5. Condamnation - Partie 1
- Tenez-vous prêt, déclara Zacarias quand la porte du château s’ouvrit.
Il plissa les yeux pour mieux voir le seul et unique homme qui s’avançait vers eux.
- C’est sans doute un piège, lança-t-il aux soldats de Sorgat qui l’accompagnaient. Soyez sur vos gardes.
L’homme qui s’avançait vers eux marchait d’un pas lent et décidé. Il reconnut le fils de Valérian au chapeau qui était vissé sur sa tête.
- Où est ton père, engeance démoniaque ? demanda Zacarias quand il fut à portée de voix.
- Occupé, répondit ironiquement Dorian, il… tient compagnie à ta promise.
Le mage blêmit de colère tandis que Dorian se fendit d’un sourire amusé.
- Comment oses – tu me…, commença le vieux mage.
Le visage de Dorian changea en un masque froid quand il coupa :
- Et toi, comment oses-tu te présenter ici avec une armée qui n’est pas la tienne ? Conquérir une femme qui n’est pas la tienne non plus ? Zacarias, combien de mages de la Tour Blanche sont morts récemment ? Combien étions-nous à les défier ? Nous avons combattu une horde d’enchanteurs sans trembler et nous n’étions que deux, alors contre un sorcier et une poignée d’humains… Si j’étais vous, je rebrousserais chemin pour nous apporter ce que nous demandons.
Dorian espérait de tout cœur que sa menace parvienne à faire plier le mage mais sa réponse le laissa perplexe.
- Sorgat a chassé les enchanteurs qu’elle abritait. Je suis le dernier et je suis à vous. Libérez la princesse, qu’elle puisse repartir avec ses hommes. Je me rends.
- Et qu’est-ce qui nous prouve que tu ne nous mens pas ? déclara d’une voix sinistre Valérian en apparaissant soudain au milieu des soldats. Qu’est-ce qui m'atteste que Sorgat a été vidée de ses mages ?
- Ma parole, répondit vaillamment Zacarias.
- Et tu crois que je vais me contenter de si peu ? s'amusa Valérian.
Le mage tourna alors le regard vers Dorian et lui intima mentalement d’aller chercher l’otage. Le jeune homme, bien heureux de quitter cette discussion, ne se fit pas prier pour disparaître subitement.
***
Dorian réapparut dans sa propre chambre. Il traversa le couloir pour aller chercher Roxanne. Quand il ouvrit la porte, elle l’accueillit d’un merveilleux sourire.
- Dorian, soupira-t-elle, tu n’as qu’un mot à dire et je te suivrai jusqu’au bout du monde.
Son sourire fit place à de l’inquiétude devant la mine fermée du jeune homme.
- Votre fiancé vous attend dehors, déclara-t-il froidement.
- Dorian, commença la demoiselle soudain terrifiée, je pensais que nous…
- Quel nous ? Coupa implacablement le mage. Une nuit ne signifie pas une vie.
Roxanne le dévisagea comme si elle le rencontrait pour la première fois. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux et ne tenta pas de les retenir. Dorian l’empoigna fermement et la transporta jusqu’à Zacarias et les gardes de Sorgat. Le vieux mage tressaillit quand il vit la jeune femme en pleurs.
- Ces scélérats vous ont-ils fait du mal ma douce ? demanda-t-il.
Roxanne détailla pour la première fois cet homme auquel elle devait se marier, ses longs cheveux blancs et sa vénérable barbe. Elle voulut couler un regard vers Dorian mais la peine l’emporta, elle fondit en sanglots en secouant la tête en signe de négation. Zacarias fusilla Dorian :
- Qu’est-ce que tu lui as fait, Monstre ?
- Rien que tu ne lui feras également, s’amusa la jeune mage.
Zacarias bondit et tenta d’envoyer une décharge magique au jeune arrogant. Dorian, qui avait parfaitement presenti l’attaque, la bloqua et arrêta la lame de son épée sous la gorge de son adversaire.
Le temps se suspendit. Les soldats n’osaient pas intervenir, Valérian semblait amusé par la conjoncture. Dorian lui fit passer un message mental pour lui signaler qu’il contrôlait la situation et qu’il fallait le laisser agir. Roxanne s’avança vers les deux hommes et posa ses mains sur le bras de Dorian.
- Dorian, commença-t-elle, je vous en prie.
Dorian retira la lame de son épée assez rapidement pour entailler légèrement le mage, un filet de sang coula sur son vêtement.
- Rentrez à Sorgat, déclara-t-il d’une voix froide. Prévenez le roi, nous reviendrons dans deux jours. Si nous y croisons le moindre enchanteur ou si le monarque refuse de nous prêter allégeance, nous détruirons la cité. Et ne songez pas à chercher secours auprès des elfes : ils tomberont aussi.
Dorian tourna les talons et repartit vers le château, son père sur les talons.
- Tu ne gardes pas ton otage plus longtemps ? s’étonna Valérian.
- J’ai eu ce que je voulais, éluda le fils.
Ils regagnèrent la forteresse sans un regard en arrière. Zacarias hésita un peu puis, heureux de retrouver sa belle, tourna les talons et repartit vers Sorgat.
