13. L’Exécution Avortée - Partie 1
Dorian était sagement assis au sol, Syphilis était grimpée sur ses genoux pour lui faire face. Ils échangeaient sur tout et rien. Dorian essaya de savoir si le familier s’était remis de sa captivité, la petite hermine blanche partait sur le terrain plus glissant des sentiments.
- Je ne t’avais jamais vu comme ça, avoua-t-elle. Même en face de Roxanne tu n’étais pas pareil.
Le visage du mage se fit plus sombre et l’hermine continua :
- Je sais que tu l’aimais. Tu avais une affection spéciale pour elle mais…
Dorian secoua la tête pitoyablement.
- Valérian aurait profité de son statut. Je lui aurais fait trop de mal.
- Par contre, Firiel…
- Je ne me suis pas posé de question, confessa le mage. C’était… mon besoin de la protéger était presque naturel.
- Tu vas lui avouer ton affection ?
- Je l’ai déjà fait, souffla-t-il dans un soupir.
Syphilis comprit, en voyant son air maussade, que la réponse de l’elfe n’avait pas été celle escomptée.
- Peut-être que… commença l’animal
Mais Dorian la coupa :
- Peut-être que les choses auraient été les mêmes si je n’étais pas le fils de Valérian, si je n’étais pas un Mage Noir.
- Dorian, tu as prouvé que tu pouvais agir autrement, que tu pouvais faire des actes désintéressés.
- Qu’ai-je fait de désintéressé ?
- Tu as aidé Firiel et…
- Non, coupa le jeune mage. Il y avait toujours un but inavoué derrière ça. J’aurais tellement aimé que tout se passe différemment.
- Et pourquoi tu ne lui dis pas, trancha une voix à l’entrée de la cellule.
Dorian reprit un masque stoïque et fusilla du regard celle qui venait de le surprendre. C’était une jeune femme qui portait un plateau-repas. Elle s’avança vers lui avec un sourire éclatant. De longs cheveux roux cascadaient sur ses épaules et ses yeux émeraude pétillaient de malice.
- Elminster s’est dit que tu devais avoir faim. Déclara la jeune femme en posant le plateau près du mage.
Dorian observa l’assiette superbement dressée, contenant un met qui enfumait l’atmosphère.
- Il aurait pu penser au vin, railla le jeune mage.
La jeune fille eut alors un sourire narquois.
- Il n’y a pas pensé, mais moi si.
Elle accompagna sa remarque d’un clin d’œil et sortit d’un recoin de sa veste une petite bouteille. Dorian jaugea la rouquine, il ne parvenait pas à savoir ce qu’elle pouvait bien faire ici. Elle remplit deux verres et en tendit un au mage. Il hésita, la dernière personne à lui avoir offert du vin s’était avérée être du côté des ennemis.
- Et que me vaut cet honneur ?
- Je m’appelle Lucinda, se présenta la jeune femme. Elminster m’a entrainé avec mon frère Virgile dans cette aventure. J’y ai rencontré des tas de gens formidables et…
La jeune femme eut un léger rougissement qui arracha un sourire amusé au mage.
- … et un compagnon exceptionnel. Je voulais te remercier pour ce que tu as fait.
Une alarme monta en Dorian, il n’avait rien fait qui pouvait justifier ces remerciements. Il hésita à porter la coupe à ses lèvres. Il secoua la tête avec méfiance :
- Je n’ai rien fait.
- Si, renchérit Lucinda, tu as libéré Andromède du Néphilim qui l’habitait.
La pression s’évanouit immédiatement, Dorian ne put s’empêcher un rire nerveux. Rassuré, il porta le breuvage à ses lèvres et en avala une grosse gorgée. Le vin était des plus doux et des plus agréables.
- Je ne l’ai pas fait pour lui, avoua le mage.
- Je sais, souffla la jeune femme. Cependant, la finalité est là. Tu voulais protéger Firiel, tu nous as débarrassés de Valérian. Tu voulais être sûr que Valérian ne revienne jamais, tu as libéré Andromède.
Elle se leva pour offrir un chaste baiser sur le front du mage.
- Je vais te laisser te sustenter à présent, reprit-elle. Ton jugement aura lieu dans quelques heures.
Elle quitta la cellule d’un pas serein mais avant de franchir la porte, elle se retourna vers le mage et lui lança un sourire sincère. Syphilis fit alors sa réapparition :
- Tu vois que tout n’est pas mauvais, déclara-t-elle.
