Evelyne

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— J’ai changé d’avis.

Cinq mots, et cinq mois de relation qui venaient de se terminer. Ils n’étaient que la conclusion d’un long monologue d’excuses interminables qu’Evelyne avait à peine écoutées mais cette dernière phrase qui lui restait en travers de la gorge. La jeune femme jeta un regard interrogateur à l’homme qui se trouvait de l’autre côté de la table. Elle ouvrit la bouche sans qu’aucun mot n’en sorte. Refusant de perdre la face, elle le toisa d’un air sévère.

— Tu ne te mets pas en colère ? bredouilla l’homme comme s’il espérait que ça soit le cas.

Evelyne comprit qu’il se sentait coupable.

— Je te laisse payer mon café.

Sans un mot plus ni un regard, elle quitta sa chaise. Evelyne n'avait jamais réussi à rester très longtemps en couple mais d'habitude, c'est elle qui mettait fin à ses relations. Sans même voir le regard de son ancien copain, elle pouvait deviner son incompréhension. C’était sa manière de se venger. Son cœur était serré.

Cette scène s'était produite à peine une semaine auparavant mais la jeune femme avait déjà enterré ce souvenir au fond de sa mémoire. Ce n’était pas le temps qui avait fait son travail mais le destin. Sa solution pour éponger ses soucis portait le nom d’Agathe et cette dernière fêtait son anniversaire ce week-end. Un coup du destin. En temps normal, elle était toujours accompagnée de sa petite-amie Chloé mais celle-ci était tombée malade et manquerait à l’appel. Un coup du destin.

Lorsqu’Agathe l’avait prévenue qu’elle comptait célébrer son anniversaire en se rendant à une exposition, Evelyne avait été à peine étonnée, et si l’idée lui avait d’abord parue barbante à souhait, elle était aujourd’hui heureuse que ce jour soit enfin venu. Pour l’occasion, la jeune femme s’était parée de sa plus belle robe. Agathe vouait une passion au centre Georges Pompidou, ce qu’Evelyne avait bien du mal à comprendre. Elle avait en horreur les tuyaux qui recouvraient le bâtiment. Agathe avait maintes fois tenté de lui expliquer que la beauté n'existait pas dans l’art mais Evelyne restait imperméable à toute sensibilité dans le domaine. Ce n’était pas cette horrible amas de tuyauterie qui l'intéressait aujourd’hui, ni même les travaux qu’il abritait.

Le rendez-vous avait été fixé à seize heures devant le centre. Evelyne avait pris le soin d’arriver en avance, ce qui n'arrivait qu’une fois par décennie. Agathe ne manqua pas de lui faire une remarque quand elle vit son amie déjà devant le bâtiment.

— C’est un honneur que tu me fais. Je n’aurais jamais cru te voir un jour en avance.

— L’occasion s’y prêtait bien. J’ai jugé que ton anniversaire méritait bien un effort.

Le sourire d’Evelyne était charmeur, comme toujours. En règle générale, elle souriait pour elle-même, mais lorsqu’elle était en présence d’Agathe, c’était tout autre chose.

Evelyne laissa son amie la guider à travers le musée. Aucune des œuvres n’arriva à susciter son intérêt, tout le contraire pour Agathe qui souriait face à chaque tableau de l’exposition.

— Qu’est-ce que tu leur trouves à ces peintures ? souffla Evelyne à son amie alors qu’elles arrivaient à peine à la troisième salle.

— Essaye de comprendre un peu ce que tu as sous les yeux, encouragea Agathe. Regarde cette toile, tu ne trouves pas la technique magnifique ?

— Pas autant que toi. Tu es beaucoup plus sexy que ce tableau chérie.

— Eve, sois un peu sérieuse. Garde plutôt ces mots pour Rayan. Il n’arrête pas de se plaindre que tu ne lui montres pas assez de signe d’affection. Consoler les gens n’est pas mon fort.

— Je ne suis plus avec lui, il m’a larguée la semaine dernière. J’ai de nouveau la liberté du célibat. Et cette fois-ci, je ne me mets pas de barrière.

— Tu es incorrigible. Tiens, regarde cette toile.

Agathe tira la manche de son amie pour l'entraîner à côté d’elle.

