Chapitre 3 : Le descendant - Partie 6

11 minutes de lecture

Le visage du jeune mage s’illumina. Il n’avait pas eu l’occasion de se prêter à l’exercice précédent à cause de ses propres excès et la perspective d’affronter Hockman lui-même était tout ce qu’il pouvait espérer.

— Je sais que tu t’es entraîné dur dernièrement. Je pense qu’il est temps de voir ce dont tu es capable. Tu n’auras pas à te retenir, mais soit prudent.

— Je ne vous décevrai pas, répondit Arch avec un entrain non dissimulé.

Les deux duellistes s’éloignèrent de quelques pas. Alors qu’il se mettait en garde, Arch ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Il avait attendu ce moment depuis si longtemps. Il allait enfin pouvoir montrer au professeur à quel point il s’était amélioré. La tension monta d’un cran et bientôt, il sentit son corps s’envelopper d’une aura au picotement familier. Ses poils se dressèrent un à un tandis qu’un contact électrique remontait le long de ses jambes. La neige autours d’eux roula sous la pression qui exploserait lorsque le départ serait donné. Il prit une longue respiration et ses yeux se plissèrent sous une intense concentration. Le rythme des battements de son cœur tambourina le long de ses tempes. Il n’avait pas le droit de se laisser dépasser. Son adversaire n’était pas n’importe qui. Il devait être irréprochable.

— Commençons, lui lança alors Hockman.

Comme s’il lançait un simple objet, il releva le bras. Tout se passa très vite. L’air gondolé qui accompagnait son geste rugit et se rua en avant comme un véritable projectile. En un éclair, Arch recula le pied pour prendre un meilleur appui et ses gestes laissèrent échapper une série de trainées blanches. Imitant Kahya lors de son duel, il frappa le sortilège comme une lame et ce dernier se volatilisa en une bourrasque qui le fit tout de même vaciller. Il ouvrit grand les yeux, surpris par la force du sortilège et dut reculer d’un pas. Hockman ne lui laissa que peu de répit, attaquant à nouveau. Il semblait prendre ce duel au sérieux. La main du jeune mage trembla d’excitation. Il n’aurait en effet pas à se retenir.

Il évita le premier assaut et se décala pour accompagner la course du second de la main. Concentré, il referma les doigts comme pour s’en saisir et pivota sur lui-même de toute ses forces, renvoyant le projectile en direction du professeur. La vitesse du coup empêcha ce dernier de l’éviter et il le brisa d’un revers de main. La neige derrière lui se dégagea sur plusieurs mètres sous l’intensité du souffle. Il se permit un sourire en replaçant ses lunettes. Arch avait progressé, cela ne faisait aucun doute. Il ne savoura cette fierté que peu de temps et s’avança pour en découdre. Arch se reprit immédiatement, il ne pouvait se permettre de rester sur la défensive.

Comme une cisaille, il croisa les deux bras, passant paume contre paume. Lorsque Hockman voulut poser le pied à terre, l’air condensé et filant qui se glissa sous ses appuis lui fit perdre l’équilibre. Le jeune mage enchaîna, montant les deux bras avant de les abattre devant lui en serrant les poings. Le professeur riva les yeux en l’air. La tornade déchainée qui s’abattit sur lui rugit comme le vent. D’un mouvement de bras, il expulsa une bourrasque vers le sol pour retrouver ses appuis puis parvint à éviter l’attaque en se décalant d’un mouvement presque inhumain. La neige s’envola autour de lui dans un balai glacé lorsque la tornade le manqua. Il avait contré le coup, mais celui-ci avait fonctionné. Arch s’était déjà élancé et n’était plus qu’à mi-distance. D’un arc de cercle parfait, il balaya le vide de sa jambe. Une lame d’air se propagea comme une onde de choc. Surpris, le professeur usa de ses deux mains pour la contrer. Sous le souffle, ses pieds dérapèrent sur plusieurs centimètres et il perdit à nouveau l’équilibre, cédant un nouveau pas à son adversaire. Le calme retomba et seules les exclamations de Criss saluèrent ce coup de maître.

— Tu es un enfant, lui fit remarquer Kahya.

