Chapitre 3 : Le descendant - Partie 2

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Lorsqu’il revint à lui, Arch sentit un lent balancement le bercer de droite à gauche. Il ouvrit péniblement les yeux, comme s’il avait dormi des heures durant. Malgré la pénombre qui régnait sur les lieux, il distingua les ombres des colonnes défiler autour de lui. Il ne comprenait pas pour quelle raison celles-ci bougeaient de la sorte. Il ne voulait d’ailleurs pas comprendre. Une douleur lancinante et atroce lui déchirait le crâne. Il était persuadé que celui-ci allait exploser d’un instant à l’autre. Il referma les yeux. Peut-être pourrait-il ainsi dormir à nouveau et ne plus endurer cette torture, mais une détonation le tira davantage de sa torpeur. Le sol trembla et il réalisa finalement que les colonnes étaient toujours immobiles, contrairement à lui. On le traînait sur le sol. Il pensa à son camarade et tourna la tête.

— Criss ?

Il tomba alors nez à nez avec une série de crocs et son sang ne fit qu’un tour. Il sursauta et se débâtit pour s’extirper. Il fut vite libéré et prit immédiatement ses distances en rampant sur le dos. Haletant, il fixa l’obscurité qui l’entourait, le bras levé pour unique garde. Quelque chose se tenait devant lui, mais il était aveugle, sans défense. Quelques longues secondes passèrent sans un bruit, aussi finit-il par retrouver son calme. Dans un tintement à peine audible, une sphère rougeoyante, comme un petit feu-follet, flotta dans les airs par-dessus son épaule et abreuva les lieux d’une très faible lumière. Il l’observa s’éloigner, arrachant le magnifique loup blanc aux ténèbres. Le jeune mage le reconnut immédiatement et baissa lentement le bras. Il sentit la magie lui caresser la peau, aussi douce qu’une étole de soie. Les marques sous les yeux de l’animal s’illuminèrent, puis d’autres apparurent, dessinant le contour de ses grands yeux noirs, se profilant telle une série de runes depuis son museau jusqu’à l’arrière de sa tête et sur ses épaules. D’autres particules se joignirent alors progressivement à eux, montant depuis le sol dans une grâce surnaturelle.

Arch observa sans un bruit la pièce être baignée de lumière, émerveillé. L’animal était imprégné de magie. Il ignorait pourquoi, ni comment celui-ci pouvait en faire usage. Mais tout cela n’avait pas d’importance. Une envie pressante s’emparait de lui, celle de tendre le bras et de s’approcher. Lorsqu’il croisa à nouveau le regard du loup, il le trouva bien calme. Il prit le risque, l’envie était trop forte. Il se redressa sur les genoux et tendit lentement la main devant lui. La noble bête fit un pas en avant à son tour et vint y poser le haut de sa tête. Le jeune mage ne put s’empêcher de sourire, s’extasiant au contact si soyeux de cette magnifique fourrure. Il y plongea les doigts, passant le long des marques incandescentes qui propagèrent en lui une si douce chaleur. Cet instant de communion fut malheureusement de courte durée. Un grondement les fit vaciller. Arch riva les yeux sur les grandes portes derrière eux et les escaliers d’où ils étaient venus. L’éboulement les avait complètement obstrués, il lui serait impossible de remonter. Il sembla revenir à lui lorsqu’il pensa à son camarade et regarda autour de lui. Où diable était Criss ? Il ne pouvait partir sans lui. Le calme retrouvé s’estompa face à l’angoisse. Quelque chose avait dû lui arriver.

— Criss ? tonna-t-il, où es-tu ?

Pour seule réponse, quelques gravillons tombèrent non loin, accompagnés d’un filet de poussière. Le sol gronda à nouveau tandis que des dislocations gagnaient les murs. Arch réfléchit un instant, mais rien. Il ne se souvenait de rien. Les vibrations remontèrent des entrailles des ruines comme un ultime avertissement. Lorsque le loup le saisit par la manche, il comprit qu’il devait partir. Ils n’étaient pas en sécurité ici. Son humeur s’aggrava mais il se persuada que Criss avait su trouver un refuge. Un mensonge évident, mais comment faire autrement ?

Le loup commença à s’éloigner lorsque les premières fissurent gagnèrent les sommets des épaisses colonnes de pierre et Arch lui emboîta le pas. Ses muscles étaient engourdis et douloureux, mais il devait avancer. L’animal prit de la vitesse. Il ignorait où celui-ci se dirigeait, mais il n’avait pas d’autres solutions que de l’accompagner, et il avait besoin de lumière dans la pénombre. Il peina à rester à sa hauteur et le suivit là où les deux garçons n’étaient pas allés. Il trouva un pilier brisé, affaissé contre le mur et observa le loup y grimper de deux grands bonds pour rejoindre l’étage. Il souffla et s’attaqua à l’escalade, décidé. La poussière rendait la surface glissante, mais il gravit aisément les premiers mètres. A portée de la corniche, une secousse le déséquilibra. Surpris, il glissa lorsque son support se déroba sous ses pieds. Dans un pur reflexe, il attrapa le rebord tandis que le pilier s’effondrait en contrebas. Il tira de toutes ses forces, aidé par son compagnon d’infortune et acheva de se hisser en sureté. Haletant, il roula sur le dos. Ses yeux se plissèrent lorsque le sol trembla en continu, de plus en plus fort.