— Qu’est-ce qu’elle a de plus que les autre ? marmonna Evelyne.

— Fait un peu marcher ton imagination. Comprendre une oeuvre necessite de se pencher un peu dessus.

— Il semblerait que je ne sois pas capable de réfléchir.

— C’est parce que tu n’essayes pas, la contredit Agathe. Tu es bien assez intelligente pour ça.

— J’aime quand tu me fais des compliments, déclara Evelyne en attrapant le bras de son amie.

Agathe tenta de se dégager, gênée par les regards qu’attirait Evelyne mais cette dernière la tenait avec fermeté. Son amie resta ainsi à son bras durant plusieurs minutes.

La suite du musée exposait des statues. Là encore, Evelyne n’était guère séduite par ces modelages en pierre, comme elle aimait les appeler. La jeune femme prit garde à ne pas trop embêter son amie et se réfugia sur son téléphone pour faire passer le temps. La visite restait barbante malgré tout, mais elle devait bien ça à Agathe. Lorsqu’elle vit enfin le bout de ce moment interminable, arrivant à la toute dernière salle, Evelyne s’autorisa à nouveau à la taquiner un peu. Elle se glissa à côté de son amie sans que celle-ci ne la remarque.

— Cette robe te va à merveille ma belle.

Agathe sursauta.

— Parle moi fort ! On est dans un musée, gronda-t-elle.

Evelyne fit la moue, un peu vexée par son amie qui ne faisait aucun effort pour comprendre ses messages, aussi osés soient-ils.

Une demi-heure plus tard, les deux femmes sortirent du bâtiment sous un soleil radieux. Décidée à échapper à l’ennui, Evelyne invita son amie à aller prendre un verre en terrasse. Cette dernière ne décrochait pas de l’exposition et continuait d’en parler avec un grand sourire sur les lèvres.

— Décroche un peu ! supplia Evelyne qui n’en pouvait plus d’entendre parler d’art contemporain. Je suis certaine que tu as plein d'autres choses à me raconter.

— Pas particulièrement. répondit Agathe en haussant les épaules. Mais toi oui j’imagine. Un nouveau crush peut-être ? hasarda-t-elle.

Agathe avait arrêté de compter le nombre de relations qu’avait eu Evelyne. Aussi avait-elle cessé de s’étonner pour chaque annonce de rupture.

— J’ai besoin de tes conseils, déclara Evelyne.

— A quel sujet ?

Agathe leva les yeux vers son amie et la scruta d’un air intrigué.

— De quoi sommes-nous en train de parler ?

Un sourire échappa à l'interrogée.

— Je n'aurais jamais pensé pouvoir un jour conseiller la grande Evelyne en amour. Tu m’en vois honorée.

— J’ai plusieurs problèmes à vrai dire. Le principal est que la personne qui m'intéresse est déjà en couple.

Evelyne vit Agathe la scruter d’un air interdit. Elle jugea sa réaction pour voir si le dialogue était possible.

— Et bien, ça me parait compliqué, confia Agathe en pesant ses mots. Tu ferais mieux d’abandonner je pense. Tu trouveras bien quelqu’un d’autre.

— Ça fait cinq ans que j’essaye de lui faire passer le message.

— D’où ça sort cette histoire ?

— Je t’en ai déjà parlé.

La mâchoire d’Evelyne se serra. Ses mains tremblaient. Agathe n’avait jamais été réceptive à ses avances, et ce genre de discussion finissait toujours de la même manière : ses insinuations passaient inaperçues. Cette fois-ci, elle était décidée à ce qu’il en soit autrement.

— Désolée, je ne m’en souviens plus. Tu es vraiment amoureuse de cette personne ?

— Oui.

— Tu n’as qu’à lui dire, soupira Agathe. Je ne sais pas si c’est une bonne idée mais si ça peut te faire du bien.

Evelyne respira un grand coup. Son amie la fixait d’un air intriguée. Peut-être était-ce égoïste de lui faire cette aveu le jour de son anniversaire mais qu’importe.

— C’est toi, souffla-t-elle.

— Pardon ? demanda Agathe toujours en train de siroter sa limonade.

— C’est toi que j’aime.

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