- Tu as raison, ironisa le jeune homme en vidant sa coupe, le vin en tout cas est excellent.
***
Dorian leva les yeux vers son visiteur quand la porte de sa cellule s’ouvrit. Il reconnut l’étrange chasseur avec lequel il avait conversé à Sorgat, il le salua même par son prénom : Raven.
- Nous nous rencontrons toujours dans les mêmes lieux, ironisa le jeune mage.
Raven le dévisagea puis soupira :
- Un de nos juges a été dépêché par la Reine pour toi. Je dois te conduire à lui mais… ayant été présent lors des auditions préparatoires, ton sort est d’ores et déjà scellé. Cette rencontre tient plus de la sentence que d’autre chose. Je… Si je peux te conseiller quelque chose, sois sincère. La personne que tu auras devant toi n’aime ni l’humour ni l’arrogance.
Dorian acquiesça silencieusement pour signifier au chasseur qu’il avait compris puis se laissa docilement guider dans les couloirs du palais. La salle d’audience avait laissé place à un tribunal. Quand le mage y pénétra, il refoula une angoisse, le hall était bondé, plein de gens juste là pour voir le monstre. Une grande table avait été dressée au fond de la pièce et un vieil homme détaillait le nouvel arrivant d’un air froid. Il eut un geste de remerciement de la tête envers Raven puis déclara d’une voix posée et lente :
- Dorian, nous vous avons convoqué devant cette Cour afin de juger de vos actes passés. Les charges retenues contre vous sont nombreuses, elles englobent entre autres : meurtre, magie noire, régicide, mutinerie, trahison, viol, atteinte à la royauté… Et il n’y aurait pas assez de temps pour continuer cette énumération. Alors je ne vous poserai que deux questions : êtes-vous bien Dorian, fils du Mage Noir Valérian, auteur du régicide ayant entrainé la chute de Sorgat et l’arrivée sur nos terres de créatures démoniaques ?
Le jeune homme était resté stoïque, sans flancher ni dans son port ni dans sa voix, il répondit le plus simplement du monde :
- Oui.
- Vous ne niez donc pas ces faits ? Ni votre usage de la magie à des fins rédhibitoires ?
- Non, je ne nie pas ces faits.
Le juge sembla étrangement surpris par la réponse claire et froide du jeune homme, il enchaina :
- Il vous est également reproché d’avoir trahi la couronne elfique en ralliant l’armée ennemie et surtout en manquant de respect à la famille royale par un geste des plus odieux et déplacé en la personne de Firiel.
- Non, affirma Dorian sur le même ton.
- Menteur, rugit la voix de Firiel à quelques pas de lui.
Le juge tenta de faire revenir le calme dans la cour mais la jeune fille s’avança vers le mage en le fusillant du regard.
- Tu mens, c’est toi qui m’as agressée. Quand tu m’as arraché au royaume de Céphéus tu as utilisé un souvenir que deux personnes au monde peuvent avoir : moi et mon agresseur.
Dorian demeura coi, les yeux fermés pour éviter le regard de l’elfe. Il resta immobile jusqu’à ce que le juge parvienne à faire rasseoir Firiel et à calmer les rumeurs de la salle. Il n’ouvrit les yeux que pour entendre le verdict :
- Dorian, reprit-il d’une voix froide, au vu de toutes les charges retenues contre vous, vous avez été déclaré coupable. Vous passerez devant le peloton d’exécution dans deux jours à l’aube. Cependant, la Reine Galadrielle dans son infinie clémence a souhaité qu’une réduction de peine vous soit appliquée. Votre condamnation à mort peut être mue en un exil assorti d’une interdiction de pratiquer de la magie à la seule condition que vous ralliez l’armée elfique et que vous vous battiez aux côtés des elfes face à notre ennemi commun : Drake. Que décidez-vous ?
Un lourd silence s’installa dans la salle, Dorian poussa un profond soupir et déclara :
- Cela fait trop longtemps que je peine à me racheter une conduite, rien de ce que je ne pourrais faire n’allègera cette balance, aussi je refuse l’offre de la Reine.
Avant même que le juge ne prononce ces dernières paroles, Dorian tourna les talons et quitta la salle. Raven se précipita à sa suite.
- Euh, tu dois attendre, déclara le chasseur.
- Attendre quoi ? répondit amèrement le jeune homme. Je pense que tout a été dit.
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