Il se jeta immédiatement sur pied et comprit rapidement que tout s’effondrait à présent. Il ne fit pas de vieux os et se jeta à la suite du loup par le passage derrière eux, rejoignant un couloir qui semblait sans fin. De larges fissures rattrapèrent bien vite les deux fuyards et les dalles se dérobèrent sous leurs pas. Arch redoubla d’effort pour accélérer. Il était à bout de force, mais l’adrénaline faisait des miracles. Tout n’était plus que chaos. Les pavés chutaient autours d’eux comme la grêle. Des pans entiers de mur étaient abattus à leur passage, comme si la terre elle-même cherchait à les engloutir. L’air était saturé de poussière et l’effort devenait inhumain. Une bifurcation se refusa à eux lorsqu’un pilier éventra le plafond. Le loup y prit appui en un éclair et tourna sur sa gauche, disparaissant à l’angle du mur. Arch le suivit une seconde plus tard mais dérapa brusquement sur le sol. Il évita de justesse la chute dans un trou béant, agitant les bras pour retrouver son équilibre. Les pensées fusèrent dans sa tête et il n’hésita pas un instant à s’élancer. Il sauta aussi loin que ses jambes le lui accordèrent. Ses pieds éraflèrent le rebord qui chuta dans le vide. Il griffa si fort les dalles pour se rattraper qu’il y creusa de profondes marques. Le loup l’attrapa à nouveau par le col et l’aida à remonter. Il ne prit pas le temps de souffler. Ils devaient fuir, encore. Ils coururent. Le couloir était sans fin, mais ils coururent. Arch ne sentait plus ses jambes. Combien de temps pourrait-il maintenir une telle cadence avant qu’elles n’abandonnent la lutte ? Après d’interminables mètres, ils pénétrèrent enfin dans une grande salle. Le couloir se referma alors à jamais derrière eux, vomissant un épais nuage de débris.



Criss ouvrit enfin les yeux, discernant une douce lumière danser sur les murs. Sa vue était floue, la migraine le gagna. Il passa la main sur son visage et expira. Il ne sentait rien. Son corps était aussi lourd que l’enclume divine du Faiseur. Il pensa même un instant être mort. Quelques gravillons roulèrent à ses côtés et il en regarda d’autres tomber depuis le gouffre béant qui le surplombait. Il comprit que le plafond s’était effondré et qu’il gisait à présent sur un tas de gravats. Quelques flammes lapaient encore la pierre noircie. La mémoire lui revint, la stèle, ces voix, puis le néant. Il la vit dans les décombres, lettres d’or luisant sur un noir d’encre. D’un effort non dissimulé, il se redressa, les membres meurtris par sa chute. La douleur se réveilla également et il dû prendre appui sur le mur pour ne pas trébucher. Il hésita une seconde avant de s’emparer de la stèle qu’il rangea dans son sac. Les dents serrées, il alluma une flamme au creux de sa main et observa tour à tour les deux extrémités du couloir où il se trouvait. Est-ce qu’Arch allait bien ? Cette pensée lui dévorait les entrailles, mais il devait déjà sortir lui-même. Le sol vibra, comme pour lui rappeler sa condition, et Criss emprunta le passage sur sa droite. Il marcha, aussi vite que ses jambes voulaient bien le porter, arpentant les corridors sans espoir d’en voir la fin. La terre tremblait encore, sa tête tanguait. Il se jura à lui-même que s’il se sortait vivant de cet enfer, jamais plus il ne suivrait Arch.

— Oh Criss, j’ai vu un loup, grimaça-t-il d’une voix pleine de sarcasme, je veux savoir ce que mon rêve veut dire. Non ! Non. Depuis le début, il y avait écrit DANGER partout sur ce putain de tombeau ! Mais non, monseigneur Arch veut explorer. Alors maintenant fini les explorations ! Fini les services, fini les problèmes et fini les corvées d’écurie !

Il s’arrêta lorsque se présentèrent à lui deux directions. Il soupira longuement, rien ne les distinguait et les grondements reprenaient de plus belle.

— Tout ce que je voulais, moi, c’était chasser. Des perdrix, quelques lapins… Allez, un cerf pourquoi pas ? C’est trop demander ?

Indécis, il perdit soudain l’équilibre lorsque le sol derrière lui s’ouvrit. Son sang ne fit qu’un tour. Il tomba en avant, un pan entier de dalles s’inclinant dans le vide avec lui. Ses pieds et ses mains dérapèrent, incapables de trouver la moindre prise. Il glissa une longue seconde avant que ses pieds ne heurtent le sol. Il roula alors un bon mètre sur les pavés avant de s’effondrer sur le dos dans un gémissement.

— Criss ?

Le jeune mage ferma les yeux au son de cette voix et laissa échapper un long soupir, soulagé.

