu écoutaient:

-- Monsieur Dupin avait laissé un testament. Je ne vais pas vous le lire en entier, vous avez du temps à prendre pour pleurer la mort subite de votre mari et de votre ami. Tout ce que vous devez savoir, c'est que l'ensemble des biens financiers reviennent pour deux tiers à ses enfants, l'autre tiers à Madame Dupin. Cette demeure ainsi que toutes les propriétés de votre mari et ce qu'elles contiennent vous reviennent à vous, Madame Dupin. Il y en a douze en tout, dans différents pays. Pour la plupart, ce sont de simples appartements. Il n'aimait pas les hôtels.

Tina elle-même parue surprise. Douze? Elle qui n'en connaissait que trois! L'avocat fit une pause, les yeux posés sur elle, comme s'il attendait une question. Tout le monde avait des questions lorsqu'il s'agissait de succession. Mais Tina n'en posa aucune, alors il continua.

-- Pour ce qui est des activités de votre mari, il était convenu que Mathieu Bidal ici présent prenne la suite de Monsieur Dupin à la tête de ses entreprises, conjointement avec son fils aîné, pour terminer de le former. Uniquement si vous acceptez cette mission. Vous l'acceptez, Monsieur Bidal?

Mathieu hocha simplement la tête pour signifier son accord.

-- Bien, nous verrons plus tard les démarches. Bien entendu, Madame Dupin, vous pouvez vous opposer à ce testament et vouloir prendre la tête de l'empire de votre mari. Il s'agit d'une grande responsabilité, mais aussi une grosse somme d'argent, cela va sans dire. Toutes les parts que votre mari avait dans des entreprises iront directement à Monsieur Bidal directement. En fait, une partie lui appartient déjà. Si vous souhaitez contester les dernières volontés de votre mari, cela entamera une procédure, qui risquera d'être longue. Mais il est possible d'obtenir gain de cause.

-- Je ne veux pas de tout ça, répondit Tina les mâchoires serrées. Tous ces gens me débectent, vous me débectez tous les deux. Si vous en avez fini, veuillez quitter ma maison. Vous et tous ces rapaces, dehors.

-- Voici une copie pour chacun d'entre vous du testament de Monsieur Dupin. Il a écrit des mots pour vous deux. Lisez-les avant de prendre quelque décision que ce soit.

Mathieu se leva sans un mot. Maître Leblanc le suivit. Cinq minutes plus tard, la maison était vide. Mathieu avait emmené avec lui sa suite d'hommes d'affaires, d'hommes de loi et d'assassins en tous genres loin de chez Tina. Il allait continuer ce que Léo avait créé, les intimidations ne prendraient pas fin.

Nathalie et Lydie étaient restées, elles. Assises au salon, Lydie leur servait à chacune un verre de remontant. Tina gardait le regard dans le vague, tenant la main d'une Nathalie chaleureuse, effondrée autant qu'elle, mais qui se sentait désarmée face à la tristesse de celle qu'elle aimait.

-- Je vais racheter le journal, déclara Tina à brûle-pourpoint.

-- Hein?

-- Racheter le journal. Tu en seras la rédactrice en chef, Lydie. Nathalie, tu vas démissionner dès demain. Pas question que je te laisse livrée à ces fous. Mathieu a toujours considéré que Léo devait être plus... percutant. On va mener cette guerre à laquelle tu tiens tant, Lydie.

-- Ne dis pas n'importe quoi, Tina, lui lança Lydie sans colère. Tu es sous le choc et tu divagues. Tu prends des décisions sous l'impulsion et ce n'est pas toi, ça.

-- Je vais revendre toutes ses propriétés. Si tu le souhaites, Nathalie, tu pourras t'installer avec moi. Je t'aime, tu sais.

-- Tina, je...

-- Ne me réponds pas tout de suite. Lydie. Je suis maintenant à la tête de plusieurs millions d'euros. Bien plus que je ne pourrais en dépenser en toute une vie. Je ne compte pas mourir un jour sans laisser ma marque sur cette Terre. Le monde entier se souviendra du passage de Tina Dupin, Lydie Bosquet et Nathalie Ledu comme un ouragan qui aura mis à bas les bases d'un monde devenu obsolète. Je vais bouffer ce monde, et commencer par ce petit enculé de Mathieu Bidal.

-- Il est dangereux, Tina, précisa Nathalie. Il me fait peur, cet homme. Il aime la violence. Peut-être a-t-il déjà prévu de vous tuer!

