Chapitre 15
Je vis actuellement un cauchemar depuis trop longtemps. Je n’ai plus le choix. Quelqu’un me poursuit. J’ai la sensation de le connaître, mais il ne peut pas être mon frère. Il est mort bordel !
En sortant de mon immeuble, épuisé et terrorisé par les évènements, je marche rapidement jusqu’au commissariat.
Heureusement pour moi, il est à moins d’un kilomètre de mon logement. Je pose mes yeux sur tous les visages qui passent. Les promeneurs m’esquivent comme si j’avais la peste. Je me sens jugé à chaque foulée. Ma tête tourne, mais ce n’est pas grave. Je fais abstraction des vertiges et reste fixé sur mon objectif initial.
Jusqu’à ce que des yeux marron se posent sur moi. Un regard de braise. Ou plutôt, de vengeance.
Mon frère se trouve juste là. Je m’arrête. Mon cœur martèle ma poitrine de frappes régulières. Je sers mes poings à m’en déchirer la peau. Mes ongles perforent mes paumes. A trois mètres de moi, se tient, immobile, mon double, défiguré par un sourire sur le visage. Je ne peux me contenir davantage et évacue toute ma rage.
— Qu’est-ce que tu me veux à la fin ! Tu es mort putain, comment t’as fait pour survivre et pourquoi me vouloir du mal !
Des passants se retournent dans ma direction et accélèrent le pas. Je suis une vulgaire bête de foire, mais nous verrons cela plus tard. Je dois d’abord m’occuper de mon bourreau.
Victor éclate d’un rire macabre. Le démon est en lui. Il est habité par une force tellement malveillante.
— Mon frère, tu n’as pas idée de qui je suis réellement. C’est bien dommage. Tu ne t’en rappelles donc plus ? Ton cher et tendre Victor quand même !
Je m’approche dangereusement, toujours les poings serrés. Du sang imprègne mes paumes de mains. Je pointe un doigt sur mon agresseur.
— Ne joue plus avec moi, c’est fini ! Je vais te dénoncer à la police ! Cette fois-ci, ta vie s’arrêtera pour de bon, dis-je sèchement, le cou crispé.
Encore un rire. Un rictus. De nouveau un rire. Et encore. Et encore. Et encore. Mes sens semblent contraints. Une voix s’implante dans ma tête. Je hurle.
Ça fait mal ! Arrête !
Mes pensées ne l’atteignent pas. La douleur s’intensifie au bout de plusieurs minutes. Je grogne :
— Arrête, j’ai dit !
Des voitures commencent à stationner près du petit parking présent à côté d’un parc naturel. Je reconnais leurs habits. Je déplace mes yeux de Victor aux policiers, puis saisis ma chance. Ils viennent pour lui, certainement ! Des promeneurs ont dû les contacter en comprenant la situation !
— Tu es fini, dis-leur ce que tu m’as fait ! je crie en direction de mon frère, un sourire au coin des lèvres.
Mais mon soulagement disparaît, laissant place à la stupéfaction. La peur s’empare ensuite de mon corps tout entier quand un policier, au ventre bedonnant et à la carrure imposante, s’approche de moi et me demande sur un ton monotone :
— Venez avec moi, monsieur. Nous allons discuter au poste. Ne faites aucun mouvement brusque qui pourrait vous causer des ennuis et restez clame.
Des menottes me lient les poignets derrière mon dos. Une foule s’agglutine autour de moi. Les policiers tentent de conserver un périmètre de sécurité. Et je suis là. Au centre de cet attroupement. Mon frère, en retrait, qui me fixe en inclinant sa tête de droite à gauche et en faisant un signe d’au revoir avec ses mains. Cette fois-ci, il ne sourit plus.
Pour la première fois de ma vie, les larmes qui tranchent actuellement mes joues sont les plus dures que j’ai endurées jusqu’à présent.
Bien plus atroces que le jour de la mort de Victor.
Le gyrophare se met en branle au moment où je m’assieds sur le siège arrière en tissu. Une odeur de sapin industriel plane dans l’air.
Victor se place devant la voiture, impassible. Le policier enrobé met la clé dans le contact, tandis qu’un deuxième, plus mince, me surveille à travers les rétroviseurs en ajustant régulièrement ses lunettes noires sur son nez.
La voiture démarre. Mon frère se positionne à seulement quelques mètres du capot. Le policier appuie sur la pédale d’accélération. Je fulmine :
— Attention, devant !
Mais les policiers continuent leur course, sans porter attention à mon avertissement. Mon souffle se coupe. Nouvelle crise. Je ne parviens plus à respirer.
Entre deux halètements, je réfléchis à ce que je viens à l’instant de vivre et me demande comment cela est-il possible. Mes mains tremblent encore. Je suis passé par toutes les émotions imaginables.
Quelle est la chose la plus folle ; le policier qui n’écrase pas la pédale de frein pour éviter l’accident ou mon frère qui traverse de la carrosserie sans le moindre choc ?
Il n’était qu’une poussière invisible devant des inconnus ignorants le malheur vécu.
Celui que je viens justement d’éprouver à cet instant précis, juste avant de fermer les yeux.
Annotations