Chapitre 1: La traque

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Balaïkhan décrivait de larges cercles au-dessus des plaines du Pays de Dun tandis que s’élevaient à l’Est, les hauts sommets des Monts Brumeux. L’aigle royal scrutait les interminables étendues d’herbes hautes, profitant des courants ascendants pour se maintenir en l’air sans dépenser le moindre battement d’aile.

Quelques centaines de mètres au-dessous de lui, Wardin, hissé sur Aknur, son cheval de Przewalski, avançait au trot. Hermione, sa chouette effraie, était perchée sur l’épaule du rôdeur, tandis que Leevi, son énorme chouette laponne au plumage gris voletait autour de lui.

Cet étrange équipage suivait la piste d’une horde de Wargs du Mordor, qui terrorisaient les villages des hommes, de Fondcombe jusqu’à la trouée du Rohan. Le rôdeur avait quitté la cité elfique une semaine auparavant, et n’avait croisé que ruine jusqu’aux portes de la Moria.

Le cri de Balaïkhan déchira l’air et l’aigle fondit en piqué sur le minuscule point que représentait Wardin sur son cheval. Le rôdeur leva un bras ganté de cuir épais pour accueillir le majestueux rapace qui se posa dans un bruissement d’ailes. Il caressa le plumage brun-roux de l’aigle qui lui pinça affectueusement le dos de la main.

— Il y a du monde derrière ces collines, murmura Wardin, interprétant le signal de son aigle. Nous ferions mieux de nous montrer discrets et prudents.

Il descendit de cheval, tira son szablya, une petite épée courte et courbée, et s’avança prudemment, caché dans les hautes herbes. De l’autre côté de la colline, il découvrit deux elfes qui semblaient en grande conversation, penchés sur une carcasse de cheval éventrée.

— Ils ne doivent pas être bien loin, dit le premier. Émolas, nous devons les rattraper à tout prix avant qu’ils ne rejoignent l’Isengard.

— L’homme qui chevauchait cette pauvre bête a dû être capturé. Regarde, il y a des traces de lutte par ici.

Hermione émit un hululement perçant et battit frénétiquement des ailes. Aussitôt, les deux elfes se retournèrent et encochèrent une flèche qu’ils pointèrent dans la direction d’où provenait le bruit.

— Nirtam, va voir ce qu’il se passe, ordonna Émolas.

Wardin tenta de se fondre dans les hautes herbes, mais il n’échappa pas à la vue perçante de l’elfe qui le mit en joue. Le rôdeur se releva, laissa tomber son sabre à ses pieds, et mit ses mains en évidence en signe de reddition.

Návëan Wardin, Eldandil[1].

— Tu parles notre langue ? répondit Nirtam dans la langue commune. Je suis Nirtam, et voici ma sœur, Émolas. Que fais-tu ici, humain ?

— Je suis à la poursuite d’une horde de Wargs qui déciment les troupeaux des villages alentours. Cela fait une semaine que je piste leurs traces.

L’Elfe baissa son arc et intima à sa sœur d’en faire autant.

— Nous aussi, répondit-il. Ils ont tué une volée de cygnes blancs, à quelques lieues au Sud de Fondcombe et nous les poursuivons depuis lors. Ces bêtes sauvages ne s’aventurent jamais si loin d’Isengard, et nous aimerions savoir ce qui les as poussées à le faire.

Comprenant que le danger était écarté, Hermione revint se poser sur l’épaule de Wardin. Balaïkhan et Leevi tournaient toujours en larges cercles autour des trois personnages. Surprise, Emolas demanda :

— Cette chouette est avec toi ? Comment peux-tu avoir apprivoisé un animal aussi sauvage ?

— Oui, c’est Hermione. Elle m’accompagne depuis plusieurs saisons, tout comme Leevi et Balaïkhan, répondit le rôdeur en désignant les deux autres rapaces.

Si les Elfes avaient paru agressifs au premier abord, ils semblèrent intrigués par la relation de Wardin avec ses oiseaux. Émolas reprit.

— Pour avoir gagné la confiance d’un animal aussi pur que la chouette effraie, tu ne peux être animé que des plus justes intentions. Nirtam, mon frère, nous avons les mêmes intentions que ce rôdeur. Proposons-lui de se joindre à notre quête. Wardin, voudrais-tu nous accompagner ?

Comme pour signifier son accord, Leevi se posa sur l’avant-bras tendu de l’Elfe et tourna son cou étonnamment mobile vers le rôdeur.

— Soit, répondit-il. Faisons la route ensemble.

— Nous discuterons en chemin, les coupa Nirtam. Le temps presse, et les Wargs ont encore plusieurs heures d’avance sur nous. Nous n’avons pas une minute à perdre.

