Le miraculé
Par un beau matin de printemps, happé par le parfum des marronniers en fleurs, Benoît, d’un geste vigoureux, s’empare de sa canne sort de son appartement et descend l’escalier de bois qui le mène à l’orée du quai Conti.
Il est accueilli par le bruit familier de cette voie dont les échos sont atténués par la proximité de la Seine. Il marche d’un pas alerte et se réjouit à l’avance du terme de sa promenade. Les effluves de café et de croissants chauds narguent ses narines lorsqu’il passe devant le café Anglais. Il reste insensible au miroitement des bijoux exposés à la devanture de la joaillerie. Il longe l’hôtel des monnaies sans un regard sur son imposante façade et arrive bientôt à sa destination : la bibliothèque Mazarine.
Il pénètre dans l’édifice avec le même émoi que le premier jour et ressent les vibrations émanant de ce lieu historique chargé du savoir des hommes. L’odeur des boiseries et des maroquins rouges l’enivre et le dirige vers la salle de lecture comme s’il était conduit par la main d’une bienveillante hôtesse.
Un tumulte de silence l’enveloppe, il se trouve au milieu d’une foule invisible et tranquille dont le bouillonnement interne n’affleure que par un fluet murmure. Il longe la grande galerie et caresse du bout des doigts les somptueuses reliures, il hume les fragrances de cires, de papiers et de cuirs qui réveillent les papilles de l’imaginaire. Enfin, il s’arrête devant une étagère, tâtonne quelques instants avant de trouver l’ouvrage qu’il convoitait. Avec précaution, il l’extrait d’entre ses congénères et s’installe non loin à une table libre. Il s’assied, pose sa canne et ouvre le livre. Il tourne les premières pages et fait glisser ses doigts sur le papier aux délicats reliefs.
Le miracle se produit de nouveau, les images affluent dans sa tête, les couleurs inondent l’espace, le soleil se lève à l’horizon, les armées se mettent en branle, les cavaliers chevauchent des montures sauvages, le monde s’ouvre à son esprit, à nouveau, il peut voir !
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