Le fauteuil
Je ne m'attendais pas du tout à recevoir ce message, après tout ce temps. Deux mois disparus derrière le calendrier à spirale. Une période exempte de grands événements. Une vie de routine. Je ne dirais pas d'ennui parce qu'il n'y a pas de temps mort dans mon quotidien pour qu'il s'y glisse. La seule zone où il y a un rien à combler, c'est mon lit. Depuis ma rupture avec Brigitte. On ne peut pas dire qu'une soixantaine de jours ce soit beaucoup. Quoique. Tout dépend. Dépend des quoi, des pourquoi et des comment. Je sous-entends, par là, les nuits sous le drap blanc comme le plafond au-dessus, à tourner dans un sens et rouler dans l'autre. Alors, cette annonce de l'ex de mon ex m'a fait choir dans le fauteuil. Je m’y cale à chaque fois que j’ai besoin de réfléchir, que je déprime, que je lis, liste d’actions non exhaustive, durant ces instants qui nécessitent un coin douillet et sécurisant. Trois plombes que j'y suis blottie. Sans réelle pensée constructive. Je flotte. Je rembobine, je relance le film de la randonnée que nous avons partagée. Nos doigts se sont effleurés lors de l'échange de carrés de chocolat. Nos regards se sont croisés lors du chargement de nos sacs à dos sur nos épaules. Nos rires ont valsé au sommet des sapins à la recherche d'un point noir qu'elle prétendait aigle et que je nommais corbeau. La douceur, autour du feu de camp, balbutiait un peut-être à l'oreille, sur les lèvres. Une fin de séjour ponctuée d'une bise sur la joue qui s'attarde jusqu'à rougir la peau et d'un salut langoureux qui dessine une romance à l'état larvaire. À la suite : la rupture d’avec mon ex et deux mois de silence de sa part de son ex, malgré mes cinquante-trois textos. Résultat ce sms me cloue sur place. Qu'est-ce qu'aujourd'hui a de particulier pour justifier l’incompréhensible “coucou c’est moi, je serai chez toi demain” ?
En boule, bloquée par les accoudoirs et le dossier, au risque de plonger dans le précipice du seul côté dépourvu de rambarde, j'affronte une peur de la revoir. Je l'ai trop voulu et voilà que, maintenant, cela me bouffe les ovaires et la cervelle. Des heures d'immobilité. Enfin, je tape sur le smartphone "ok". Ce qu'il me reste de mots après la multitude de phrases que je lui ai écrites et envoyées. Une nuit, prostrée sur le coussin, à me geler, à me demander à quoi ressemblera notre prochaine rencontre. En avoir tant imaginées que les images qui me viennent sont sortis d'un tiroir usé par les va-et-vient des rangements pour cause de déception. Le rayon de soleil, empruntant le passage par la fenêtre dont j'ai oublié de fermer les volets, vient me chatouiller les paupières. J'ai dormi sans m'en rendre compte. Je me déplie, m'extirpe du fauteuil, pose le pied par terre. Je dispose de dix-sept minutes pour me préparer.
Quelle poire je suis de croire que l'amour sonne à mon logis, mais je m’accroche à l’idée ! On verra l'évolution au fil des semaines. Déjà, on verra quand j'aurais retrouvé la clé de cette maudite porte !
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