Les secrets de nos aïeux
Sabine avait toujours été curieuse de cette grand cabane au fond du jardin de grand-mère. Elle était en mauvaise état, elle penchait dangereusement. Son bois semblait fatigué et la rouille avait pris possession des petites fenêtres. Elle faisait peur à voir, semblant pouvoir s’écrouler au moindre coup de vent mais Sabine avait tellement l’habitude de la voir qu’elle n’en n’avait plus peur depuis longtemps. C’était un travail solide puisque depuis des décennies, cette cabane était encore là, malgré l’épreuve impitoyable du temps et des attaques de la nature.
La curiosité la piquait tellement. Qu’est-ce qu’il pouvait bien y avoir là dedans ?
Nourrissant encore plus son envie d’y aller, grand-mère et papa lui avaient formellement interdit d’y entrer. C’était trop dangereux disait mamie et papa, lui, affirmait qu’il n’y avait que du vieux matériel pour l’entretien du jardin.
Et si ils mentaient ? Et si il y avait, en fait, une créature qui s’y logeait ? Ou un trésor ? Ou un passage secret menant à un lieu que personne ne devait connaître ?
Elle n’était pas du genre, à désobéir. Le conflit, elle en avait déjà assez vécus et plus que tout, subits. Entre ses parents surtout. Moins il y avait de conflit, mieux elle se portait, naturellement. Elle ne faisait rien, ne désobéissait jamais par crainte de la dispute, de la confrontation qui menait souvent à de stupides et injustes conséquences.
Mais là, c’était trop tentant.
Un jour, papa partit au bar et grand-mère s’était endormie. Elle sauta sur l’occasion.
Elle ne prit aucune précaution. Pas le temps et quelle précaution prendre ?
Elle s’avança jusqu’à la porte de la cabane. Un petit loquet cylindrique rouillé fermait la porte. Tout simplement. Saisissant la petite tige pour tirer le loquet, elle rencontra la résistance de la rouille. Elle secoua avec sa force à elle le loquet, de bas en haut, le métal grinçait. Heureusement que la cabane était à une petite distance de la maison et que les voisins était tous vieux. Vieux et sourds !
Elle continua de travailler le mécanisme, le tube cylindrique cédait du terrain, il reculait doucement de son encoche. La porte se libéra après 5 bonnes minutes de lutte.
La porte penchée s’ouvrait vers l’intérieur raclant le sol qui s’avérait être en terre. Mais elle avait beau pousser de toutes ses forces, la porte ne fit que s’entrouvrir, ne laissant que la place que de s’y faufiler. Enfin elle pouvait jeter un coup d’œil à l’intérieur.
Des outils de jardin rouillés, des papiers, beaucoup, beaucoup de papiers. C’était eux qui semblait bloquer la porte de l’intérieur.
Elle se faufila pour rentrer, évitant des clous rouillés entreposés sur une étagère en bois pourrie.
La lumière rentrait par les petits interstices entre les charpentes de bois. Elle vit des étagères, encore. Posées dessus, des vieilles boîtes de clous, des bouteilles en verres vides, des bidons, des bocaux et beaucoup de toiles d’araignées.
Elle n’aimait pas les araignées, ça non, mais elle semblait toutes planquées ou absentes. Elle n’allait pas repartir avant d’avoir fouillée un peu, sa curiosité passait outre sa phobie des arachnides.
À sa grande surprise, il y avait une échelle, et une grande plateforme à mi-hauteur de la cabane, où cette échelle était accolée. Sur la pointe des pieds, elle vit que la plateforme était emplie de paille et d’herbes pourries.
Elle voulut atteindre l’échelle avec pour projet de jeter un coup d'oeil sur la plateforme mais pour cela, il fallait marcher sur ces tas de feuilles blanches. Elle en ramassa une. Il semblait que ces feuilles n’étaient en fait des bons de commandes de l’époque où son grand-père travaillait comme menuisier. Ils étaient tous vierges. Mais à vue d’œil, il y en avait plusieurs centaines.
En se frayant un chemin sur ces feuilles, en espérant ne pas se blesser ou se fouler la cheville, elle remarqua un vieux meuble, juste en dessous de la fenêtre.
Elle ne pouvait le voir de l’extérieur car la vitre était sale, rongée dans ses contours par la rouille, poussiéreuse et avec des toiles d’araignées la couvrant de l’intérieur.
Quand enfin elle s’en approcha, elle remarqua un verrou. À sa surprise, elle le tourna facilement. La petite porte en bois pourrie s’ouvrit sur une pile de vieilles feuilles jaunies.