— Je n’ai jamais prétendu être autre chose, lui rétorqua-t-il souriant.

Elle pouffa, observant Arch reprendre sa garde.

— Il a rarement été aussi concentré. C’est bien dommage que tu sois de mauvaise influence sur lui en le déconcentrant sans arrêt.

— Alors déjà, c’est pas sans arrêt, et ensuite c’est une bonne chose de savoir se laisser aller. Mais oui, acquiesça Criss. Je pense que c’est parce c’est le professeur son adversaire.

La jeune fille ne quittait plus le garçon des yeux. Elle ne comprenait que peu ce qu’il pouvait vraiment ressentir quant à son passé. Mais Hockman était comme un père pour lui, comme il l’avait presque été pour elle. Il cherchait sans aucun doute de la reconnaissance. Jamais elle ne l’avait vu si confiant et si heureux. Hockman replaça son manteau et se massa l’avant-bras à la suite de sa parade. Il semblait satisfait.

— Excellent, souffla-t-il. Tu as bien appliqué ce que je t’avais appris. Mais la suite sera plus difficile. Tu es sûr de vouloir poursuivre ?

Pour seule réponse, le garçon raffermit sa posture et le défia du regard. Il contrôla à nouveau sa respiration. Concentre-toi, pensa-t-il de toute ses forces. Le vent se leva sur le terrain et le manteau du professeur ondula. Il jouait de ses doigts tandis que les courants enlaçaient sa main. L’attaque ne tarderait pas. Concentre-toi. Ce n’était pas le moment de flancher. Les premiers coups avaient été rudes. Arch n’osait à peine imaginer ce qui allait suivre. Concentre-toi !

Dans une cadence presque martiale, Hockman trancha alors le vide devant lui à plusieurs reprises. Son élève évita la première lame en se décalant puis brisa la seconde. Il profita du souffle de l’impact pour pivoter sur lui-même et contourna la dernière qui s’écrasa derrière lui. Sans aucun temps mort, le professeur avança alors sa main. Arch sentit ses poumons se comprimer davantage et écarquilla les yeux face au mur d’air qui se rua sur lui. Par toutes les tempêtes du voyageur, comment pouvait-il générer une telle chose d’un si simple mouvement ? Sans réfléchir davantage, le jeune mage leva le genou et abattit le pied au sol de toutes ses forces avant que le sort ne l’atteigne. Dans une détonation sourde, la déflagration qui s’échappa en cercle autour de lui parvint à scinder l’attaque en deux. Mais il n’était pas tiré d’affaire.

Le professeur reprit ses attaques, plus rapidement encore. Le garçon les brisa une à une, déchaîné comme un lion, mais leur vitesse ne cessait de croître. Malgré ses parades effrénées, il encaissa un premier coup à la cuisse. Il serra les dents, ignorant la douleur. Il ne relâcherait aucunement ses efforts. Il ne pouvait se le permettre. Une averse de coups s’abattit sur lui, ne lui accordant nul répit. Et il brisa chacun d’eux. Un second passa finalement sa défense, puis un autre. Ses muscles tétanisaient un peu plus à chaque nouveau coup encaissé. Un dernier le déstabilisa au niveau de l’épaule. Profitant de la brèche, le professeur acheva alors le combat d’un ultime souffle qui le heurta de plein fouet.

Projeté en arrière, Arch heurta le tronc de l’arbre derrière lui. Son corps s’écrasa contre l’écorce, lui arrachant un gémissement de douleur tandis que ses poumons se vidaient sous l’impact. Il s’effondra à genoux, le souffle court. Le goût du sang se répandait dans sa gorge, mais il refusa de plier. Hockman laissa échapper un soupir en laissant ses bras retomber. Il y était sans doute allé un peu fort. Arch redressa la tête, une lueur de défi dans les yeux. Il avait esquivé et contré la majorité des assauts, il pouvait faire de même avec les autres. Il n’abandonnerait pas malgré le niveau qui le séparait du professeur. L’occasion était trop belle pour ne pas tout donner.

–Non mais c’est pas vrai, ce bâtard se fait massacrer. Je vais encore perdre ce putain de pari.

