15. Le Banquet - Partie 1
- J’ai l’air de quoi ? demanda fébrilement le jeune homme.
- Mais tu es parfait !!! Le rassura pour la millième fois son familier.
Dorian était nerveux, il avait troqué ses vêtements habituels pour quelque chose de plus cérémonieux. Engoncé dans sa chemise à col mao, il se sentait plutôt mal à l’aise, il avait même pris soin d’attacher ses longs cheveux en catogan. Syphilis, perchée sur son épaule, ne cessait de le complimenter sur son allure.
- Et tu ne penses pas que ça fait trop…
- Non, tu es parfait !!! répéta inlassablement l’animal.
Il avait été étonné par la connaissance de l’hermine au sujet du protocole des lieux. C’était la première fois qu’il était convié à un diner royal mais son familier lui avait déjà détaillé les différentes parties de cette invitation. Tout d’abord un apéritif à l’extérieur de la salle à manger où les nobles allaient jouer de leurs relations pour décrocher une chaise à la table de la souveraine. À la fin de ce dernier, un majordome exhortait chaque convive un par un à venir s’asseoir à la place qui lui était destinée. La Reine n’arrivait qu’une fois tous ses hôtes installés et le dîner pourrait alors commencer. Dorian fut réellement surpris par le savoir de son animal mais Syphilis lui avoua rapidement qu’elle aimait épier les gens quand elle s’ennuyait. Elle connaissait même tellement bien le palais qu’elle put guider le jeune homme jusqu’à l’antichambre de la salle à manger, là où se tenait le début des réjouissances. Il s’arrêta devant un immense miroir et se détailla une nouvelle fois. Il tourna ensuite son regard vers son hermine qui, exaspérée, déclara mentalement avant de disparaître :
- Non, tu es parfait.
Dorian souffla pour faire descendre la pression puis entra dans le vestibule. Il détailla chaque personne présente dans la pièce et sentit une douce panique l’envahir quand il se rendit compte qu’il ne connaissait personne. Firiel ne s’était pas encore montrée et aucun visage dans cette assemblée ne semblait familier. Les gens buvaient, bavardaient, s’esclaffaient sur un accessoire ou un vêtement. Dorian était en train de se dire que cette invitation était une mauvaise idée quand soudain, une voix s’éleva derrière lui :
- C’est votre première fois ?
Le mage se retourna vivement pour faire face à celui qui venait visiblement de lui adresser la parole. C’était un elfe. Il est vrai qu’ils se ressemblaient tous avec leurs traits finement travaillés et leurs silhouettes parfaites mais celui-ci semblait particulièrement hautain.
- Ça fait toujours ça, la première fois, reprit-il, après on s’habitue.
Il s’empara d’une coupe de champagne et la tendit au mage en enchainant :
- Alors c’est vous le nouvel enchanteur, j’ai entendu parler de votre performance en salle d’armes tout à l’heure. Vous nous faites une petite démonstration magique.
Dorian se tendit, il était bon pour se battre mais nullement pour faire des mondanités.
- Monsieur, répondit-il le plus poliment possible, la magie est une science, pas un spectacle.
- Allez, le poussa l’elfe sur le ton de la plaisanterie, votre prédécesseur avait toujours un petit effet pour que l’on comprenne qu’il était dans l’assemblée. Allez, juste un tour que l’on voit ce que vous valez.
- Mon prédécesseur est mort dans un combat que j’ai remporté, je ne pense pas avoir besoin de faire mes preuves.
Il accompagna sa pique d’un sourire narquois et se détourna de l’elfe pompeux. Il sut qu’il n’aurait jamais dû se présenter ici quand une voix l’accosta :
- Vous ne manquez pas de toupet, vous.
Dorian se contrôla pour ne pas s’emporter et quitter cette mascarade. Il se tourna vers Céleste et déclara d’une voix résignée :
- Je ne suis pas là par…
Mais la voix la plus mélodieuse du monde vint à sa rescousse. Reconnaissant Céleste, Firiel se précipita pour la serrer dans ses bras et sauver l’enchanteur d’une situation passablement périlleuse. Quand les deux sœurs eurent fini leur étreinte, Firiel se tourna vers le mage et eut un mouvement de surprise. Dorian prit alors le soin de la détailler. Sa tenue était aux antipodes de ce qu’il lui connaissait. Il n’avait jamais vu la jeune femme dans une si jolie robe, avec les cheveux peignés et coiffés d’une façon élaborée. Ses traits étaient délicatement soulignés de maquillage et avaient même fait l’effort d’ajouter des bijoux. Dorian s’inclina pour lui offrir un délicat baisemain et ajouta :
- Vous êtes ravissante.
