8 – 3 Élie
Une pause fut nécessaire, le temps que les gens prennent l’air et retrouvent leurs esprits. J’ai repris sur le même sujet, suivant par là l’une des valeurs principales du réseau du lion, de ses gens comme de son armée, les dragons, que je représentais : la sincérité.
— Oui, nous avons tué. Nous assumons entièrement notre responsabilité dans cette affaire. Et nous ne l’avons jamais nié. Toutes ces années, les dragons ont usé de violence uniquement pour se défendre et sauver des vies, la leur autant que celle de nombres d’autres, pour lutter contre des crimes graves, des actes d’une sauvagerie inimaginable. Les premières années, les cibles de nos factions offensives n’étaient que des oppresseurs, des criminels, du violeur au tueur de masse. Et les morts semées en ont sauvé un bon nombre de gens, heureux de vivre en paix parmi nous aujourd’hui. Nous avons libéré hommes, femmes et enfants d’une vie de misère et de souffrance, si ce n’est d’agonie jusqu’à ce que mort s’ensuive. Je n’étais pas parmi eux à ces moments-là, mais ils m’ont raconté leur histoire. Un jour, j’ai demandé à une amie depuis bien plus longtemps que moi membre des dragons pourquoi elle s’était engagée.
Je me suis gardé de leur dire que l’amie en question était la même personne qui avait contribué à la mort de leur cher commandeur.
C’était une nuit sans sommeil dans ce camp à la frontière de l’ouest. Tara m’avait trouvé devant le brasero, incapable de faire quoi que ce soit d’autre que contempler les braises, le cerveau vide. J’avais la mort de mon compagnon à quatre pattes à digérer, et son absence avait laissé la place à tous les autres drames auxquels j’avais assisté, si ce n’est contribué depuis que je vivais ce conflit en direct. Lors de notre échange, j’en avais profité pour l’interroger sur sa manière de gérer ses émotions, justement parce que nous étions des meurtriers nous aussi. Il valait mieux que je n’évoque pas cet aspect-là aujourd’hui. J’ai partagé les mots qui me semblaient les plus percutants, les plus révélateurs.
— Le jour où tu craches tripes et boyaux pour avoir trouvé un gosse enchaîné au milieu de la crasse avec le trou du cul en sang, et qu’il n’y a que toi pour t’occuper du salopard qui lui a infligé ça, tu l’as ton argument pour tuer à ton tour.
Un brouhaha tumultueux envahit la salle.
— Qu’est-ce qui vous choque ? leur ai-je demandé. Ce qu’elle a trouvé, ou ce qu’elle a fait ensuite ? J’en ai bien conscience, c’est un cas d’éthique pour toute civilisation digne de ce nom. Mais dans une société civilisée, est-ce normal de se retrouver dans cette situation ? Devant un tel choix ? Devant cette armée avec leur jolie combinaison noire, m’a-t-elle dit aussi, j’ai compris tout de suite à qui on avait à faire. Qui tuerait une gamine d’une balle dans la tête simplement parce qu’elle coure et qu’elle rit ? Ces gens, là, derrière cette frontière, ils vivent dans la crainte permanente. On les tient prisonniers par la peur. Tout un pays. Entre crever de faim ou crever tout cours, tu parles d’un choix ! Voilà en gros ce qu’elle m’a raconté. Pour elle, le message était clair. Ces soldats tout en noir ne signifiaient qu’une chose : le danger d’un conflit à une échelle bien plus imposante que ceux auxquelles ils avaient eu affaire jusqu’ici. Et le temps lui a donné raison. Moi qui ai connu une enfance dorée, à l’abri du danger et choyé par une famille aimante, je me suis lancé dans une bataille par naïveté, dans l’espoir de répondre moi aussi à un grand idéal. Je n’ai pas connu toutes les horreurs qu’ils m’ont évoqués. C’est ici que j’en ai trouvé. Des êtres humains n’étant plus que peur, détresse et désespoir. Pour moi, ce fut un choc, vous comprenez. Nos objectifs visaient des soldats, et ce sont des soldats qui sont morts sous notre feu. Impossible de savoir qui était volontairement engagé ou non. Et oui, parfois, lors des combats, des victimes innocentes sont mortes. Malgré tous nos efforts, nous n’avons pu l’empêcher, encore moins l’éviter. C’est le risque dans tout combat, dans toute guerre. Et là aussi, nous assumons. Si nous avions pu faire autrement…
