Elminster eut le souffle coupé quand il découvrit le monde de glaces de Dorian. Il passa de longues minutes à détailler l’environnement immaculé avant de lancer :

• La dernière fois que j’ai vu ce monde, c’était au printemps.

Dorian sentit la mélancolie le gagner, il avait rangé Thérésa dans un coin reculé de sa tête, un endroit où il se refusait d’aller. La phrase d’Elminster lui rappela ce sinistre jour.

• L’Hiver est arrivé le jour de mon évaluation, déclara-t-il ouvertement. Ce monde n’a jamais dégelé depuis.

Un silence embarrassé s’installa entre les deux hommes jusqu’à ce qu’Elminster le rompît :

• En tout cas, il semble plus vaste et surtout, il n’y avait pas cette caverne.

Il pointa du doigt le haut rocher qui surplombait l’entrée d’une immense grotte.

• J’ai grandi, rétorqua le mage en s’avançant vers l’entrée de la cavité.

Elminster lui emboita le pas jusqu’aux profondeurs de l’antre. Quand il s’arrêta, le vieux mage leva des yeux impressionnés vers le mur qui signifiait la fin de la route. Valérian était emprisonné à l’intérieur, comme endormi pour l’éternité.

• Si je n’étais pas là, vous seriez mort quarante fois avant d’atteindre ce point, déclara le jeune homme. Alors, convaincu ?
• Je ne comprends toujours pas pourquoi tu ne l’as pas tué, avoua Elminster.
• C’est mon père, se contenta-t-il de répondre.

Dorian tourna le dos au mur de glace, il était certes sur le point d’avoir un nouvel allié mais il souhaitait surtout quitter ces lieux. Se retrouver ainsi, aux côtés d’Elminster, devant Valérian, le mettait, étrangement, mal à l’aise. Le vieux mage dut le sentir car il lâcha d’une voix douce :

• Le jour où c’est arrivé, je…
• Non, le coupa le jeune homme avec fougue. Le passé est passé, on aura tout le temps de l’évoquer quand Drake ne sera plus de ce monde, quand la paix sera enfin revenue.

Elminster se fendit d’un étrange sourire et avoua :

• Je ne sais toujours pas ce qui t’anime mais tu vas peut-être me convaincre que la rédemption existe.

Dorian ne décrocha pas le moindre sourire à cette révélation. Il posa une main sur l’épaule du vieux mage et ils retournèrent dans la chambre du palais. Andromède saisit machinalement la garde de son épée quand ils revinrent. Il s’autorisa à se détendre quand Elminster déclara :

• Bien, nous sommes pile à l’heure pour la réunion des troupes.

Il lança un regard à Dorian et continua :

• Tu te joins à nous ?
• J’ai encore un détail à régler, déclara le mage.

Avant qu’Elminster ne puisse réagir, il empoigna Andromède, lui envoya un violent coup de poing dans la mâchoire en déclarant :

• Ça, c’est pour l’attaque.

Puis il apposa sa main sur le cœur de l’elfe. Ce dernier tressaillit et serra les dents de douleur. Elminster voulut riposter mais Dorian le lâcha presque aussitôt. Andromède peina à rester sur ses jambes mais quand il comprit ce qu’il venait de se passer, il lança un regard ébahi au mage. Dorian se tourna vers Elminster et lâcha avec une angoissante simplicité :

• J’ai ajouté un gardien Néphilim, on n’est jamais assez prudent.

Il passa devant les deux hommes et quitta la chambre pour rejoindre la salle du trône. Andromède continua à dévisager Elminster :

• La voix, déclara-t-il d’un ton choqué, elle a disparu.

Le vieux mage acquiesça silencieusement. Dorian avait l’air d’être de leur côté, cependant, il faudrait le surveiller. Il venait d’exécuter un sort important en quelques secondes. Dans un battement de cœur, il avait libéré Andromède de son Néphilim. À présent, la créature veillait sur Valérian. C’était impressionnant, jamais de toute sa vie il n’avait vu un tel pouvoir. Il garda ses observations pour lui-même et accompagna Andromède jusqu’au lieu de la réunion.

***

Quand Dorian entra dans la salle où se tenait la réunion, des dizaines de regards noirs se tournèrent vers lui. Seule Galadrielle ne se quittait pas de son sempiternel sourire :

• Dorian, déclara-t-elle pour faire cesser le pesant silence que l’arrivée du mage avait généré. Je t’en prie, joins-toi à nous.

Une rumeur d’indignation monta dans la salle. Calion intervint :

• Majesté, je ne pense pas que…
• C’est moi qui l’ai invité, trancha Elminster en entrant accompagné d’Andromède.

