Chapitre 7
« Vous savez pourquoi vous êtes là ?
- Non, je ne sais pas. »
Première réponse qu'il donne au flic, et premier mensonge. Ça part mal.
« Vous êtes sûr ?
- Oui. »
A bien y réfléchir, ce n'est pas vraiment un mensonge. Stéphane ne sait pas exactement pourquoi il est là. Il pourrait y être pour deux raisons, bien qu'elles aient toutes deux un même dénominateur commun :
« C'est au sujet de Madame Herzog. »
Hein ?
« Qui ça ?
- Votre voisine d'en face. Votre appartement donne sur son séjour.
- Oh... »
Il regarde le flic, le flic le regarde.
« Je vois qui c'est, finit par dire Stéphane. Ça m'arrive de fumer à la fenêtre, je l'ai aperçue quelques fois.
- Je vois... est-ce que vous étiez chez-vous le 17 mai, dans la soirée ?
- Oui, sûrement. Je sors pas beaucoup. »
Je suis dans la merde, qu'il se dit. Je suis dans la merde.
« Des chances que vous ayez été fumer à la fenêtre ?
- Non, répond Stéphane. Je me souviens pas si j'y suis allé ou pas, mais ça fait deux semaines qu'il fait beau. » Et puis voyant que le flic ne comprenait pas : « J'aime pas fumer chez-moi, je préfère aller dehors quand je peux. Ça m'arrive de fumer à ma fenêtre, mais seulement quand il pleut beaucoup ou qu'il fait trop froid.
- D'accord. »
Le flic frappe la réponse sur le clavier de son ordinateur, mais sans doute pas au mot près.
Aussi rapide que le toubib de la dernière fois, songe Stéphane.
« Est-ce que vous avez vu quelque chose dans l'appartement de Madame Herzog, ce soir-là ? À partir de 23h, peut-être onze heures moins le quart.
- Non, je me couche plus tôt que ça en semaine, vers dix heures en règle général. Dix heures trente au plus tard. Qu'est-ce qui s'est passé ? »
Stéphane sait très bien ce qui s'est passé. Ça faisait quatre mois qu'il veillait pour observer l'appartement d'en face. Quatre mois qu'il ne dormait pas, qu'il avait la tête de l'insomniaque coupable.
Mais le flic ne le remarque pas. Pas parce que c'est un flic et qu'il est plus con que gros ; non. Il ne le voit pas parce que, depuis une semaine, Stéphane dort merveilleusement bien. Et sans l'aide des benzodiazépines.
Il n'a plus de raison de veiller, maintenant.
« Vous n'êtes pas au courant ?
- Non » qu'il fait, l'air ingénu.
Le flic hausse un sourcil et lui répond :
« Madame Herzog a été violée.
- Oh putain...
- Comme vous dites. Elle a porté plainte, et ça aiderait bien si vous pouviez nous aider.
- Malheureusement j'ai rien vu, désolé... » fait Stéphane.
Le flic hausse les épaules et tape sur son clavier.
« L'ADN du gars devrait suffire non ? Il devrait bien y en avoir sur... enfin...
- Je suis pas certain. Mais je peux pas vous en dire plus.
- Oui, je comprends, bien sûr. Désolé » qu'il fait en levant les mains en signe d'excuses.
Lui non plus, n'est pas certain que ça suffira, même s'il n'y connaît rien en procédure judiciaire. Il sait juste qu'il faut des preuves pour condamner quelqu'un ; et que sans preuve, c'est rien qu'une parole contre une autre.
Oui, il y avait de l'ADN, parce que le type n'avait pas mis de capote. Mais le problème, c'est qu'il avait couché avec la voisine quelques jours plus tôt. Stéphane l'avait pris pour une conquête parmi tant d'autres, un mec ramené de boite pour un coup d'un soir, mais il s'est dit que c'était peut-être pas le cas, quand le gars a débarqué deux jours plus tard. Il était très énervé, et il se sont disputés un long moment, avant qu'il essaie d'embrasser la voisine, et qu'elle le repousse. Ce qui n'a fait que l'énerver encore plus.
Peut-être que c'était son copain et qu'il a découvert toutes ses petites aventures. Ou bien un collègue qui pensait vivre une histoire d'amour, après avoir enfin réussi a coucher avec la fille dont il rêvait. Ou alors un taré qu'elle n'a rencontré qu'une fois auparavant.
« Vous pouvez signez là ?
- Ouais, bien sûr. Ici ? »
Le flic acquiesce.
« Merci, Monsieur Stavicz. »
Oui, il y avait de l'ADN, mais elle avait déjà couché avec lui. Il dirait qu'ils n'avaient pas utilisé de capote la première fois, et elle dirait l'inverse. Il dirait que c'est pas lui qui est revenu la violer, et elle dirait l'inverse. Il suffirait qu'il soit plus convaincant qu'elle pour s'en sortir. Stéphane n'y connaissait rien en procédure judiciaire, mais ça lui paraissait possible que ça ne soit pas si simple que ça, de l'inculper pour viol. Surtout au vu du casier sexuel de la dame. La liberté sexuelle pour les femmes, c'est beau sur le papier, mais en vrai, il y en a beaucoup que ça froisse. Probablement le même genre que ceux qui ont inventé le concept de salope.
« Je vous en prie. J'aurais bien voulu vous aider » qu'il répond en lui serrant la main.
Il aurait pu aider sa voisine, mais qui l'aurait fait à sa place ? C'est plus facile de rester en dehors des choses, d'observer de loin sans se mouiller. C'est plus facile de prendre en cachette, que d'offrir en pleine lumière. Et puis, qu'est-ce qu'on irait penser de lui, s'il avait vu quelque chose ?
On lui aurait reproché de n'avoir rien fait. De pas être allé voir, de pas s'être au moins inquiété. De pas avoir passé un coup de fil à la police ou aux pompiers. C'est ce qu'on est censé faire dans ces cas-là : aider.
Non-assistance à personne en danger. Ça lui revient en tête maintenant. Il ne sait pas si on pourrait le condamner pour ça, mais il se dit que ça se pourrait bien. Il pense que la voisine le condamnerait pour ça.
Il ne sait pas si elle est au courant pour lui. Probable qu'elle s'en doute. Mais il n'y a aucune preuve contre lui, ça il le sait très bien. Alors aucun risque pour lui, à condition qu'il nie avoir vu quoi que ce soit.
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