-- Fini de se vouvoyer, Nathalie. Si tu veux encore de moi, nous l'assumerons en plein jour, maintenant. André a donné sa vie pour que nous puissions le faire.

-- André? Mais...

-- Tu ne sais pas tout, Nathalie. Lydie, si tu ne veux pas entendre la suite, je le comprendrais.

Lydie ne bougea pas d'un poil. À son regard, Tina comprit qu'elle la suivrait, qu'elle ne pensait plus qu'elle divaguait. Mais bien entendu, elle voulait avoir toutes les cartes en mains pour prendre sa décision.

-- J'ai vu André, aujourd'hui.

Elle se tourna vers Lydie, un léger sourire en coin, bien que rempli de tristesse:

-- André était le garde du corps de mon mari... et mon soumis.

Lydie ne dit rien. Les clichés qu'elle avait vus plus tôt avait été assez explicites sur ce point.

-- Pendant la réunion, quand je suis allée aux toilettes, c'est parce que j'avais reçu un message de sa part. Nous utilisions des téléphones sans abonnement. Je trouvais qu'André était un peu paranoïaque, mais finalement... Quoi qu'il en soit, il me disait de ne pas rentrer chez moi, d'aller dans un lieu public où l'on me verrait et de détruire le téléphone.

-- D'où le fait que tu aies soudainement voulu m'accompagner au vernissage.

-- Oui. Désolée. Je pense qu'André savait, je ne sais pas comment, que Léo était au courant pour nous deux. Et cet accident, j'en suis persuadée, n'est pas arrivé par hasard.

Nathalie était sous le choc. Elle découvrait à la fois jusqu'où allait la dévotion - et l'amour - d'André pour Tina, et la détermination de celle-ci, qui semblait avoir déjà fini de pleurer son mari et son soumis. La jeune femme ne savait plus sur quel pied danser. Oui, elle allait démissionner. Bien entendu. Mais oserait-elle suivre Tina dans cette folie qu'était déclarer la guerre à Mathieu?

Pourtant, elles furent une nouvelle fois aidées par André. Même mort, il allait continuer de les étonner.

Leur discussion fut interrompue par la sonnette de l'entrée. Tina alla ouvrir, imaginant voir débarquer une femme de ménage, une servante, ou encore le majordome, en pleurs, à l'annonce du décès de leur patron. Mais il n'en fut rien. Un homme se tenait devant elle, un paquet dans les bras. Large d'épaules, une coupe à la militaire, il semblait dans les âges de Tina, malgré ses tempes blanchies. Une veste en cuir, un jean usé et des rangers aux pieds, bien serrées. Il avait une mâchoire carrée et les yeux rougis par des larmes qui ne coulaient plus.

-- Madame Dupin...

-- Vous êtes?

-- Je suis Cyril, un ami d'André.

Tina ouvrit la bouche de surprise. Les larmes revinrent et elle tenta de les sécher en invitant l'homme à entrer.

-- Je suis tellement désolée, Cyril. J'aimais beaucoup André, je...

-- Je sais, Madame. Je sais tout, même plus que vous.

Tina s'arrêta net, alors qu'ils n'en étaient qu'à la moitié du chemin pour le salon. Elle virevolta vers Cyril et le dévisagea. Il était bel homme et semblait très affecté par la disparition de son étalon. Peut-être autant qu'elle. Sûrement avaient-ils vécu ensemble des situations dangereuses, peut-être même avaient-ils ensemble obéi à des ordres qui défiaient toute morale. Si tel était le cas, pas étonnant qu'André ait partagé son secret avec lui.

-- Vous étiez si proches que ça, tous les deux? lui demanda-t-elle.

-- Autant que vous... Mais d'une autre manière.

Tina tomba de haut. Son André... homo? Bi? Elle sourit finalement à Cyril et lui caressa la joue avec affection.

-- Alors nous avons subi la même perte, ce soir, Cyril. Soyez mon invité, je vous en prie.

-- Merci Madame.

-- Vous n'étiez pas jaloux? Je ne savais pas qu'il... était en couple.

-- Nous ne l'étions pas, Madame. André et moi, nous... nous ne formions qu'un. C'est difficile à expliquer, Madame. Mais il m'a énormément parlé de vous et des sentiments qu'il avait à votre égard.

-- Venez, lui dit Tina en retenant de nouvelles larmes. Je vais vous présenter aux deux femmes les plus importantes dans ma vie.

