Chapitre 8 - Ada
Elle soupira et se leva du canapé. Elle alla vers la fenêtre et écouta la rue. C’était toujours le même vacarme infernal. Des gens qui marchaient, qui mendiaient, qui se battaient. Des voitures qui klaxonnaient, qui polluaient, qui fuyaient. Des affiches qui clignotaient, qui mentaient, qui hypnotisaient. Des slogans publicitaires qui promettaient le bonheur, la richesse, la beauté. Des images de synthèse qui montraient des corps parfaits, des visages souriants, des paysages idylliques. Elle se sentit déprimée et frustrée. Elle consulta son implant neuronal et parcourut les différentes options que l’interface lui proposait. Elle décida de changer la couleur de ses cheveux par un roux proche du rouge. Peut-être que ça lui donnerait un peu de peps. Peut-être que ça attirerait l’attention de quelqu’un. Peut-être que ça changerait quelque chose à sa vie monotone et misérable. Elle savait que c’était illusoire, mais elle n’avait pas grand-chose d’autre à espérer. Il fallait qu’elle bouge. Dans ce monde, rester inerte signifiait la mort.
Elle n’avait pas le choix. Il n’y avait que deux façons de survivre dans ce monde pourri. Soit elle se vendait à une corporation et elle grimpait les échelons à coups de magouilles, de trahisons et de sang. Soit elle devenait une merc, une tueuse à gages qui acceptait les contrats les plus sales et les plus risqués. Dans les deux cas, elle devait renoncer à sa conscience, à sa dignité, à son humanité. Elle devait devenir une machine, une arme, un outil. Elle devait oublier qui elle était, d’où elle venait, ce qu’elle voulait. Elle devait oublier qu’elle avait un nom, qu’elle avait des yeux, qu’elle avait un bras et une main. Elle devait oublier qu’elle avait une vie avant de se retrouver dans ce bidonville infâme. Elle devait oublier qu’elle avait une mémoire. Justement elle n’avait plus ça.
— Ada ? L’appela Léo. Elle se tourna vers lui et sentit son sourire lui réchauffer le cœur.
— Quoi ? Demanda-t-elle. J’ai une surprise pour toi. — dit-il.
— Quelle surprise ? S’enquit-elle avec intérêt.
— Viens avec moi. On va sortir. Répondit-il.
— Sortir ? Où ça ? Questionna-t-elle.
— Dans une boîte à jazz. Il y a un fixer qui veut te parler. Il a peut-être un contrat pour toi. Expliqua-t-il.
— Une boîte à jazz ? Un fixer ? Un contrat ? Répéta-t-elle.
— Oui, oui, oui. Tu verras, c’est sympa. Il y a de la musique, de l’ambiance, des gens intéressants. Et peut-être une opportunité de faire un peu d’argent. Assura-t-il.
— Bon, d’accord. Je te suis. Mais tu me dis tout sur ce fixer. C’est qui ? C’est quoi son nom de code ? Il bosse pour quelle corpo ? Il veut que je fasse quoi ? Que je hacke un système ? Que je bute une cible ? Que je récupère un colis ? — accepta-t-elle en se levant du canapé.
Léo et Ada arrivèrent devant la boîte à jazz. C’était un vieux bâtiment en briques, avec une enseigne lumineuse qui indiquait « Le Chat Noir ». Léo entraîna Ada à l’intérieur. Elle entendit le bruit de la foule, le son du saxophone, l’odeur de l’alcool. Elle se sentit dépaysée. Elle regarda autour d’elle et vit un mélange hétéroclite de gens. Il y avait des costards-cravates qui travaillaient pour les corporations, des punks qui arboraient des implants cybernétiques, des artistes qui portaient des vêtements extravagants, des mercs qui dissimulaient des armes sous leurs manteaux. Tous semblaient apprécier la musique, le whisky et la compagnie. Mais Ada savait qu’il ne fallait pas se fier aux apparences. Dans ce monde, tout le monde avait un agenda caché, une arrière-pensée, un secret. Elle se demanda ce que le fixer voulait lui proposer. Elle espérait que ce ne serait pas trop dangereux. Elle n’avait pas envie de mourir ce soir.
Léo l’emmena vers le bar. Il commanda deux verres de whisky et en tendit un à Ada. Elle mit en route son odorat et son ouïe pour assimiler son entourage. Elle sentit les effluves de tabac, de sueur et de parfum qui se mêlaient dans l’air. Elle entendit les murmures, les rires et les applaudissements qui rythmaient la musique.
Elle reconnut à l’odeur du parfum, un mélange écœurant de vanille synthétique et d’une autre senteur indéfinissable, et à sa voix faussement mélodieuse, que la cliente à sa gauche devait être une doll, une prostituée augmentée qui appâtait son futur client. Elle l’ignorait. Elle l’ignorait comme elle ignorait tous ces gens qui se perdaient dans l’illusion, dans le plaisir, dans l’oubli. Elle l’ignorait parce qu’elle savait qu’elle n’avait rien à lui envier, rien à lui offrir, rien à lui dire. Elle l’ignorait parce qu’elle savait qu’elle était différente, qu’elle était réelle, qu’elle était vivante.
— Tiens, bois ça. Ça va te détendre. Lui dit-il.
Merci. Répondit-elle. Elle entendit des brides de conversation qui tournaient pour la plupart sur l’origine de leurs problèmes qui étaient les corporations, les gangs, les netrunners.
Elle porta le verre à ses lèvres et but une gorgée. Elle sentit le liquide brûler sa gorge et réchauffer son corps. Elle n’avait pas besoin de voir pour savoir que c’était du whisky de contrebande. Son implant neuronal lui indiquait la composition et la provenance de la boisson.