— Et nous assumons avec eux ! ajoute mon résistant. Ils ont libéré des prisonniers condamnés à la torture et à la mort, de braves gens de chez nous, de notre pays. Ils nous ont aidé à libérer nos villages, nos villes, face à des soldats qui n’avaient aucun scrupule à utiliser des civils comme chair à canon, à se planquer derrière eux, à détruire des maisons pour nous barrer le passage, sans aucun état d’âme pour ceux restés dedans. J’étais là, je l’ai vu de mes propres yeux. Les soldats de Mahdi nous ont aidé à nous libérer du joug qui pesait sur nous. Un joug qui ne nous aurait pas sauvé, qui n’a fait que prolonger l’agonie de notre prétendue si belle société. De plus en plus de gens sombraient dans la misère, mais personne ne voulait le voir, encore moins l’accepter. Comme si tout allait se régler tout seul ! Alors vous voulez quoi ? Hein ? Vous cherchez à nous punir ? Vous cherchez des coupables de tous ces morts au combat ? Les voilà devant vous. Vous les avez eux, et vous nous avez nous. Mais sachez que pour moi, vous êtes vous aussi coupable. Vous n’avez pas voulu voir la vérité. C’est tellement facile de détourner les yeux et de rentrer dans votre petit foyer bien chauffé, de vous affaler dans votre canapé bien douillet et de vous abrutir devant vos écrans !
— Oui, vous allez faire quoi, maintenant ? Quelle punition allez-vous nous infliger ? Nous aussi, vous allez nous torturer en place public ? C’est donc ça que vous voulez ? Du sang ?
Yahel, en larmes. Elle a littéralement explosée.
— Parce que c’est ça, l’image que nous avons de votre pays ! Un pays qui martyrise et torture les siens, qui laisse des vieillards crever de faim et abandonne des enfants à leur sort, qui…
Elle secoua la tête.
— À se demander pourquoi certains des nôtres ont sacrifié leur vie pour vous. Car vous oubliez que vous n’êtes pas les seuls à avoir perdu des êtres chères. Voilà pourquoi ils se sont engagés dans ce conflit. Tous ensemble, ils ont choisi de plein gré de s’engager dans une guerre d’une ampleur que nous n’avions jamais connue. Ils en connaissaient les risques, et eux aussi laissent derrière eux compagnes, compagnons, orphelins et parents éplorés. Je n’oublierai jamais ce carnage, l’état dans lequel certains ont été retrouvés. Et encore moins ce que vous lui avez fait subir. Vous, et vous. Oui, vous ! Je me rappelle de vos visages. Je me rappelle vous avoir vu rire, alors que sa peau se consumait sous vos yeux et qu’elle hurlait de douleur. Non seulement vous avez laissé faire, mais en plus, vous vous êtes délecté du spectacle. Vous ne cherchez pas un coupable, vous cherchez de la violence, encore et toujours. C’est ça que vous voulez ? C’est ça que vous souhaitez transmettre à vos enfants ?
— Ah oui, je vois de quoi vous parlez. Elle le méritait. Cette femme était une criminelle de guerre.
— Oui, et alors ? C’était la guerre. Une guerre où des combattants se faisaient face, et où c’était tué ou être tué. Et on lui a infligé ça sans aucun état d’âme, sans rien connaître de sa vie, tout ce qu’elle a enduré avant d’en arriver là ! Jamais elle n’a commis ce genre d’horreur que vos chers soldats et votre cher commandeur se permettait. Vous avez même osé le diffuser sur vos chaînes de télévision aux yeux de tous, imposant des scènes insoutenables, même aux enfants. Vous avez brandi la tête d’un cadavre au bout d’une pique, comme s’il s’agissait d’un trophée.
À cette évocation, j’ai pris sur moi. Moi non plus, il y a des choses que je ne pourrais jamais oublier. C’était un jour où nous nous amusions, si je puis dire, à ausculter les programmes de leur chaîne de télévision officielle, pour analyser leur propagande et à la recherche des fake-news. Simon avait tenté de m’épargner cette séquence, mais je ne l’avais pas écouté. J’avais déjà connaissance des jolies affiches placardées avec les têtes mises à prix, ce qui expliquait le look bonnet et barbe qu’arborait parfois Simon.