Ils arrivèrent tous deux devant Lydie et Nathalie, qui dévisagèrent Cyril. Lorsque Tina leur expliqua qui il était, elles vinrent chacune son tour le prendre dans leurs bras.

-- Ce paquet est pour vous, Madame.

Tina prit ce qu'il gardait dans les mains depuis son arrivée et l'ouvrit avec autant d'impatience que d'appréhension. Contrairement à ce qu'elle avait cru, il n'y avait pas un mot pour elle, pas de vidéo posthume où il exprimait ses sentiments pour sa Maîtresse. Il n'y avait rien de tout cela dans ce paquet. Il y avait bien mieux. Des photos, des notes, des tonnes. Elle en parcourut quelques unes et au fur et à mesure que ses yeux roulaient sur le papier, son visage s'illuminait. Elle finit même par sourire à Cyril et posa le paquet sur la table basse.

-- André a toujours su m'offrir ce dont j'avais exactement besoin au moment où j'en avais le plus besoin. Et aujourd'hui, alors qu'il s'est sacrifié pour moi, il m'offre ce paquet qui fera tomber toute l'organisation que ce Mathieu Bidal compte reprendre. Et vous.

Tina embrassa Cyril sur la bouche devant Nathalie et Lydie, médusées. Nathalie jeta un coup d'œil rapide au contenu du carton et comprit en voyant la photo de Mathieu, une arme à la main pointée sur un homme. André avait, tout ce temps, accumulé des preuves contre son propre patron. Il les offrait à Tina parce qu'il savait ce qu'elle en ferait: gagner sa liberté.

Cyril ne bougea pas d'un poil, lui. Raide comme un militaire au garde à vous, à peine s'il lui rendit son baiser. Tina lui sourit, du sourire de la victoire et glissa sa main le long de sa veste en cuir, jusqu'à la poser sur son entre-jambes.

-- Et le Cyril qu'André m'offre est-il aussi bien pourvu que lui? demanda-t-elle.

-- Sûrement pas autant qu'André, Madame. Mais il me disait lui-même que j'avais une part africaine entre les jambes.

-- Déshabillez-vous, Cyril...

Lydie attrapa Tina par le bras et la fit reculer, alors que la récente veuve se léchait les babines d'avance.

-- Qu'est-ce que tu fais, Tina? Tu sais très bien que les journalistes vont bientôt débarquer, les paparazzis et tout le toutime. Sans parler de la police, s'ils remarquent que l'accident n'en est pas vraiment un!

-- Ne vois-tu pas que les volets sont fermés, Lydie? Nous ne faisons qu'honorer les dernières volontés d'un homme qui m'était cher.

Nathalie ne put s'empêcher, pendant ce temps, d'observer l'homme qui quittait ses vêtements. Ses muscles étaient puissants, comme ceux d'André. Elle s'était habituée et avait beaucoup apprécié la peau noire d'André, au goût épicé. Mais celui-ci n'était pas si différent, si l'on exceptait la couleur de peau. Et lorsqu'il fut entièrement nu, elle se mordit la lèvre inférieure. Son sexe n'était peut-être pas aussi long que ce qu'elles avaient connu avec André, mais il était large comme le sien. Et alors que Tina s'éloignait de Lydie pour aller retrouver son nouvel étalon, elle sentit en elle monter l'envie de goûter à cette queue.

Tina passa derrière Cyril, lui caressa ses fesses musclées et vint attraper son pieu encore tout mou en mordillant son épaule. Cyril fut pris d'un frisson, son regard se perdit dans le vague.

-- Mes chéries, je vous présente Cyril. Notre nouveau gardien... et jouet. C'est bien cela, Cyril? C'est pour ça qu'André t'a amené à moi?

-- Oui, Madame. Je lui ai promis de vous servir aussi bien que lui le faisait.

-- Oh mon Dieu, souffla Lydie. Tina, c'est...

-- C'est ainsi, Lydie. Je suis ainsi. Mais ne t'y trompe pas. Je respecte énormément le choix qu'il fait. Il sera traité de la plus belle des manières. Si nous devons partir dans cette croisade ensemble, nous devons nous respecter, dans notre globalité. Maintenant, je comprends tout à fait que ce beau mâle qui semble déjà aimer mes caresses ne t'attire pas... Tu ne dis rien, Nathalie? Qu'en penses-tu, toi?

-- Je suis avec toi, Tina. Tu sais que je t'aime.