— Je vais le tuer, toussa-t-il.

Il se redressa. Arch se tenait à quelques mètres. Il se précipita dans sa direction.

— Loué soit ce qui est sacré, tu es vivant !

Il lui attrapa l’avant-bras et Criss se remit d’aplomb, boitillant sur une jambe.

— Oui, et quand je vois ce dans quoi tu m’as encore entraîné je regrette presque de pas être mort.

— J’avais ton accord, nuança Arch.

— Je sais, et c’est le pire dans l’histoire. Je me rends compte que je suis pas le couteau le plus aiguisé du tiroir.

Il retira la poussière de ses vêtements et observa les alentours.

— Et bien ? reprit-il, où est notre ami à quatre pattes ?

Arch se retourna. Ils étaient seuls.

— Je ne comprends pas. Je pensais qu’il me suivait avant d’entrer ici. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé.

— Je l’espère aussi. Sans lui nous serions ensevelis sous dix tonnes de pierre.

Un air coupable s’afficha sur le visage d’Arch, mais Criss explorait déjà la pièce, intrigué. L’entrée était bloquée et le passage effondré qui lui avait valu une entrée remarquée ne leur offrait pas une meilleure alternative. Non, l’intérêt du jeune mage se portait ailleurs. Un vrombissement sourd résonnait à ses oreilles, plus aigu que les éboulements qui déchiraient toujours les entrailles du temple. Les murs autours d’eux étaient nus, à l’exception de mousses qui courraient à leur surface. Il y en avait de plus en plus à mesure qu’il progressait. Il s’arrêta lorsqu’une balustrade de pierre se présenta à lui. Seul le vide l’attendait au-delà. Il leva le bras pour éclairer les alentours et révéla un grand visage de pierre, une femme. Deux chutes d’eau se déversaient de part et d’autre sur ses longs cheveux. Le visage était adossé à la roche de la montagne, comme s’il s’agissait d’une cavité naturelle. Il risqua un regard par-dessus la balustrade et observa de longues secondes l’eau s’abîmer en contrebas dans un rugissement éternel. Ce n’était pas un bassin s’il en jugeait par les torrents qui semblaient s’enfoncer en terre. Il réfléchit un moment tandis que son camarade le rejoignait.

— Est-ce que nous pourrions…

Criss pensa à voix haute, ne cessant d’observer les abîmes devant eux. Le niveau de l’eau ne montait pas, ce qui ne pouvait signifier qu’une chose.

— À quoi tu penses ? l’interrompit Arch en regardant à son tour.

— Nous pouvons peut-être nous sortir d’ici.

— Comment ?

— En nageant.

Arch grimaça, Criss semblait sérieux :

— Tu n’y penses pas tout de même ? Le froid va nous tuer.

Sans lui laisser défendre son idée, un grondement sourd gagna en intensité et l’ouverture dans le plafond vomit à nouveau des torrents de pierre. De larges fissures gagnèrent une fois encore les murs. Ils étaient à court de temps. Criss fit volte-face et toisa Arch de la tête aux pieds.

— Pense à respirer.

— Hein ?

Sans une hésitation, il le poussa en arrière par-dessus la balustrade. Arch poussa un court cri de surprise avant de tomber dans l’eau en contrebas. Criss soupira, ne pouvant retenir un sourire radieux.

— Qu’est-ce que ça fait du bien.

Il enjamba la barrière en y prenant appui d’une main et sauta à son tour. Il chuta deux longues secondes et ferma les yeux. Le froid enveloppa son corps d’une étreinte brûlante tandis qu’il disparaissait sous les eaux. Il rouvrit les yeux mais ne vit rien dans les ténèbres des profondeurs. Une force surpuissante le tira en avant, l’entraînant sous la statue. Le courant était si violent qu’il lui comprima les poumons, réduisant un peu plus ses réserves d’air. Il ne lutta pas, c’était peine perdue. Par les larmes d’Eïsha, pensa-t-il soudain, et s’il s’était trompé ? Si aucune sortie ne les attendait ? Il préféra cesser d’imaginer la suite et se concentra pour retenir encore un peu plus son souffle. Pour seule réponse, le courant le fit finalement se retourner puis la pression cessa. Il nagea vers la surface pour y trouver de l’air. Il prit une grande inspiration et éclaira immédiatement les alentours.

— Non mais t’es cinglé ?

Il tourna la tête. Arch battait des bras pour se maintenir à la surface de l’eau agitée et tenter de le rejoindre.

— Tu veux ma mort ?

— Je nous ai peut-être sauvés tu veux dire, se défendit Criss entre deux respirations. Nous n’avions pas le temps !

— Et quel sauvetage ! Je vais me transformer en glaçon ! C’est quoi la suite du plan maintenant hein ?

— Laisse-moi réfléchir…

Il n’en eut pas le temps. Le bruit attira le regard des deux garçons qui observèrent l’eau disparaître au bord du vide à quelques mètres. Arch souffla d’un air désabusé.

— Je te déteste…

Dans un cri étouffé, la chute les entraîna alors dans les abysses.

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