Après avoir sursauté et s’être levé comme un diable de sur sa chaise, voilà qu’il se rue vers la sortie. Il m’a repéré au passage et a voulu m’embarquer.
— Je ne supporte plus de voir cela. Et je te le déconseille fortement. Surtout toi ! Que ce soit ta mère, tes frères ou toi, aucun de vous ne devrait voir ça !
D’abord, la raison en direct des graves brûlures de Tara. Déjà à la limite de l’insoutenable. Puis ce jeu grotesque, théâtre de Guignol improvisé avec pour marionnettes une agonisante évanouie et le chef en début de putréfaction de celui qui fut mon père.
La raison du cercueil fermé venait de m’éclater en pleine face.
Je suis sorti comme un zombi, déconnecté, pour me retrouver à vomir dans un fourré. Mon chien aboyait comme un damné sans comprendre ce qui m’arrivait.
Ce visage, si pâle… Une pâleur malsaine… Son visage.
Papa, que t’ont-ils fait ?
Une bouffée de rage luttait contre ma peine. Qu’aurais-je fais si mon chien ne s’était pas collé à moi, si je ne l’avais pas saisi entre mes bras, ce qui avait ravivé le doux souvenir de mon père ravi aux larmes devant son fils inondé d’amour par le jeune chiot qu’il venait de lui apporter ? Si Simon ne m’avait réconforté en prenant mon visage qui ne cessait de ruisseler mon chagrin, et qu’il ne m’avait pas répété que mon père n'avait pas souffert, qu'il était déjà mort quand… Enfin, ils n’avaient fait que profaner son corps… Quelle ironie.
— Aucun d’entre nous n’agirait de la sorte, à moins d’être malade ! continuait Yahel. C’est pas humain ! Vous l’avez torturé pendant des jours, des semaines ! Elle était dans un état tel que… Si nous n’avions pas pu percevoir le sifflement de sa respiration… C’est un miracle si elle en est sortie vivante, mettant des mois à s’en remettre, si on peut appeler cela guérir. Elle en a été marquée à vie, et je sais maintenant que, depuis qu’elle a repris conscience, elle n’aspirait plus qu’à la mort, pour ne plus souffrir, pour ne plus se rappeler…
— C’est bien ce qu’elle a eu au final, non ? Elle a tué le commandeur, mais elle en est morte. Basta !
— Personne ne mérite ça ! Combien devaient encore y passer, autant des nôtres que de vos propres citoyens ? Des collègues, des voisins, des amis !
Oui, des tombes, des fosses communes, remplies de cadavres déchiquetés, des centaines, des milliers, tous âges et tout sexes confondus, sans discrimination. Des atrocités qui devaient durer depuis des années. Et vu la quantité, il y avait forcément beaucoup d’humains responsables, pas uniquement ce… cette chose.
— Non, vous n’êtes pas les seuls à avoir perdu des proches. Moi aussi je parle au nom des familles de ceux qui ont laissé leur vie à votre frontière et sur vos terres. Plusieurs milliers à ce jour. Cessez de croire votre propagande, prenez conscience que cela vous conduit à une déshumanisation, vous rendant tous insensible au sort d’autrui. Vous l’ignorez peut-être, mais c’est pour lutter contre ça qu’elle se battait, que nous nous battions tous. Pour éviter que ce ne soit encore pire, pour atténuer le chaos, pour que cela ne se reproduise plus. Elle a pris des vies pour en sauver nombre d’autres. Vos combinaisons noires ont tué une enfant sous ses yeux. Cela allait à l’encontre de toutes nos valeurs. Voilà comment cela a commencé. Pour nous, une civilisation qui n’est pas capable de protéger ses propres enfants, peut-elle prétendre en être une ?
— J’en ai entendu parler. Une petite crasseuse qui n’était même pas de chez nous, juste une réfugiée qui devait travailler pour gagner sa croûte, pas aller courir à l’ennemi. De la graine de traîtresse, voilà tout ce que c’était.