Nathalie s'avança jusqu'à Tina et tout en tâtant les bourses de Cyril qui commençait déjà à bander et révéler un sexe qui n'avait pas à rougir face à celui d'André, elle l'embrassa tendrement. Le baiser dura un moment, pendant lequel leur étalon ne bougea pas, se laissant ainsi massé par les deux femmes. Finalement, elles se tournèrent vers Lydie. Elles n'eurent pas besoin de parler, la question était flagrante dans leur regard. Allait-elle les suivre? Se sentait-elle capable de passer de la théorie à la pratique? Mais surtout, les rejoindrait-elle dans ce petit cercle qui, tel Don Quichotte, se proposait d'abattre les moulins à vent qu'étaient le capitalisme et le patriarcat?

Hésitante, Lydie fit un pas en avant. Puis s'arrêta.

-- Nous devrons opérer dans le plus grand secret, dit-elle.

-- Cela va de soi, répondit Tina sur un ton proche de celui qu'avait dû prendre le serpent qui incita Eve à croquer dans la pomme.

-- Jamais Fabienne ne devra être au courant de ce que nous faisons avec Cyril, rajouta-t-elle en faisant un pas de plus.

-- Comment le pourrait-elle?

-- Et jamais nous n'utiliserons les abjects procédés de ton mari.

-- Ils seront enterrés avec lui...

Nathalie prit la main de Lydie et la posa sur le gland maintenant gorgé de sang de Cyril. Elle planta son regard dans le sien, à la fois apeurée et excitée. Puis elle serra. Sans ménagement, elle écrasa le gland de l'homme dans sa main qui lâcha un râle de douleur, tout en s'appuyant sur Tina derrière lui. Aussitôt, Nathalie fit de même avec ses couilles et il grogna encore plus fort. Tina suivit le mouvement et pressa de toutes ses forces la verge de Cyril qui se plaignit de tant de douleurs, mais esquisser le moindre geste de fuite.

-- Ensemble, déclara Tina. Toutes les trois, nous partagerons tout. Les trois sœurs qui délivreront les femmes du joug du patriarcat.

-- Ensemble, répéta Nathalie.

-- Ensemble, compléta Lydie.

Elles lâchèrent leur pression sur le sexe de Cyril qui se détendit d'un coup. Tina remonta ses mains sur le visage de Cyril, pour lui cacher les yeux et la bouche.

-- Tu es à moi, maintenant, Cyril. Tu m'obéiras au doigt et à l'œil, comme le faisait notre cher André. Tu combleras ta Maîtresse, et ça passera par Nathalie et Lydie... Si l'envie lui en prend. Seras-tu heureux ainsi?

Cyril hocha la tête. Nathalie le branlait avec douceur, fascinée par ce membre dont elle pourrait se servir à volonté. Elle planta ses ongles dans la peau de son ventre et le griffa, sentant ses abdominaux se tendre. Une plainte étouffée sortit de sa bouche lorsqu'une goutte de sang coula.

-- Nous allons maintenant prendre possession de toi. Nathalie?

D'un simple échange de regards, celle-ci sortit du salon. Lorsqu'elle revint quelques minutes, Lydie et Tina étaient nues. Elle fut surprise par la toison fournie de Lydie, mais son corps était bien plus ferme que ce qu'elle aurait imaginé. Cyril était allongé par terre. Tina était debout sur lui et Lydie caressait les seins de son amour. Elle déposa sur la table les godes qu'elle trouvé bon de prendre dans la table de nuit de Tina, ainsi que les paires de menottes que la veuve cachait précieusement.

Nathalie attacha l'homme avec précaution, les bras et les jambes tendues et serrées. Droit comme un piquet, il sourit à la femme qui allait devenir toute sa vie, juste au-dessus de lui. Elle lui rendit son sourire, en se mordant la lèvre inférieure.

-- Puis-je parler, Madame?

-- Fais, Cyril.

-- Je crois que je viens de voir la raison de son amour pour vous.

-- Et réciproquement, mon bel étalon...

Tina se baissa. Nathalie elle-même tenait le chibre de Cyril bien droit. Elle gémit de plaisir en voyant de si près le vagin de Tina s'ouvrit en s'empalant dessus. Rapidement, il disparut en elle. Tina râlait déjà, montait et descendait le long de sa puissante verge, et Nathalie la rejoignit, assise sur le visage de Cyril. Elle invita Lydie d'une main tendue qui se retrouvait bien plus timide qu'à son habitude. Tina s'agitait de plus en plus sur le sexe de Cyril dont les gémissements étaient étouffés sous Nathalie qui se frottait sur sa langue, son visage entier.