Ada chercha si elle pouvait se connecter à un appareil optique avec son interface. Elle activa son implant neuronal et scanna les ondes radio. Elle détecta plusieurs signaux provenant des lunettes connectées, des casques de réalité virtuelle ou des écrans holographiques qui se trouvaient dans la boîte à jazz. Elle essaya de s’y brancher, mais elle se heurta à des codes de sécurité ou à des interférences. Elle ressentit une frustration et une impuissance qui la rongeaient. Elle aurait tellement aimé voir ce que les autres voyaient, même si c’était une illusion. Il lui fallait vraiment un Quickhack.
— Alors, tu aimes ? Lui demanda-t-il.
— C’est… spéciale. Dit-elle.
Elle se laissa bercer par la musique de jazz qui remplissait l’air. Elle apprécia la diversité et la richesse des styles, du bebop au free jazz, en passant par le cool jazz et le jazz fusion. Elle se surprit à fredonner les airs qu’elle connaissait ou à taper du pied en suivant le tempo. Elle se détendit et sourit, oubliant pour un moment ses soucis et ses angoisses. Mais le temps n’était pas à l’amusement. Pas encore.
— Ton fixer est là demanda-t-elle à Léo.
— Oui au fond de la salle, tu es prête ?
Pas vraiment. Mais on n’a pas le choix. Mais j’ai besoin de fric, tu te souviens ? Elle soupira et finit son verre cul sec.
— J’ai entièrement confiance en lui. Rassura, Léo.
— Ok allons-y.
Léo guida Ada jusqu’à la table où se tenez leur rencard.
Le fixer les attendait au fond de la salle, près du bar. C’était un homme d’une quarantaine d’années, au visage marqué par les cicatrices et les implants. Il portait un long manteau noir, un chapeau mou et des lunettes noires qui dissimulaient ses yeux. Il avait une allure de détective privé des vieux films noirs, mais il dégageait aussi une aura de danger et de mystère. Il fumait un cigare synthétique et buvait un verre de whisky.
— Salut les gars, vous êtes en retard — dit-il en les voyant arriver. — J’ai un boulot pour vous. Un truc facile, et si tout se passe bien, j’aurais d’autres contrats plus juteux.
— Bonjour, Jack – dit Léo en s’approchant. — Merci de donner une chance à ma pouliche. Quel genre de boulot ?
— Un piratage. Rien de plus simple pour une netrunner comme ta copine — dit-il en désignant Ada. — Il s’agit de s’introduire dans l’ordinateur d’une centrale électrique et de modifier quelques données. Rien de méchant, juste de quoi faire chier les corporations et de donner un peu plus de jus à notre quartier.
— Et pourquoi vous ne le faites pas vous-même ? Demanda Ada, méfiante.
Jack fait un signe en direction du barman
— Parce que je ne suis pas un netrunner, ma belle. Répondit-il en souriant.
— Et les personnes comme toi ne courent pas dans les rues par ici. Dit-il en invitant d’un grand geste à regarder la salle, mais il se rappela très vite son infirmité. C’est pour ça que j’ai besoin de vous. On pourra tester vos compétences en discrétion et efficacité.
— Et combien je gagne ? Demanda Ada.
— Léo m’a appris que votre interface était vierge, alors voilà le deal. Il s’arrêta brusquement de parler. Le barman posa une bouteille de Whisky ainsi que deux autres verres qu’ils remplient. Jack attendit un moment et reprend.
— Je vous donne une puce d’Hacking et vous faites la mission. Ça marche ?
— OK répondit Ada.
Jack sortit une petite puce métallique de sa poche et la posa sur la table. Il appuya sur un bouton sur le côté et une LED rouge s’alluma, indiquant que la puce était activée.
— Allez y copier les programmes qu’il vous faut.
Ada se connecta à la puce par onde courte et accéda aux fichiers qu’elle contenait. Elle vit une liste de logiciels d’hacking aux noms étranges : Wormhole, Blackout, Ghost, Quickhack, etc. Elle sélectionna tout et transféra les données dans sa mémoire interne. Elle sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il y avait également un dossier avec les plans de la centrale électrique, avec l’emplacement des serveurs, des caméras de surveillance et des postes de garde.
Pendant ce temps Jack vida son verre cul sec et se resservit.
Jack leur expliqua le plan en détail. Il s’agissait de s’introduire dans l’ordinateur de la centrale électrique qui alimentait le quartier, et de modifier les données de consommation et de production d’électricité. Il fallait faire croire que le quartier consommait moins qu’il ne produisait, en truquant les compteurs et les factures. Ainsi, le quartier pourrait revendre le surplus d’électricité à d’autres zones, ou le garder pour ses propres besoins. Cela permettrait au quartier de gagner de l’argent et de l’autonomie, mais aussi de nuire aux corporations qui contrôlaient l’énergie. Mais il faudra que cela soit fait ce soir.
Ada écouta attentivement les explications de Jack. Elle comprit que le piratage n’était pas si simple qu’il le prétendait. Il fallait passer à travers plusieurs niveaux de sécurité, éviter les pièges et les alarmes, et agir vite et discrètement. Elle se demanda si elle était capable.
Léo observa la réaction d’Ada. Il vit qu’elle était à la fois curieuse et inquiète. Il espérait qu’elle était une hackeuse de génie, mais il se souciait aussi de sa sécurité. Il se demanda si le boulot valait le coup. Il se dit qu’il devrait rester à ses côtés et la protéger en cas de problème.
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