10. Trahison - Partie 1
Dorian avait voulu protéger Firiel de l’issue du combat, aussi avait-il profité de l’attaque pour les envoyer dans son royaume. Valérian atterrit lourdement dans la neige tandis que son fils apparaissait comme un spectre.
- Père, votre arrogance a amené les Mages de la Tour à se méfier de vous. Votre manque de confiance en eux les a poussés à nous tester. C’est à cause de vous et de votre autorité que je n’ai pas réagi quand ils ont tué ma sœur. Et c’est votre sort qu’Elminster a dévié vers ma mère. Votre mépris vous a mené là où vous en êtes aujourd’hui. Vous avez voulu m’entrainer dans votre folie mais je n’ai pas cédé. Vous ne méritez plus de fouler cette terre.
Il y avait une profonde haine dans les yeux de Dorian qui firent hésiter Valérian.
- Dorian, je suis ton père, bredouilla-t-il.
- C’est la raison pour laquelle je ne vous tuerai pas.
Il lança alors la plus violente attaque magique que son être pouvait fournir. Une gangue de glace se forma autour Valérian, l’emprisonnant à jamais. Quand tout fut fini, Dorian observa le bloc de givre dans lequel son père était à présent retenu. Il était à bout de souffle puis son corps eut raison de lui, il s’effondra dans la neige comme une poupée de chiffon.
***
C’était la fin, Elminster le savait, le dragon de Valérian était immensément puissant, les elfes étaient décimés, il ne restait plus que le mage et l’horrible créature. Le vieil homme avait poursuivi le combat en se préparant à sa fin funeste. À mesure que les soldats étaient tombés, il avait compris que son sort était scellé. Il fit alors un retour sur ses choix, ses erreurs. À présent, il se sentait serein, apaisé, prêt à embrasser une mort aussi violente qu’immédiate. Il rassembla en lui les dernières brides de concentration. Il s’apprêtait à utiliser son enchantement le plus puissant, pour la première et l’ultime fois. Il déverserait son éther sur le monstre, une force si condensée qu’elle allait le faire littéralement exploser. Trop centré sur lui-même, il ne remarqua pas tout de suite le silence. Il ouvrit alors les yeux, décontenancé, le dragon avait disparu. Il désactiva son sort et projeta sa magie en quête de l’animal. Peut-être était-ce un subterfuge de Valérian pour qu’il baisse sa garde ? La créature n’était nulle part. Une étrange impression immergea Elminster. Il s’était passé quelque chose, comme si une partie du Mal avait quitté ce monde. Une alarme monta soudain en lui, il fallait retrouver la sœur de la Reine. N’écoutant que son courage, il se matérialisa dans la forteresse de Valérian à l’endroit exact où il avait localisé Firiel. La jeune femme était prostrée au sol. Il se précipita vers elle pour s’assurer qu’elle allait bien. Elle était simplement atterrée, envahie par une peine incommensurable.
- Ma chère, que s’est-il passé ? demanda le mage inquiet de la voir ainsi.
- Ils sont partis, bredouilla Firiel, tous les deux, ils sont partis.
Elminster comprit qu’il n’obtiendrait rien d’elle tant qu’elle serait sous le choc. Il la prit paternellement dans ses bras et l’emmena au palais de la Reine. Le vieux mage savait que Firiel n’aimait pas montrer ses sentiments, aussi prit-il soin de les faire apparaître dans la chambre de la jeune femme.
- Reposez-vous, déclara-t-il en lui.
Puis il disparut faire son rapport à la Reine.
***
L’heure était grave, les généraux de l’armée de Galadrielle étaient réunis autour d’une grande table. Ils écoutaient un éclaireur faire son rapport. L’elfe semblait à bout de forces mais souhaitait cependant révéler ce qu’il avait appris avant de céder à un repos bien mérité.
- Les troupes de Drake sont à cinq jours de marche, sachant qu’ils n’avancent que de nuit, ils seront à nos portes dans dix jours au plus tard.
- À moins qu’ils ne décident d’accélérer le pas, déclara sombrement Elminster.
Un lourd silence s’abattit sur l’assemblée. Depuis que les elfes avaient eu vent du regroupement de troupes au Nord, ils guettaient l’avancée de cette armée avec nervosité. Elle ne cessait de croitre, à chaque rapport, elle semblait encore plus insurmontable. La Reine Galadrielle leva les mains pour instaurer le silence et déclara d’une voix douce :
- Faisons une dernière fois le point sur le placement des troupes, intima-t-elle en s’approchant de la carte.
Chacun y alla de sa propre interprétation du placement des légions.
- Nous devrions diviser la troupe de mages en deux afin de renforcer nos flancs, déclara posément Calion.
- Maître Elminster, reprit la Reine, de combien d’hommes disposez-vous ?
- Une vingtaine tout au plus, répondit le vieil enchanteur en soupirant. L’ennui c’est que si nous scindons notre faction, il faudrait un autre dirigeant. Quelqu’un qui maîtrise assez l’éther pour prendre soin de ses cadets.
