3. L'assemblage des nébuleuses

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La jeune femme s’est évanouie dès son arrivée à bord. Depuis, elle dort dans l’une des chambres du zeppelin. Elle m’a paru exténuée, mais sans blessure. La terre et la pluie ont maculé ses vêtements et sa peau. Devant son inconscience, je n’ai osé laver que son visage et ses mains.

Je l’ai repêchée sans y penser et ne sais pas quoi faire d’elle. Je ne peux pas la renvoyer à terre. L’Effondrement semble avoir commencé sur ce continent et il doit maintenant s’étendre entre le Vieux Monde et nous. Cela expliquerait la force des dernières tempêtes. Si c’est le cas, je ne peux pas non-plus l’abandonner au prochain pilier. Sa survie n’y sera qu’éphémère : le temps que l’Effondrement l'entraine dans le Vide.

Je reprends la réparation de l’artifex, mais mes pensées continuent de s'assembler autour de la jeune femme. Des questions fluent et refluent dans mon crâne. D’où vient-elle ? Que faisait-elle sur la lande ? Ces terres sont stériles et, à ma connaissance, tous les humains qui vivent dans l’Ailleurs se concentrent dans les piliers.

Au dehors, l'orage s’est tu, avalé par la distance parcourue par le zeppelin. L'épreuve a éreinté l'appareil. L'un des compartiments du ballon s’est fissuré et laisse fuir une partie du gaz nécessaire à l'élévation. Cette déperdition nous impose une escale à Babel, le pilier le plus proche, même si j’aurais préféré l’éviter.

Un cri surgit entre mes pensées ! Je me jette hors du bureau et cours à travers les couloirs jusqu'à la chambre où j’avais installé l’inconnue. J'ouvre la porte pour découvrir la jeune femme allongée, les traits déformés de terreur. Sagate est là aussi. Perché sur sa poitrine, il la fixe sans ciller, à quelques centimètres à peine de son visage.

« Sagate ! Un peu de tenu ! » Le chat me jette un œil blasé, avant de daigner descendre de son juchoir. Il passe entre mes jambes et quitte la chambre avec dédain. Notre invitée le regarde disparaitre et son visage se fait plus calme. Ses yeux gris-émeraudes glissent de nouveau jusqu'à moi quand je m'approche du lit.

« Sagate est parfois un peu désagréable, mais jamais méchant. » dis-je en souriant. Elle me rend mon sourire mais reste muette.

Je prends une chaise pour m’assoir devant elle, tout en la sentant étudier mes mouvements. Un peu gêné, j’entreprends d’observer la pièce. La chambre est étroite, mais coquette. Les quelques meubles sont ouvragés avec élégance et sobriété, comme il est de coutume dans le Vieux Monde. Un instant, ils éveillent des souvenirs de ma patrie, des souvenirs qui s’estompent. La pluie bat le verre de la fenêtre et murmure ses clapotis dans le ciel du soir. En voyant peut-être la mélancolie couler sur mon visage, l’inconnue me sourit de nouveau.

« T'es-tu reposée ?

─ Oui »

Sa voie est faible et légère. Elle me fait réaliser que je n’ai pas entendu de voix humaine depuis des jours.

« Nous sommes à bord d’un zeppelin, en route vers le Sud. L'orage est passé.

─ Je n'ai pas peur de l'orage ! »

Elle l’a affirmé avec une telle conviction que je reste un instant coi. Elle semble le remarquer et rougit doucement, m'enlevant un sourire.

« Que faisais-tu face à la tempête ? »

Ses yeux fuient les miens, sans que j’en comprenne la raison. Je les vois presque courir à travers la chambre se chercher un refuge. Ils se jettent soudain vers l'encadrement de la porte, où un artifex vient d’apparaitre.

« Il veut te dire quelque chose », dit-elle en montrant le petit homme métallique à la tête clignotante.

Elle s’est échappée, emportant une réponse que je n'aurai pas. Une autre question vient alors s’imposer. Pourquoi n’est-elle pas étonnée par l’artifex ?

La technologie des artifex appartient au Vieux Monde et il a rompu ses liens avec l’Ailleurs depuis plus d’un siècle, bien avant l’invention des automates. Personne, à l’extérieur du rempart qui l’encercle, ne peut connaitre l’existence de telles machines.

Il est possible que la jeune femme vienne du Vieux Monde, comme moi. Mais c’est peu probable : elle ne ressemble pas aux femmes vivant là-bas et rares sont celles et ceux qui passent la Muraille, même poussés par la guerre. L’effroi devant ce qui s’étend hors de ce sanctuaire est profondément ancré dans nos cultures, indélébile. L’exil est lié à l’horreur et à la mort.

Elle devait venir de l’un des piliers de l’Ailleurs. Mais où a-t-elle vu une autre machine du Vieux Monde pour ne pas s'en étonner ?

Une secousse brutale vient m’extirper de mes réflexions. Mon invitée me fixe avec inquiétude et l’artifex tire de plus belle sur ma manche. Une nouvelle tempête approche. Le nombre d’orages traduit l’instabilité du lieu et sa proximité extrême avec l’Effondrement. Si nous restons ici, la terre s’ouvrira sous nous, avalant l’air et le ciel.

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