Firiel s’empourpra légèrement puis se tourna vers sa sœur :
- C’est inespéré de te voir ici, je ne savais pas que tu étais revenue. Je vois que tu as fait connaissance avec Dorian.
Elle balaya la salle de regard puis ajouta :
- J’ai encore un détail à régler, je reviens tout de suite.
À peine fut-elle partie que les sourires des deux protagonistes restants s’effacèrent.
- Qu’est-ce que vous lui avez encore fait ? siffla Céleste.
- Vous me reprochiez d’être à l’origine du fait qu’elle reste cloitrée dans sa chambre, je l’en ai fait sortir, tout simplement, se défendit le jeune homme sentant bien que ce repas allait être infernal.
L’elfe afficha à nouveau un sourire de circonstance quand Firiel revint. Elle passa auprès du mage lui indiquant qu’on viendrait le chercher puis disparut de la salle par une grande porte en emportant sa sœur. Dorian la regarda partir en finissant d’une seule traite le verre que l’odieux convive lui avait donnée. Il aurait vraiment dû refuser cette offre. Il allait tourner les talons quand une voix l’interpella :
- J’ai failli ne pas te reconnaître. Tu as tort sur un point, Dorian, on ne se rencontre pas toujours dans les mêmes lieux.
Cette voix arracha un sourire sincère au mage qui se tourna vers Raven en ironisant :
- Quoi ? Ça ne ressemble pas à une prison ?
Les deux hommes éclatèrent d’un rire sonore, puis s’autorisèrent une accolade qui choqua quelques convives. Le chasseur enchaina ensuite :
- Je n’ai pas eu le temps de te remercier pour… le démon.
- On a fait ce qu’il fallait, éluda le mage. Alors, tu es aussi invité ou tu espères pouvoir glaner une place ?
- À vrai dire, minauda le jeune homme, je cours après cet honneur depuis au moins trois siècles.
Ils partirent dans un fou rire qui ne sembla pas plaire aux hôtes qui les entouraient. Un majordome s’avança soudain vers eux :
- Messieurs, déclara-t-il avec cérémonie, la Reine vous attend.
Dorian se décala et fit signe à Raven de le précéder :
- Après vous très cher, railla-t-il.
- Oh non ! Je n’en ferai rien, continua le chasseur.
Ils accompagnèrent leur délire d’un nouveau fou rire mais voyant que le majordome n’avait pas bougé d’un cil et qu’il n’avait pas esquissé le moindre sourire, ils retrouvèrent leur sérieux et convergèrent vers la grande porte menant à la salle à manger. Les deux hommes ravalèrent rapidement leur récréation quand ils se rendirent compte qu’ils étaient les derniers convives. Dorian rata même un battement de cœur quand l’un des serviteurs les présenta :
- Monseigneur Raven Primus, Avatar de l’Ordre de St Benoît et Maître Dorian, Mage Émérite de la Tour Blanche.
Dorian se sentit mal à l’aise, les seules fois qu’il avait mis les pieds à la Tour Blanche c’était pour son inspection et surtout pour l’annihiler. Il affronta les regards curieux pour remonter toute la table. En effet, sa place se trouvait à l’extrémité. Le siège de la Reine Galadrielle trônait en chef d’assemblée, Firiel et Céleste à ses côtés. Puis venaient deux chaises vides, celle de Dorian et celle de Raven. Le mage, tout en s’asseyant à côté de la jeune elfe, se pencha pour lui déclarer, d’un ton inquiet :
« Je ne suis pas un érudit de la Tour Blanche, c’est moi qui l’ai détruite.