- Axan, proposa un elfe.
Elminster fit la moue.
- Axan est gentil, très compétent mais je ne pense pas qu’il ait assez de puissance pour se battre et venir en aide à ses troupes le cas échéant.
- Dorian, souffla Firiel.
L’atmosphère de la salle se glaça aussitôt.
- Ma chère répondit froidement le vieux mage, avec tout le respect que je vous dois. Le voyez-vous à cette table ? Cela fait des semaines que nous n’avons pas entendu parlé de lui. Alors de deux choses l’une, soit il est mort en combattant son père, c’est peut-être la meilleure chose qu’il ait faite de sa vie mais personnellement, je ne vais pas le pleurer. Soit père et fils sont encore en vie et fomentent un plan pour nous détruire et dans ce cas, il vaut mieux qu’il ne soit pas dans nos rangs.
Firiel frappa rageusement sur la table :
- Il a sauvé la Reine.
Elminster ne leva même pas le regard quand il répondit :
- Pour ma part, tant qu’il ne se pointera pas ici avec la dépouille de Valérian, je continuerai à songer qu’il ne faut pas s’y fier.
- Elminster a raison, renchérit Andromède. Je ne l’ai côtoyé que peu de fois mais je ne me sentirai pas à l’aise de savoir ma vie entre ses mains.
Le ton se mit peu à peu à monter entre Firiel et les deux hommes jusqu’à ce que la Reine tranche :
- La question de ce jour est une armée démoniaque qui marche en ce moment même vers notre cité. Nous sommes clairement en sous-nombre. L’heure est à l’unité ; pas au déchirement pour savoir qui est digne ou non de faire partie de nos légions. Cependant, Elminster a raison quand il dit que nous n’avons aucune nouvelle de Dorian. N’ajoutons pas dans nos rangs quelqu’un qui ne viendra peut-être jamais. Axan semble être un bon choix.
Firiel lança un regard furieux au vieil enchanteur puis quitta la réunion. Elle se rendit en haut de la grande tour du palais. Elle cherchait la solitude afin de réfléchir. Il lui était impossible de se concentrer depuis que le mage avait disparu. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était aussi affectée, pourquoi il lui fallait autant de temps avant de l’oublier, pourquoi le simple fait de penser à lui faisait monter ses larmes. Elle laissa son regard se perdre à l’horizon et murmura :
- Je t’en prie, fais-moi un signe.
Mais seul le silence lui répondit. Elle baissa les yeux, prête à fondre une nouvelle fois en larmes quand une voix retentit derrière elle :
- C’est la raison pour laquelle je le hais.
Firiel refoula son chagrin et se retourna vers Calion. Ce dernier eut un rictus qui ressemblait à un sourire et renchérit :
- Regarde ce qu’il te fait. Cela fait un mois qu’il est parti. Qu’il a peut-être rejoint l’ennemi comme le pense Elminster et toi, tu continues à le pleurer. Où est la guerrière qui ne connaissait aucune peine, aucun sentiment ? Où est le général qui aurait frappé du poing sur la table afin de placer avantageusement ses troupes ? Il faut te rendre à l’évidence, Firiel, Dorian est mort ou si ce n’est pas le cas, ton sort lui importe tellement qu’il se moque de te donner de ses nouvelles. La guerrière que je connaissais n’aurait pas quitté une réunion si importante pour de tels enfantillages.
Ayant craché la morgue qu’il avait dans le cœur, Calion tourna les talons et laissa Firiel méditer sur ses mots. L’elfe perdit encore une fois son regard vers le ciel puis déclara plus pour elle-même :
- Calion a raison, adieu.
Elle chassa d’un geste de la main les larmes qui commençaient à perler sur ses paupières et alla quitter la tour quand une petite voix retentit.
- Firiel, non. Dorian est vivant.
L’elfe se retourna si rapidement, qu’elle entendit son cou craquer. Une petite hermine blanche se tenait en équilibre sur la rambarde de la tour. Firiel regarda l’animal avec une certaine tristesse.
- Alors pourquoi ? Il a disparu depuis plus d’un mois. Pourquoi ne m’a-t-il pas envoyé, ne serait-ce qu’un signe ?
- Je n’étais pas sûre moi-même, avoua le familier laissant transparaître l’inquiétude qui l’avait jusque là rongée, je ne voulais pas vous offrir de faux espoirs. Il a puisé dans tout ce qu’il lui restait pour défaire Valérian. Il n’a ouvert les yeux qu’il y a cinq jours.
Le visage de Firiel se fendit alors d’un sourire soulagé.
- Il est vivant, souffla-t-elle, se pourrait-il qu’il rejoigne nos rangs ? Les troupes de Drake sont à nos portes. Nous avons besoin de toute l’aide possible.
On sentit l’animal hésiter, cacher quelque chose.
- Firiel, quoiqu’il se passe, croyez en lui.
L’hermine n’ajouta rien de plus et disparut comme elle était venue laissant Firiel seule avec ses interrogations.
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