— Bon sang, mais c’est pas vrai ! C’était une enfant !… Une enfant !
Yahel hurla presque, sidérée de ces propos glaçants, et elle n’était pas la seule.
— Réfléchissez à vos paroles, repris-je. On nous a présenté comme des monstres. Mais posez-vous la question de ce qu’est un monstre. Tuer une enfant, obliger des gens à travailler pour soi, les maltraiter, les considérer comme des sous-hommes, chez nous, c’est un crime. Toute vie est importante. C’était déjà des lois fondamentales, avant même la chute. Nous ne jugions pas le fait que vous fassiez des prisonniers, mais la façon dont vous les traitez, c’est une preuve du peu de valeur que vous accordez à la vie humaine, aux valeurs universelles que sont les droits de l’humain.
— Vous vous croyez parfait, peut-être ? Avec cette espèce de hippie qui vous servait de roi, ne nous faites pas croire cela. Vous n’avez même pas d’argent !
— Parce qu’il n’y en a pas besoin pour vivre. Notre société n’est pas parfaite, certes. C’est impossible, l’humain étant ce qu’il est. Mais nous, nous respectons les humains, quels qu’ils soient. Venez chez nous, et vous verrez. Nous ne vivons pas aux dépens des autres. Si nous travaillons, c’est pour le bien commun, pas pour enrichir un patron ou des propriétaires, ou je ne sais qui d’autre. Vous ne trouverez personne laissé pour compte à crever seul dans le froid. Personne ne sera abandonné dans la souffrance, la maladie. Personne n’a besoin d’agresser ou de voler son prochain pour vivre. Pour nous, un être humain n’est pas une valeur monétaire potentielle, c’est une vie à respecter et à défendre. Quant à celui que vous appelez notre roi, vous n’avez pas encore compris ? Ceux qui décident pour tous, c’est nous-même, ensemble. Voilà ce qu’il nous a appris. Voilà ce qu’il était. Un homme parmi nous tous, à égalité avec tous. Pas une espèce de pantin égocentrique qui ne pense qu’à lui et qui croit que c’est son peuple qui doit trimer à sa place. Veuillez m’excuser, mais c’est comme ça que je vois les politiciens du monde d’avant, un monde que j’ai très peu connu. Oubliez vos croyances, ouvrez-vous au monde, apprenez à penser autrement. Vous verrez alors que c’est possible.
— J’aimerais bien voir ça.
Yahel lui a répondu avant que j’aie le temps de l’en empêcher.
— Alors qu’attendez-vous ? Venez donc ? Ou vous n’avez pas confiance en nous ? Ce qui serait bien ironique, parce qu’en entendant votre discours, c’est moi qui aurai du mal à vous faire confiance. C’est vous tous qui vous êtes embourbé et vous êtes laissé manipulé. Pendant des années, Mahdi a toujours essayé d’éviter le pire, et il a usé de toutes les méthodes possibles pour éviter la guerre. Il n’aura pu hélas que la retarder… Vous nous y avez obligé, vous ! Vous avez massacré nombre des miens… Vous avez torturé des gens jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et c’est vous qui voulez nous juger ?
J’ai cru qu’elle allait s’effondrer sous la colère et l’épuisement du chagrin. Je ne l’avais jamais vu dans cet état. Tous ces échanges, ces souvenirs, ont dû sérieusement la remuer.
— Calme-toi, Yahel, cela ne sert à rien. Laisse-leur du temps…
La plupart de nos accusateurs eurent au moins la décence de paraître gêné.
Elle s’est reprise, a respiré un grand coup en s’essuyant les yeux.
— Tu as raison… Je vous prie de m’excuser. C’est aussi à moi-même que j’en veux. Je n’ai pas été là quand ils en avaient le plus besoin. Et moi, je leur ai survécu…
— Je comprends que vous cherchiez un coupable pour vos morts, mais vous vous trompez de cible. Les véritables responsables, du moins la plupart, sont soit eux-mêmes déjà dans l’au-delà, soit dans vos prisons, à l’heure qu’il est.
— Alors pourquoi vous êtes encore ici ? Je suis sûr que vous cherchez autre chose, hein ?