La plus âgée passa une jambe de chaque côté de l'homme, faisant face à Tina. Celle-ci ralentit ses va-et-vient et prit ses cuises dans ses bras pour la serrer contre, le visage dans la toison de son pubis. De son côté, Nathalie se mit à embrasser et lécher ses fesses un peu ramollies par le temps, mais si généreuses qu'on ne pouvait avoir qu'envie d'y plonger. Ce qu'elle fit de sa langue alors que Lydie caressait les cheveux de Tina.

Reprenant sa chevauchée endiablée, Tina fit s'asseoir une Lydie ronronnant de plaisir. Toutes les trois s'embrassèrent, assises sur Cyril qui grognait de plaisir. Tina l'avait pris en elle, au plus profond de son être, Nathalie couinait sur son visage, et Lydie se frottait sur son torse et son ventre, penchée comme elle pouvait pour réussir à profiter de la bouche de ses deux amantes, ses deux sœurs.

Tina partit la première, giclant son nectar sur Cyril. Sa propre jouissance déclencha celle des deux autres. Ensemble, déjà. Unies dans le plaisir et dans tout le reste.

Et sous elles, Cyril versa une larme. Le sacrifice d'André, il le savait maintenant, était aussi pour lui. André qui lui devait la vie, qui lui devait à lui seul et son obstination acharnée, d'avoir été sorti de cette cave où il avait été enfermé pendant près de deux mois, résistant à la torture. Et depuis, il était accro à ça, avait toujours eu des relations, avec les femmes ou les hommes, dans le genre violentes. Il cognait les femmes et les hommes, ou se faisait cogner. Mais Cyril avait toujours su qu'au fond il aimait ça. Il n'avait pas été dupe, il savait que la tendresse qu'il lui offrait ne le satisfaisait pas. Mais cette Tina. Elle avait compris en clin d'œil, avait réussir à faire ressortir le meilleur d'André, jusqu'à l'apaiser.

Oui, cette femme qui, à présent, le branlait énergiquement au-dessus d'un verre en cristal - celui dans lequel Léo buvait son cognac du soir - en riant de plaisir, caressée par quatre mains douces, pourrait bien laisser sa trace sur ce monde. Il l'en sentait capable. Rien ni personne ne pouvait résister à une telle femme.

Cyril se laissa aller, et sous les hourras des trois femmes, remplit le fond du verre de son foutre. À genoux sur la table basse, les mains attachées dans le dos, haletant comme un taureau, Cyril regardait avec tendresse Tina, Nathalie et Lydie partager sa semence en se faisant le serment de rester unies quoi qu'il arrive.

Mais Tina n'était pas femme ingrate, comme le lui avait dit André. Elle se tourna vers lui et porta le verre à ses lèvres. Elle le pencha pour faire couler les dernières gouttes sur sa langue.

-- Toi aussi, Cyril, par ce geste, tu promets de rester à nos côtés, à nous protéger, et activement participer à notre projet. Tout comme André, tu as des compétences qui nous serons des plus utiles.

-- Je vous le promets, Madame.

Et alors que la ville entière se demandait comment Tina Dupin accusait le coup du décès soudain de son mari, que même les directeurs de publication les moins frileux - tellement habitués à craindre le nom de famille Dupin - calmaient les envies d'interview ou de photo volée de leurs journalistes, que la police désertait le lieu de l'accident après s'être assurés de n'être passé à côté de rien, que la voiture était en pièces détachées et que les mécaniciens ne trouvaient rien de suspect, que dans les bars et les restaurants - passée la surprise de cet événement - on commençait déjà à se dire que le monde allait peut-être se porter mieux... Pendant ce temps-là, trois femmes se couchèrent dans le même lit, un homme s'allongea aux pieds de ce lit, sur un matelas et une chaude couverture.

Le lendemain, le monde ne se porta pas mieux. Les corps de Tina Dupin, Lydie Bosquet, Nathalie Ledu et Cyril Borlut furent retrouvés criblés de balle, fauchés dans leur sommeil, les corps des trois femmes encore enlacés. Pendant que le pays entier était à la fois choqué de cette série de morts violentes, et captivé de façon malsaine par toutes les théories qui pullulaient sur ce que faisaient ces quatre personnes dans la même chambre, Mathieu Bidal installait son autorité sur l'empire que lui avait laissé Léo Dupin, rassuré par ses indics dans la police: le système de radioguidage installé sur la voiture n'apparaissait pas dans le rapport scientifique. Tout le monde avait admirablement joué son rôle.

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