– À part toi et moi, je doute que beaucoup de nos invités sachent ce qu’est la Tour Blanche. C’est ainsi que l’on présentait Elminster, le majordome n’a pas cherché plus loin. »
Ils ne purent s’attarder sur cette question car le majordome annonça l’arrivée de la Reine. Tout le monde se leva solennellement. Galadrielle fit alors son apparition dans une merveilleuse robe immaculée. Son visage se décomposa sous l’effet de la stupeur quand elle reconnut Céleste et faisant fi du protocole, convergea vers sa sœur pour l’étreindre chaleureusement. La souveraine était radieuse, elle semblait véritablement ravie de recevoir cette invitée surprise. Son regard balaya ensuite vers les convives et elle afficha un nouvel étonnement en voyant le second membre de sa famille.
- Firiel, déclara-t-elle, c’est bien toi.
- On m’a dit que ma présence te ferait plaisir, répondit Firiel en rougissant.
- Le plus grand des plaisirs, répondit la Reine en prenant alors place.
Tous les convives furent alors autorisés à se rasseoir. Dorian lança un regard discret vers le reste de l’assemblée, la table était longue et comme dans le vestibule, il ne connaissait pas grand monde. Son voisin de droite, un elfe qui semblait au moins aussi guindé que celui l’ayant exaspéré durant l’apéritif déclara :
- Dorian, on dit que vous êtes plus puissant qu’Elminster. Cependant Alister, me signale que vous n’avez même pas voulu le gratifier d’un petit tour.
Quand il montra son acolyte, Dorian reconnut l’exaspérant elfe. Il ouvrit la bouche pour répliquer mais la Reine le devança :
- Sirès, n’avez-vous pas remarqué la toilette soignée de ma jeune sœur aujourd’hui ? Ne pensez-vous pas que ce miracle est l’œuvre d’un mage ? D’un mage très puissant ?
La remarque arracha des rires dans l’assemblée et Firiel prit une couleur tomate absolument pas assortie au bleu de sa robe.
- Il n’y a pas de magie là-dedans, répondit Dorian avec répartie, je pense simplement que son esprit de compétition l’a poussée à être la plus ravissante convive de cette table. Après vous, Majesté, bien entendu.
La gêne de la jeune femme fut alors rapidement dissipée et le repas commença sous les meilleurs auspices.
***
Le vin aidant, Dorian se trouva particulièrement adroit aux jeux des mondanités. Céleste ne cessait de lui lancer des piques auxquelles il répondait avec une impressionnante habileté. Les elfes ne quémandèrent plus de tour de passe-passe et Raven se révéla être un excellent conteur en gratifiant les convives de ses plus grands exploits. Il détaillait un combat particulièrement ardu avec un lycan à grand renfort d’effet lorsque soudain, Dorian sentit un violent trouble. Il baissa la tête pour ne pas qu’on le remarque mais il venait d’y avoir ce qui ressemblait à une puissante explosion magique à quelques pas d’ici. Le regard du jeune homme accrocha celui de la Reine, elle semblait également étrangement mal à l’aise. Quand leurs yeux convergèrent, ils se comprirent sans même se parler. Quelque chose était arrivé et il fallait savoir quoi, et rapidement. L’enchanteur porta machinalement son verre à ses lèvres et tenta de contacter son familier. Syphilis le devança :
- Dorian, j’ai besoin de toi, déclara-t-elle mentalement, puis-je puiser dans ton éther ?
- Que se passe-t-il ? s’inquiéta Dorian.
- Je ne peux pas te le dire ici, éluda laconiquement l’animal. Rejoins-moi dans ton royaume.
Dorian sentit son familier puiser allègrement dans son pouvoir, ce qu’elle voulait faire n’était pas un petit sort. Il attendit qu’elle finisse puis tenta de capter l’attention de la Reine. Si le doute, que Galadrielle puisse lire dans son esprit, était encore permis ; Dorian n’eut plus aucune incertitude quand la souveraine, accrochant son regard, acquiesça silencieusement. Raven termina soudain son récit et l’assemblée salua le conteur. Dorian en profita pour se lever à son tour.
- Majesté, commença-t-il, je sais que le protocole interdit de le faire mais je suis dans l’obligation de vous laisser, le devoir m’appelle.
- Faites, faites, déclara Galadrielle avec un radieux sourire.
- Je vous tiens informée, promit le mage.
Il salua la Reine et les convives et disparut prenant soin d’ajouter à son sort un peu de brume histoire d’amuser l’odieux elfe.
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