— Ça, c’est votre façon de penser. Ce n’est plus la nôtre. Depuis l’effondrement, et même bien avant, il nous est devenu évident qu’il fallait oublier cette volonté permanente d’accumuler des richesses. De l’argent ou de l’or, cela ne se digère pas, et cela ne réchauffe pas. Si nous sommes là, encore aujourd’hui, parmi vous, c’est parce que certains des vôtres nous le demandent. Parce que vous avez besoin de soigner vos blessés, de reconstruire vos maisons, vos vies. Si ce n’est plus le cas, si tous vous l’estimez ainsi, demain, nous retournons tous chez nous et vous laisserons en paix. Nous ne voulons et ne demandons rien de plus. Personne ne vous imposera la façon dont vous souhaitez vivre, désormais, excepté vous-même.
— Mesdames, messieurs, continuais-je sur un ton solennel. Je vous rappelle que nous n’avons rien à gagner à vous aider. Au contraire, nous y avons beaucoup perdu. Nous non plus, nous ne retrouverons jamais nos morts, et nous devons vivre avec ce que nous avons fait. Tous ce que je peux vous conseiller aujourd’hui, c’est de prendre votre vie entre vos mains. C’est à vous de construire votre pays, votre société. Communiquez entre vous, travaillez dans un effort commun, car avec ce que je viens d’entendre aujourd’hui, si vous ne vous accordez pas confiance entre vous, je crains la guerre civile. Ne tombez pas dans ce travers. Vous avez tous déjà assez souffert.
Avais-je provoqué une envie de méditer ces paroles, ou la fatigue avait-elle envahi les corps et les esprits de la salle ? Toujours est-il que la suggestion de clore les débats pour la journée fit l’unanimité.
— J’ai tout de même une revendication, interrompit Yahel. Si vous souhaitez couper toute relation avec nous, je vous implore de respecter ceux qui ont des liens les attachant à votre pays, ou l’inverse. Laissez-les libres de vivre là où ils le souhaitent, comme ils le souhaitent.
— Vous parlez de la gamine que vous nous avez embarqués ? Nina était restée au village, bien cachée au milieu de la forêt, aux bons soins de Marc, son père adoptif. Je savais que c’était un crève-cœur pour Yahel d’être loin d’elle, mais elle préférait faire de nombreux allers-retours que de la forcer à revenir, même temporairement.
— Franchement, ça vous dérange, une bouche à nourrir en moins ? Non, pas seulement. Je parle aussi au nom de tous ceux qui sont tombés sous un autre joug, incontrôlable, universel. Celui de l’amour, quelle que soit la forme qu’il ait prise. Et oui, malgré les tensions et les conflits entre nous, des couples se sont formés. Avons-nous le droit de les séparer ? Pour une histoire de frontière ? De mode de vie ? Je vous rappelle que là où nous sommes à cet instant, nous étions dans un pays prétendant à trois valeurs universelles : liberté, égalité et fraternité. Ce pays, dont les frontières ont tant changé en mille cinq cents ans que c’est à vous en filer le tournis, ce pays a été déchiré. Il a disparu en même temps que ses institutions. Le réseau englobe, entre autres, le reste de ce même pays, et il s’est agrandi bien au-delà à travers le vieux continent. Il s’est même connecté à des régions moyen-orientales et tout autour de la Méditerranée. Pour nous, il n’y a plus de frontière, mais une terre que nous partageons tous et qui nous fait profiter de ses bienfaits. À nous de ne pas en abuser. La question était : une civilisation avancée peut-elle prétendre à ce titre si elle n’est pas capable de protéger ses propres enfants. Je ne veux pas d’un monde de séparatisme et de stigmatisation. Je ne veux pas d’un monde de haine et de violence. Je veux un monde où nos enfants puissent s’épanouir sans crainte de l’avenir ou d’être montré du doigt pour des raisons obscures. Mon rêve, et celui de tous ceux qui ont choisi de s’intégrer au réseau, c’est d’offrir un monde de paix. À vous de voir si cet état d’esprit est le vôtre. Mais sachez que jamais nous ne vous imposerons quoi que ce soit. En tant qu’individu, en tant que communauté, c’est votre liberté de choisir.
Les mots de Yahel firent mouche. Le silence plana un moment remarquable.
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