Sur le bord du terrain, les deux gardes observaient le combat au même endroit qu’à l’accoutumée. Ils pouffaient de rire, à moitié ivres, se moquant ouvertement. Il détourna le regard. Comme à chaque fois, il les ignorerait, et ce malgré l’inexpugnable envie de leur rendre la pareille. Il avait un combat à mener. Mais alors qu’il allait se relever, quelques mots de trop furent prononcés.

–Si cette vermine pouvait y rester, lui et les autres. Père serait bien heureux d’apprendre si bonne nouvelle, et tu cesserais enfin de perdre ta solde comme un idiot.

Cette voix. Elle s’insinua au plus profond de ses entrailles et y résonna comme une vieille blessure. C’était lui. Mason Toffer, le gamin qui l’avait agressé dans son souvenir. La marque sur son bras se mit à brûler tandis qu’une colère sans pareille s’insinuait lentement dans chacun de ses membres, jaillissant des tréfonds de son âme. Ses muscles se raidirent. Il avait tout toléré jusqu’ici, toujours. Il s’était promis de ne jamais plus se laisser atteindre, d’être au-dessus de tout ça. Mais cela en valait-il vraiment la peine ? Non… Tout ça ne lui importait plus désormais. Sa patience était à bout. Au diable les promesses. Au diable le contrôle.

— Arch est-ce que ça va ?

Criss arriva à sa hauteur en courant et lui empoigna le bras pour le relever, soucieux de savoir si le choc n’avait pas été trop violent. Kahya s’approchait elle aussi, foudroyant du regard les observateurs indésirables. Sur pieds, Arch écarta Criss d’un revers de bras et s’avança dans leur direction.

— Arch ?

Le jeune mage fit quelques pas avant qu’ils ne remarquent sa présence. Ils cessèrent de rire et tournèrent la tête vers lui, comme s’il les avait dérangés.

— Hey le mouflet ! C’est de l’autre côté que ça s’passe. J’te jure sur ma vie que si j’perds encore une seule pièce à cause de toi ça va très mal…

Il ne put finir sa phrase. Dans un vrombissement, il passa entre les deux autres, projeté par une bourrasque. Il s’écrasa violemment au sol plusieurs mètres en arrière et cessa de bouger. Mason et le deuxième garde se toisèrent une seconde, ahuris, puis ce dernier se jeta en avant, tirant son arme.

— Qu’est-ce que t’as fait enfoiré ?

Il sauta la barrière lorsqu’Arch tourna le regard dans sa direction. Il s’arrêta alors dans l’instant, immobile. Bien vite, il trembla de tout son corps, horrifié. Il plaqua ses mains sur son crâne avant d’hurler de douleur puis s’affaissa sur le sol, battant des pieds comme s’il cherchait à reculer. Tandis qu’il continuait de le fixer, Arch sentit une poigne de fer lui saisir le bras et le tirer en arrière.

— Arch !

Lorsqu’il le retourna et croisa son regard, l’air sévère du professeur fondit comme neige au soleil. Les iris du jeune mage présentaient une marque blanche, une rosace. Pour la première fois, Criss et Kahya virent la peur ramper sur le visage du professeur. Le perpétuel agresseur qui hantait les nuits du jeune mage secouait le garde pour tenter de le ressaisir. Il se releva soudain sous la colère et fit un pas vers Arch.

— C’est te battre que tu veux ? cria-t-il en pénétrant sur le terrain, oh mais je n’attends que ça !

— Il suffit Mason ! tonna Hockman en tendant la main pour le sommer d’arrêter.

— Je n’ai pas peur de toi espèce de monstre !

Arch baissa la tête vers le sol, comme si ces mots l’avaient atteint au plus profond de lui-même. Le visage d’Hockman se décomposa à nouveau lorsqu’une sombre aura lui étreignit les membres, l’enserrant dans un vertige sans nom. Il se retourna dans un silence de mort.

— La ferme, murmura le jeune mage.