Plus aucun membre de la réunion n’osa alors une réclamation. La Reine offrit un sourire encore plus éclatant au vieux mage :

• Elminster, vous êtes en retard, le gronda-t-elle avec amusement.
• Au contraire, Majesté, rétorqua-t-il, un mage est toujours à l’heure.

La Reine éclata d'un rire cristallin et déclara :

• Bien, je pense que nous pouvons commencer.

Elle allait entamer les discussions lorsque, la porte de leur réunion s’ouvrit à nouveau. Le visage de Calion s’illumina tandis que Firiel apparaissait. La jeune femme s’excusa pour son retard et s’apprêtait à prendre sa place au milieu des généraux quand soudain, elle se figea. Elle venait de poser les yeux sur Dorian et ne semblait pas être ravie de le voir ici :

• Ma Sœur, commença-t-elle, je ne pense pas qu’il soit avisé d’inviter à nos débats un espion de Drake. Un monstre, sans cœur, arrogant, irrespectueux.

Firiel pointa un doigt accusateur vers Dorian et reprit :

• Je refuse de participer à cette réunion tant qu’il sera présent.
• Ma chère, trancha Elminster, je me porte garant pour lui. Je ne pense pas que nous ayons à craindre sa traîtrise.

Firiel le dévisagea comme s’il venait de proférer la plus absurde des paroles.

• Vous étiez présent à la bataille ? demanda-t-elle au vieux mage.

Elle allait ajouter une nouvelle remarque acerbe quand la lumière se fit dans son esprit, elle se tourna alors vers Dorian :

• Ah, voyant que tu n’avais plus d’emprise sur moi, tu as choisi d’envoûter un autre allié. Choix judicieux, je l’avoue. Ne te souviens-tu pas que je t’avais dit de quitter ces terres.

Le jeune mage se leva, prêt à rétorquer quand soudain, une alarme monta en lui, un appel à l’aide. Dorian ferma les yeux pour retrouver son aplomb et ne pas dévoiler le combat qui se déroulait en lui à cet instant.

• Bien, lâcha-t-il, puisque ma présence n’est pas désirée, je vais voir si Drake n’aurait pas mieux à me proposer.

Il vit de l’hésitation dans le visage de certains invités, d’autres paniquèrent réellement quand le jeune homme convergea vers la sortie. Firiel le toisa comme si elle n’avait cure de cette éventuelle menace. À peine eut-il franchi la porte qu’il se transporta immédiatement pour Sorgat.

***

Dorian se sentait perdu, de choses embuaient ses pensées. Drake s’amusait à torturer Syphilis et la douleur qu’il ressentait l'empêchâ d’avoir l’esprit clair. Il s’était terré dans une ruelle près de la grande place pour réfléchir. Le seul ersatz de plan qu’il avait en tête était d’entrer dans le palais de Sorgat, de retrouver son familier et de fuir.

• Le meilleur moyen pour se faire rapidement tuer, déclara une voix derrière lui.

Dorian fut surpris de ne pas avoir ressenti l’arrivée de cet allié. Il dévisagea le vieux mage qui venait de se matérialiser derrière lui :

• Elminster, vous ne participez pas à la réunion ? s’étonna le jeune homme.
• Firiel est en train d’expliquer la monstruosité que tu es et de démontrer ce que ta mort apporterait à ce monde, lâcha le vieil homme avec simplicité.

Dorian soupira aux paroles du mage, regrettant franchement de ne pas avoir tué son double.

• Si tu es parti pour Sorgat, reprit le vieil homme, c’est que ton familier ne va pas bien.

Dorian acquiesça :

• Drake veut me voir, il sait que s’il fait du mal à Syphilis, je vais le ressentir, et je ne pourrais m’empêcher d’agir.

Elminster posa une main compatissante sur l’épaule du jeune homme :

• Je sais ce que c’est, lâcha-t-il sans aucun reproche.

Dorian sentit le passé lui vriller une nouvelle fois le cœur. Le jour où Valérian avait mis à bas la Tour Blanche, il avait tué le familier d’Elminster. Le jeune mage évita le regard de son ainé avec malaise mais Elminster enchaina rapidement :

• Il faut trouver un moyen d’entrer, quel est ton plan ?
• Entrer, tuer tout ce qui se trouve sur mon chemin et repartir avec elle.

Elminster se fendit d’un sourire malicieux.

• Et si on jouait à leur jeu.

En un clin d’œil, le vieil homme se métamorphosa en une copie parfaite de son interlocuteur.

• Combien de doubles peux-tu faire ? demanda le mage rouge.
• Sans forcer, au moins quinze.

Elminster ferma les yeux et quatre copies apparurent puis il lança avec malice :

• Et bien ! Tu l’as ton armée.