6. Le Goût Amer de la Vengeance - Partie 1
Quand Dorian ouvrit les yeux, il observa un long moment l’étendue de ciel bleu qui l’accueillit. Puis, il avisa une petite tête blanche qui semblait des plus inquiètes :
- Dorian, tu vas bien ? Que s’est-il passé ?
Le jeune mage se redressa, faisant au passage tomber l’hermine qui était grimpée sur sa poitrine. Il observa le monde immaculé qui s’étendait à perte de vue autour de lui. Une odeur de chair brûlée et une violente douleur dans le dos le ramenèrent à la réalité. L’auberge, la soirée, le vin, l’attentat. Quelqu’un avait cherché à le tuer, quelqu’un qui aurait sans doute réussi s’il n’avait pas quitté les lieux. Quitter les lieux, il revoyait le box en flammes. Roxanne. C’était un miracle s’il avait échappé à l’explosion, elle était trop loin dans la pièce pour en avoir réchappé. Il ferma les yeux pour chasser cette image qui venait de s’imposer à son esprit. Une peine immense l’envahir mais surtout un besoin de comprendre. Le vin était drogué, sans quoi il ne se serait pas senti aussi mal dès le second verre. Le mage qui l’avait attaqué était clairement en embuscade. Il savait donc que la taverne allait exploser. Le tenancier qui semblait si tendu ce soir-là. Dorian se releva d’un air déterminé. Syphilis vint se matérialiser sur son épaule :
- Dorian, ne fais pas quelque chose d’inconsidéré et…
- Non, coupa le jeune homme d’un ton ferme. Quelqu’un va payer pour ça.
Il jeta un coup d’œil sur la forme qu’il avait lui-même dessinée dans la neige, il y avait du sang partout, il n’était pas étonnant que son familier soit si inquiet. Cependant, hormis une atroce brûlure dans le dos, il ne ressentait aucune autre douleur. Une douce rage l'envahit et il se matérialisa devant l’auberge.
***
Le jour s’était levé et les dégâts de l’attentat étaient bien visibles. L’auberge avait été éventrée et le box où il avait passé la soirée, s’était transformé en un trou béant dans la façade. Dorian identifia sans mal l’endroit où il avait atterri. La force de l’explosion l’avait soufflé à une impressionnante distance de la taverne. Il y retrouva son chapeau dont il se coiffa puis repartit vers les lieux de l’accident. La porte était close. Dorian frappa un violent coup pour qu’on lui ouvre.
- L’auberge est fermée, hurla une voix à l’intérieur.
Le jeune mage puisa alors dans son pouvoir pour faire voler la porte en éclats et entra doucement. Quand le tenancier le vit, il écarquilla les yeux de terreur et tomba à genoux :
- Monseigneur, ânonna-t-il. Je le savais qu’ils ne pourraient pas vous avoir ainsi. Je n’ai rien pu faire, je…
Il se tut brusquement. L’air lui manqua soudain. Dorian l’observa se contorsionner pour échapper à l’emprise qu’il venait d’apposer sur la gorge de l’homme.
- Qui a commandité ça ?
Il relâcha la pression et le tenancier aspira de grosses goulées d’air avant d’expliquer avec panique :
- Je n’ai rien pu faire, ils avaient de l’or, beaucoup trop d’or, je n’ai pas pu refuser.
- Qui ? répéta froidement Dorian.
- Un mage, répondit l’aubergiste, il vit avec une elfe mais je n’en sais pas plus.
- C’était moi qu’ils visaient ou la future reine de Sorgat ?
Le visage de l’aubergiste se transforma soudain, on lisait l’incrédulité sur ses traits. Il mit les mains devant sa bouche, comme choqué par ce qu’il venait d’apprendre. Ses yeux se chargèrent de larmes.
- Non, réfuta-il en secouant la tête, ne me dites pas que le corps qu’on a découvert était… de sang royal.
Dorian ne releva pas mais son cœur se chargea de haine quand il reçut la confirmation que l’attentat avait tué Roxanne.
- Où puis-je trouver ce mage et cette elfe ? demanda-t-il calmement.
Le tavernier resta muet décuplant la rage du mage. Il lui saisit alors le crâne et puisa dans son éther afin d'explorer les souvenirs de l'homme. Ce dernier hurla machinalement dans un mélange de peur et de douleur. Dorian resta hermétique aux stimuli externes, il trouva rapidement ce qu'il cherchait, une visite dans une petite cabane perdue au fond des bois. Il voyait plus ou moins où elle se situait. Il rompit le contact, prenant sur lui pour ne pas tuer ce complice sans autre forme de procès. Il fit demi-tour pour quitter la taverne. Cependant, avant de laisser l’aubergiste, il glissa une remarque assassine :
- J’espère que le jeu en valait la chandelle et qu’ils t’ont grassement payé. Je dis ça parce que le régicide est passible de la peine capitale.
Il n’ajouta pas un mot de plus et quitta l’auberge.
***
- Mais comment a-t-il pu t’échapper ? Hurla Sirié en frappant du poing sur la table.
L’elfe et son compagnon Yann faisaient le point sur leur attaque de la veille.
- Bon sang, reprit-elle, tout était là, tout avait été fait. Qu’il réchappe à l’explosion, passe encore mais il était assez affaibli pour que tu l’achèves !
- Il a eu la présence d’esprit de fuir le combat, répondit Yann pour se disculper. Je ne m’attendais pas à ce qu’il ait assez de forces pour s'échapper. Peut-être que le vin…
Sirié frappa de nouveau du poing sur la table pour le faire taire.
- Le vin était parfaitement drogué, ne vient pas rejeter la faute sur ça !
Elle s’écroula soudain sur une chaise en soufflant. Yann vint délicatement enlacer, et tout en plaçant un baiser sur ses longs cheveux ébène, lui murmura :
- Il y aura d’autres opportunités. On finira bien par l’avoir.
L’elfe se releva d’un bond et dévisagea à son compagnon :
- Et s’il questionne le tenancier ?
Yann souleva les épaules :
- Et alors, il n’aura que peu d’informations pour remonter jusqu’à nous. Une elfe et un mage qui porte des habits pourpres. Ma couleur était tout autre avant que la Tour ne soit mise à bas, même Valérian ne ferait pas le lien.
***
Il ne fallut à Dorian que quelques minutes pour retrouver la maisonnette perdue au milieu de la forêt. Il s’était mis à l’écart pour observer les alentours. Il resta des heures entières à épier le couple. Il saisit bientôt le nom du mage : Yann. Il faisait partie de la Tour Blanche avant qu'elle ne soit détruite. Il ne fallait pas chercher bien loin les raisons de son acte. La porte de l’habitation s’ouvrit soudain et Yann en sortit. Il salua son épouse elfique dans l’embrasure. Ils se séparèrent sur un langoureux baiser et Sirié souhaita une bonne chasse à son compagnon. Dorian esquissa un sourire mauvais, oh oui, la chasse serait bonne. C'était le moment d'agir. Il attendit quelques minutes que sa proie se soit enfoncée dans la forêt avant d’aller cogner à la porte de la demeure.
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