***
Dorian marchait seul vers Sorgat, Valérian avait décidé d’aller voir ce qu’il se passait chez les elfes. Le plan des plus simplistes consistait à vérifier que le roi avait tenu sa promesse et repartir ou, dans le cas contraire, assurer à la cité une fin funeste. Quand il pénétra dans la ville, il trouva l’atmosphère étrange, les gens le saluaient avec respect et même une pointe de peur. Il arriva aux marches du palais, se présenta auprès d’un garde qui disparut immédiatement à la recherche du monarque. On l’attendait, c’était un bon point. Par acquit de conscience, il projeta ses sens dans la cité et repéra un groupe d’enchanteurs à quelques pas de lui. Il activa machinalement un bouclier d’éther, redoutant le piège. L’assaut ne dura que quelques secondes, une détonation retentit soudain. Dorian s’affaissa, blessé à la jambe. Une dizaine de gardes en profitèrent pour l'attaquer ne lui laissant aucune chance. Un violent coup à l'arrière du crâne le fit sombrer dans l’inconscience. Le mage était sans doute allé trop loin. Les enchanteurs l’emmenèrent dans les prisons du palais, prenant soin d’utiliser des fers que le jeune homme ne puisse ouvrir par ses aptitudes.
Quand Dorian revint à lui, la première information que lui délivra son cerveau fut une violente douleur au mollet. Il tenta de bouger mais constata qu’il était ferré à un mur. Il avisa sa jambe. Il avait été touché par une balle et la plaie saignait abondamment. Il ferma les yeux pour envoyer un sort de soin mais se rendit rapidement compte que rien ne fonctionnait ici. Soudain, un mouvement dans son champ de vision capta son attention. Un homme en noir le surveillait.
- Je peux savoir qui vous êtes ? demanda l’homme en noir.
Dorian le toisa, détaillant chaque partie de son corps, de ses courts cheveux couleur corbeau à ses yeux marron.
- Je vous retourne la question, répondit-il nonchalamment.
- Je me nomme Raven, je suis exécuteur pour l’Ordre de St Benoît, je traque les démons, vermines et autres déviants qui arpentent ces contrées.
- Dorian, vermine à ses heures perdues, ironisa le jeune homme.
- Ils vous ont condamné à mort, reprit le chasseur.
- Le contraire m’aurait étonné.
Un silence pesant s’installa entre les deux hommes, Raven semblait jauger cet étrange personnage.
- Je pensais les mages noirs plus froids, plus calculateurs, reprit le chasseur.
- Mon père l’est, plaisanta Dorian, moi, je suis juste jeune et téméraire.
- Vous n’êtes pas Mage Noir ? s’étonna Raven.
Dorian soupira et reprit son sérieux.
- Je ne sais pas ce que je suis. J’ai fait des choses répréhensibles mais je n’ai pas encore tué.
- Parce que, selon vous, un mage qui n’a pas tué ne peut être un Mage Noir ?
Le regard du prisonnier se perdit dans le vide.
- Je pense qu’avoir du respect pour la vie doit être la dernière once d’humanité qu’il me reste.
Le silence reprit ses droits avant que Raven ne le coupe à nouveau :
- Et comment combat-on un Mage Noir ?
- Pourquoi ? Vous écrivez un bestiaire ?
Le chasseur chercha à cacher une certaine gêne sous une couche de suffisance.
- Je suis juste curieux. Il est des créature malsaines qui rôdent sur ces terres. Rien ne peut préserver les cités contre ces menaces. Je rêve de construire un refuge où les hommes seraient protégés de ces monstres. J’imagine une armée, formée aux techniques de combat, qui maintiendrait la paix en exécutant ces chimères.
- Et ceux qui veulent vivre ? Il est des engeances démoniaques qui flirtent avec le mal. Des déviants qui ne sont pas si néfastes que ça.
- Vous ne semblez pas mauvais, lâcha Raven dans un sourire.
- Et que savez-vous de moi, ironisa le jeune mage ?
- Ce que j’ai bien voulu lui dire, déclara une voix familière dans le fond de la prison.
Elminster apparut alors. Il salua Raven qui ayant, semble-t-il, récolté les informations qu’il souhaitait quitta le cachot. Le vieux mage observa la blessure du prisonnier et la soigna en quelques instants tout en expliquant :
- Cet homme a des idées intéressantes, il ira très loin.
- Vous n’êtes pas chez les elfes, soupira Dorian.
- Ton père y est, j’ai voulu brouiller les pistes, d’ailleurs, je ne m’attendais pas à ce que tu lui dises où j’étais.
Dorian évita le regard du vieux mage, conscient qu’il avait dévoilé trop facilement cette information.
- Je peux faire quelque chose pour toi, reprit Elminster, mais il faut que tu renonces à aider ton père, que tu lui tournes le dos, que tu te battes avec nous.
- Et si je n’ai pas envie, trancha froidement le jeune homme. Et si je n’ai pas confiance en celui qui a brisé ma famille ?
- Dorian, je n’ai fait que repousser un sort lancé par Valérian. Si tu ne fais pas de différence, alors, je ne peux rien pour toi.
Le vieux mage tourna les talons et disparut laissant Dorian en tête à tête avec sa conscience. Au fond de lui, il savait qu’Elminster disait la vérité. Malgré le déni dont Valérian faisait preuve, Dorian pressentait la culpabilité paternelle dans la mort de sa mère.
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