Chapitre 1

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Comme pour beaucoup de femmes, Fleur allait vivre le plus beau jour de sa vie un samedi de fin juillet. Avec Marc, ils avaient choisi de s'unir en été, un dernier jour de la semaine. Sans grande originalité. Temps idéal pour les vacances : ciel sans nuage, soleil chaleureux et vent léger ; mais pas pour la saison des mariages. Vous connaissez la chanson : Mariage pluvieux, mariage heureux. Si on en croit l'adage, il vaudrait mieux se marier en automne, quand il tombe plus d'eau du ciel que de rayons de soleil.

Pourtant, la plupart des couples décident de faire ça en été. Pas étonnant que la majorité des mariages se cassent la gueule. À vouloir jouer au plus malin avec la sagesse populaire, on finit par s'en mordre les doigts. Fleur aussi, connaissait bien ce dicton, comme vous et moi, mais ça ne l'empêchait pas de se réjouir du temps magnifique, annonciateur d'un mariage pourri. Elle avait contourné le problème en se répétant un adage de son cru : Mariage soleilleux, mariage heureux quand même. Pas sûr que ça suffise à rattraper sa témérité masochiste.

Elle se le dit encore devant la glace, espérant chasser le mauvais sort : Mariage soleilleux, mariage heureux quand même.

Ça lui faisait tout drôle, de se voir belle et radieuse dans une robe blanche. Tout ça, c'était grâce à Marc. Marc Panier. D'ici quelques heures, elle s'appellerait comme lui. Madame Fleur Panier. Heureusement que le lycée était loin derrière elle, parce qu'elle aurait morflé, avec un patronyme pareil accolé à son prénom. Déjà que ce dernier lui avait mené la vie dure.

Rafflésie, qu'on l'avait appelée de la primaire jusqu'au bac. C'est joli un nom de fleur, mais pas quand il s'agit de la plus grosse du monde.

Madame Fleur Panier, répéta-t-elle en se dandinant devant le miroir.

« Arrête de bouger, râla sa mère. J'arrive pas à boutonner ta robe. Ça y est ! Prête pour ton futur mari !

  • Splendide, dit Lisa en applaudissant du bout des doigts. Il ne va pas en revenir.
  • J'espère qu'il ne va pas nous faire un malaise avant de dire oui, plaisanta Fleur. Après il fait ce qu'il veut, mais il faut qu'il dise oui d'abord ! »

Les trois femmes rirent de bon cœur. Ça aussi, c'était quelque chose de nouveau. Avant de rencontrer Marc, Fleur n'aurait jamais fait sourire qui que ce soit, à commencer par elle-même. Avant lui, elle était morose du matin au soir, inexpressive et aigrie, le plus souvent. Mais c'était loin, à présent. Aujourd'hui elle était heureuse, comme hier, et comme demain. Même s'il n'y aurait pas un brin de flotte aujourd'hui.

« Tu es magnifique, ma fille. » Les larmes n'étaient pas bien loin, mais elle se retenait. Ses cils battaient plus que de raison pour empêcher l'eau de s'accumuler.

« Merci, maman » répondit-elle en se retournant pour prendre sa mère dans ses bras.

Fleur aussi se trouvait belle, maintenant. Pour la première fois de sa vie, elle se dit que son prénom pouvait être autre chose qu'une mauvaise blague. Souvent, elle se demandait ce que Marc avait bien pu lui trouver. Quand ils s'étaient rencontrés, Fleur était en pleine dépression. Pas de maquillage, des haillons en guise de fringues (quand elle ne portait pas sa robe de chambre), des cheveux gras et mal (pas) coiffés. Elle se lavait seulement quand il fallait sortir de chez elle (et encore, pas à chaque fois).

Au moins, la dépression lui avait fait perdre son trop plein de kilos. À ne rien bouffer pendant huit mois, on fond comme une boule de glace en plein soleil. Mais tout ça était derrière elle, à présent. Depuis déjà quatre ans.

« Je suis tellement excitée, mais en même temps j'ai un peu peur, confia-t-elle. J'ai le cœur qui va exploser.

  • Ça va aller, tu seras parfaite, la rassura Lisa. Tu vas tous les éblouir. Et puis tu connais ton texte par cœur. T'as juste à dire oui. Même moi j'ai réussi à le faire. »

Puis on frappa à la porte.

« Ça doit être ton père » dit sa mère en allant ouvrir.

Et c'était bien lui. Il enlaça tendrement sa fille, ému, les yeux encore plus humides que ceux de sa femme. Lui aussi se retenait de pleurer, mais les larmes prirent finalement le dessus, ce qui en arracha quelques unes à Fleur. Lisa s'empressa d'essuyer le mascara qui commençait à couler sur ses pommettes.

« Arrête, espèce d'idiote, s'affola-t-elle. Tu vas ruiner ton maquillage ! Papa, arrête aussi. Tu nous aides pas, là !

  • Désolé ma chérie, dit-il en essuyant ses yeux aux pourtours ridés. Je suis tellement content pour toi.
  • Merci, papa, répondit Fleur.
  • La voiture est prête, on y va quand tu veux. Pas trop tard quand même, il faudrait pas manquer la cérémonie.
  • Oui, ce serait dommage, avoua-t-elle en riant. Laisse-moi deux secondes et on y va. »

Elle recula d'un pas et se regarda une dernière fois dans le miroir, scrutant son reflet de la tête aux pieds pour admirer sa belle robe blanche à dentelles. Les robes blanches sont une tradition, mais sa pureté avait déjà foutu le camp depuis pas mal d'années. Sans parler de l'accouchement. Sa petite fleur n'était plus vraiment intacte. Pas tout à fait le bon moment, pour se rappeler de sa première fois, mais les souvenirs ont la mauvaise habitude de se pointer quand on a pas envie de les voir. Surtout les désagréables.

Elle se rappelait de sa première fois, et aussi de son prénom. Un coup d'un soir, qu'elle n'avait plus jamais revu.

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