Celles-ci ne ressemblait pas aux bons de commande éparpillés partout dans la cabane.
Elle les ramassa délicatement et vit une écriture très fine et élégante. C’étaient des lettres !
Elle n’avait jamais lu ce genre de lettres, comme à l’époque, l’époque des vieux. Les lettres, les mots avaient de grandes et majestueuses courbes.
Elle peinait à déchiffrer ce qui était écrit tellement l’écriture était fine et les feuilles tachées, des taches marrons. C’était du français, évidemment, mais du vieux français, elle arrivait avec difficultés à déchiffrer certains mots. Elle trouva un rayon de soleil et y exposa une lettre.
Elle était adressée à « Ma chère Aline » ! Qui était Aline ? Elle ne connaissait aucune Aline dans sa famille. La lettre, quand elle arrivait à déchiffrer l’écriture, parlait d’hommes partant à la recherche de chevaux, de « sections », de « brigades », de « combats », des « allemands », des noms de hameaux ou de villes qu’elle ne connaissait pas.
C’était une lettre d’un homme à sa femme. D’un soldat ! Et c’était plein d’amour. Des « mon amour », « ma tendre », « tu me manques », « pense beaucoup à toi », « à mon retour ». Elle regarda la signature, elle pensait voir un M, un R et elle finissait par un S. Marius ? Quelque chose dans le genre pensa-t-elle, un vieux prénom de l’époque.
Elle avait encore plusieurs lettres dans les mains. C’était donc vrai, il y avait un petit trésor dans cette cabane ! Mais que faisaient ces lettres si belles, autant visuellement que dans leurs contenus, dans le meuble d’une cabane pourrissante ? Il fallait les ramener dehors, les ramener à la vie ! À la lumière !
Des larmes d’excitation coulaient le long de ses joues. Enfin de l’aventure ! C’était peut-être ça de braver un interdit ; une aventure. Mais braver un interdit n’était pas sans conséquences, surtout si on se faisait attraper.
Elle n’entendit pas son père arriver. L’herbe ne faisait pas raisonner les pas. Elle ne le remarqua que quand elle sortit de la cabane.
Il se tenait là, dos au soleil, les mains sur les hanches. Le temps de se réhabituer à la lumière du jour, elle comprit que c’était son papa. Ses joues étaient rouges, il semblait ne pas bien tenir sur ses jambes. Elle savait, il avait bu.
Elle reçut une claque sur la joue gauche mais elle ne pleura pas et resta immobile et stoïque. Il lui arracha les lettres des mains, lui cria dessus, ce n’était qu’une petite insolente, une idiote, se rendait-elle compte à quel point c’était dangereux d'entrer dans cette vieille cabane ?
Il l’attrapa par les cheveux, ceux juste au dessus de l’oreille et la ramena à la maison tout en fulminant à haute voix.
Elle fut envoyée dans sa chambre. Elle pleurait. Non pas à cause de son père, de la claque, de l’engueulade ni de la douleur, mais des lettres ! Qu’allait-il faire des lettres ? C’était incroyable d’avoir trouvé ça !
Quand elle fut autorisée à sortir de sa chambre elle n’osa pas demander où elles étaient tellement la colère de son père avait été brutale.
Jamais elle ne les a revues.
Quand des années plus tard, elle en reparla à son père, il ne s’en souvenait plus. Sa grand-mère non plus. Elle savait qu’ils mentaient. Ces lettres étaient importantes. Peut-être cachaient-elles un de ces secrets de famille qu’il ne faut surtout par ressortir. Une blessure qui, depuis plusieurs générations, ne s’était pas refermée. Jamais elle ne retrouvera ces lettres, pense-t-elle, mais elle garde et chérie en elle leurs souvenirs, ces belles lettres tracées finement, ces mots d’amours qu’elle a crue déchiffrer, ces mots de tristesses, misérables, des mots de soldats. D’un soldat à son amoureuse.
Il lui semblait qu’en faisant disparaître ces lettres, avait aussi disparut l’amour entre ces deux personnes. Amour gâché par une guerre et maintenant, par le souvenir, car trop difficile pour certains de le faire ressurgir. Elle se pensait et se pense toujours la gardienne de leur amour et de ce drame.
Intérieurement, ils vivent en elle, un jour peut-être, elle a ce fol espoir, retrouvera-t-elle ces lettres. Un jour peut-être, même si elle ne les retrouves pas, elle refera vivre leur amour et leur souvenir, que cela plaise ou non.
Car ce serait une injustice de les oublier, encore.
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