5 – 1 Alicia
Alicia ne parvenait plus à lâcher sa fille. Le cœur battant, elle serrait contre elle son petit corps chaud, vivant, si fragile, sans parvenir à le lâcher. En rentrant, Mike les avait trouvées comme ça, figées sur la banquette de leur salon. Il s’étonna de l’angoisse de sa compagne. Heureusement, la petite ne bronchait pas, s’était même accommodée de la situation en piquant un petit somme, l’épaule de maman après tout très confortable et la chaleur de sa main épousant son petit crâne aussi rassurante qu’une caresse.
La peur, jamais Alicia ne l’avait autant ressentie, malgré toutes ces années parmi les Dragons. L’effroi, oui, quand la mort de leur mère leur était parvenu, et surtout à l’annonces des circonstances. Là, elle découvrait l’anticipation, le risque du danger. Quelque chose s’en était pris aux enfants. Pris ? Attaqué ? Qu’est-ce que cela cherchait à faire au juste ? Ou a fait ?
Et surtout, qu’est-ce que c’était ?
S’il n’y avait eu sa sœur et les autres pour témoins, jamais Alicia n’aurait cru avoir réellement vécu un tel événement. Complètement surréaliste ! cela tenait du rêve ou du délire. Ces enfants qui voyaient et jouaient avec quelque chose d’invisible, du moins indécelable pour l’œil humain, seule la folie pouvait s’en rapprocher.
Tous les gamins furent examinés sous toutes les coutures, scannés des pieds à la tête, leur mental étudié par tous les moyens possibles sans les effrayer. Omar et Jonas, deux des adultes en charge des petits ce jour-là, transmirent le message aux parents de signaler tout comportement inhabituel ou tout élément étrange chez leur bambin. Quant à l’explication à leur donner…
Mike, un genou à terre, avait pris ses mains dans les siennes. Il attendait patiemment qu’elle se décide. Avec lui, elle savait que cela serait plus facile, pas besoin de prendre des gants. Son compagnon lui avait déjà prouvé son ouverture d’esprit, ce que demandait un tel événement. Autrefois, elle lui avait parlé de ce secret pourtant réservé aux membres intronisés des Dragons. Elle avait eu une telle confiance en lui, et à juste titre. Aucune parole malheureuse n’avait dépassé leur foyer, ou ne serait-ce que le périmètre de leur intimité. Une chance. Dans cette maison chargée d’histoire, ou même sur l’île, il lui aurait été difficile de tout lui taire. Pas impossible, mais c’était toujours mieux ainsi. Elle pouvait donc lui narrer les faits de ce jour sans craindre de se faire rabrouer ou traiter de folle.
Peut-être en réaction à la présence de son père, la petite s’agita, s’ébroua, frotta ses petits yeux pour finir par se tourner et réclamer les bras masculins. Mike cueillit Prisca avec l’assentiment de la maman. Le père et la fille se retrouvèrent durant un moment de gazouillis, paroles et onomatopées joyeuse avant qu’il détourne l’enfant sur son tapis et ses jouets, avec tout l’art et la patience parentale dont il savait faire preuve. Enfin, il put retourner auprès d’Alicia.
Après lui avoir raconté, la jeune femme respira un grand coup pour reprendre son sang-froid et réfléchit à ces préceptes qui l’avaient baigné toutes ses années. Sois prête à tout, en toute circonstance, autant à l’insoutenable qu’à l’impossible. Et si c’est impossible, pense à l’improbable. Des mots d’une importance sous-estimée. Ces mots lui avaient apporté la connaissance. Une explication à ce phénomène pouvait être d’origine humaine ou naturelle, mais pas seulement. Un frisson la parcourut rien qu’au souvenir de cette vidéo cachée, vue uniquement par les initiés. Non, ce qui s’était passé ici n’avait rien à voir. Rien ne pouvait être aussi glaçant, aussi horrible.
Et puis, comme l’avait signalé Mike pour la rassurer, leur fille n’avait rien, les enfants n’avaient subi aucun mal.
Oui, mais si personne n’avait réagi ?
Sans aller jusque-là, il fallait d’abord étudier les résultats du contrôle des lieux, pour vérifier qu’il n’y avait en effet aucune fuite de substances toxiques ou d’empoisonnement, pistes énoncées aux parents, ou la présence d’une technologie inconnue. Le village possédait suffisamment d’appareils pour faire ce travail avec efficacité, car il fallait aller au-delà de ce que l’humain pouvait percevoir. D’ailleurs, une idée saugrenue ne cessait de la hanter. Elle n’y avait plus songé depuis des mois, si ce n’était des années, mais elle avait aussi ce qu’il fallait dans sa propre maison. Une vieille technologie, certes, mais qui avait fait ses preuves.
Ce phénomène ne recommencera probablement jamais, comme ce son provenant du ciel il y a quelques mois, mais au cas où.
Et si tout ceci n’était qu’un signe annonciateur ?
La prudence était de mise. Et après tout, son rôle était de protéger et défendre le village, sa population, et tout le Réseau s’il le fallait, quitte à passer à l’offensive. Le tout était de connaître son ennemi, si ennemi il y avait.
— Toi, tu as une idée derrière la tête, remarqua Mike. Je préfère te voir comme ça.
Elle acquiesça, son assurance retrouvée. Elle lui fit part de son idée.
— Je te retrouve bien là, my love !
En dernier recours.
Oui, c’est cela. En dernier recours, si jamais cela se reproduisait.
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