Wardin se remit en selle et talonna les flancs d’Aknur, sa jument, pour la mettre au trot. Même à pieds, les Elfes rivalisaient de vitesse avec l’animal, et leur endurance était à l’épreuve de celle d’Aknur. Ils chevauchèrent ainsi un jour et une nuit sans discontinuer, avant de retrouver la trace des loups du Mordor.

Leur course effrénée les mena jusqu’à un village désert, dont les rues étaient jonchées de cadavre de chiens. Ces derniers avaient vaillamment tenté de défendre le bétail mais s’étaient trouvés impuissants face à la force brute des Wargs. Les vaches, veaux et moutons gisaient la gorge ouverte, mais leur chair n’avait pas été entamée, témoin du fait que ces bêtes infâmes ne tuaient que pour le plaisir.

Au Sud, on entendait les hurlements de la meute toute proche.

— Il ne semble pas y avoir d’humains dans ce village, constata Nirtam. Ils auront réussi à se cacher dans les montagnes. C’est une chance. Les loups sont tout proche, il nous faut continuer notre route, Isengard n’est plus très loin.

— Fouillons les cabanes, objecta Wardin. Il y a peut-être des survivants.

— Nous n’avons pas le temps, répondit l’Elfe.

Ignorant les conseils de Nirtam, le rôdeur descendit de cheval, tira son szablya et entra dans la première des huttes qu’il trouva vide. Émolas prit son parti et invita son frère à les aider.

— Plus vite nous aurons exploré ce village, plus vite nous reprendrons la chasse, hánonya[2].

Cabane après cabane, Wardin enfonça des portes donnant sur des pièces vides, rassuré sur le fait que les villageois avaient eu le temps de trouver un refuge sûr dans les montagnes.

Mais ses craintes se révélèrent fondées lorsqu’il poussa la porte de la dernière hutte, à l’extrême Sud du village. A l’intérieur, un énorme Warg au pelage blanc menaçait une femme en haillons. La pauvre femme, adossée contre la paroi de la tente tenait d’une main tremblante un couteau à la pointe émoussée. Bras tendu, elle gardait le loup à distance respectable, et tenait dans son autre main un nourrisson emmitouflé dans un drap blanc. La mère tentait vainement de calmer les pleurs de son enfant tandis que le loup, ramassé sur lui-même, était prêt à bondir, ses babines retroussées.

— Donne-moi l’enfant, aboya-il, et je ne te ferais aucun mal.

Le sang de Wardin ne fit qu’un tour. Hurlant pour se donner du courage, il se jeta sur l’animal, son sabre tendu, et l’enfonça dans la fourrure épaisse qui couvrait la gorge du Warg. La bête se retourna, folle de rage, et ouvrit la gueule pour avertir la meute. Mais aucun son ne sortit de sa gorge. Rien, en dehors d’un filet de sang noirâtre qui se répandit sur le sol de terre battue de la hutte. Le loup se jeta alors sur le rôdeur désarmé, le renversant sur le sol, et fit claquer ses mâchoires à quelques centimètres de sa tête. Bras tendus, il maintenait la bête à distance, mais ployait sous son poids. Les canines acérées du Warg se rapprochaient du visage de Wardin à mesure que ce dernier s’épuisait.

Alors, un éclair gris traversa la pièce et Leevi se jeta sur le loup. Il creva ses yeux à l’aide de son bec pointu et de ses serres acérées. Aveuglé, le Warg fit claquer vainement ses mâchoires pour tenter de saisir la chouette entre ses crocs, libérant ainsi Wardin. Il se releva, récupéra son szablya, et le plongea dans la poitrine du loup qui s’effondra, inerte. Leevi vint se poser sur le cadavre du Warg blanc tandis que l’homme tendit une main calleuse à la pauvre femme effrayée.

— Venez, il n’y a plus rien à craindre.

Cette dernière lui lança un regard empreint de reconnaissance et saisit la main du rôdeur, serrant son fils contre sa poitrine. Elle avait les larmes aux yeux.

Lorsqu’ils sortirent à la lumière du jour, Émolas et Nirtam les rejoignirent, inquiets.

— Il y avait un Warg dans cette maison. Les autres ne doivent pas être loin.

— Tu as tué ce Warg ? demanda Émolas. Tu es un grand combattant, et sage, Neraiwë[3].

— Je n’aurais jamais réussi sans l’aide de Leevi, répondit-il alors que la chouette sortait à son tour de la hutte.

— Allons-y, maintenant ordonna Nirtam. Ils ne doivent pas nous échapper.

[1] Je suis Wardin, ami des Elfes.

[2] Mon frère

[3] Homme-oiseau

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