Il avança simplement le pied en avant et disparut soudainement de son champ de vision dans un court bruit étouffé. Une volute de neige s’éleva là où il se tenait un instant plus tôt. Le professeur écarquilla les yeux en comprenant ce qu’il venait de faire. Il fit volte-face pour arrêter son élève, mais il était déjà bien trop tard. Arch était réapparu dans son dos, tel une ombre, le poing levé. A peine deux mètres, c’était la distance qui le séparait de sa cible. Deux mètres entre lui et son plus grand désir de faire payer cette brute pour tout ce qu’il avait subi. Deux mètres pour en terminer, une fois pour toute. Alors qu’il s’apprêtait à frapper, une silhouette imposante se glissa devant lui. Une déflagration accompagna le blocage du coup. La neige se souleva autours d’eux sous la violence de l’impact et le sol gelé sous les pieds du nouvel arrivant se fissura. Au milieu du chaos, Arch releva les yeux vers l’homme qui lui faisait face et dont la main gigantesque bloquait à présent la sienne. Il n’avait pas bougé. Malgré la force incroyable du coup porté, il n’avait pas reculé d’un centimètre. Il soutint sévèrement le regard du jeune mage avant que ce dernier ne s’effondre de fatigue. La tension retomba immédiatement sur le terrain d’entraînement.

Hockman tituba, le souffle court. Il avait perdu tout contrôle sur la situation. L’homme qui avait stoppé Arch était imposant. Ses épaules étaient aussi larges que les montagnes. Il portait une armure de plate, par-dessus un haubert ajusté qui couvrait le haut de ses cuisses et ses bras démesurés. Il arborait une longue cape noire dont le tour de cou était surligné d’une fourrure dense. Comme sur son plastron, une croix d’or y était brodée. Son regard était droit, sévère. Ses yeux bleus tranchaient avec le blond de ses cheveux taillés courts, comme il était de rigueur chez les soldats. L’extrémité d’une cicatrice sortait de son hausse-col, à la base de son large menton. Il semblait calme, bien trop calme compte tenu de ce qui venait d’arriver. La méfiance gagna le professeur, il savait qui il était.

— Arch !

Kahya accourut, ignorant toute prudence, et se jeta à genoux aux côtés de son camarade inconscient sans que l’inconnu ne réagisse. Criss s’approcha également, en état de choc. Il n’y avait plus aucun doute possible, ce qui venait d’arriver était grave, et les évènements du temple n’y étaient probablement pas étrangers.

— Vous savez que je ne peux pas laisser passer ce qui vient d’arriver, lança l’inconnu d’une voix rauque à l’attention du professeur.

Hockman laissa échapper un soupir résolu. Il avait raison. Arch avait enfreint toutes les règles qui régissaient l’usage de la magie au village. Mais aussi grave que ce soit, ce n’était pas sa première source d’inquiétude.

— Professeur ! implora Kahya au bord des larmes. Est-ce qu’il va bien ? Que s’est-il passé ?

Interrompu dans ses pensées, Hockman se tourna vers la jeune fille qui étreignait toujours son ami. Il s’approcha et fut soulagé de voir que le garçon respirait toujours. Il posa sa main sur celle de Kahya et lui accorda un regard rassurant.

— Je ne sais pas. Mais l’important c’est qu’il semble aller bien. Je me charge du reste, d’accord ?

— Professeur ? Je dois vous parler.

Criss s’avança, incertain. Le ton de sa voix manquait cruellement d’assurance. Méfiant face à cette soudaine demande, Hockman plissa les yeux. L’inconnu les interrompit et prit Arch dans ses bras comme s’il ne pesait rien.

— Pas ici, leur dit-il en désignant de la tête les alentours. Suivez-moi.

Autours des lieux, quelques habitants du village commençaient à approcher, alarmés par le bruit et les cris. Tant d’oreilles indiscrètes ne pouvaient assister aux échanges qui suivraient. Ils s’écartèrent au passage de l’homme en armure qui ne s’arrêta pas.

— Que l’on s’occupe d’eux, dit-il simplement à la petite foule.

Les regards se tournèrent vers les trois autres mages qui étaient toujours sur le terrain. L’atmosphère oppressante ne ferait qu’empirer s’ils ne partaient pas rapidement.

— Allons-y ne restons pas là.

Hockman aida Kahya à se relever et ils quittèrent les lieux sans prêter attention aux murmures qui s’élevèrent à leur passage.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cylliade ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0