Chapitre 7

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Il chassait aux engins, pour attraper les plus petits des oiseaux. Au gluau, il prenait les alouettes et des cailles, et aussi les bruants, aériens et fugaces, en enduisant de glu des branches et des planches, parfois ornées de fils de laine colorés, ou de petits miroirs, qui attiraient immanquablement les volatiles, futiles et distraits, dont les corps délicats et sans force ne parvenaient plus à se décoller du piège. Il les arrachait d'un coup sec en écorchant la peau fragile des pattes qui se brisaient parfois et restaient arrimées au bois comme autant de brindilles ensanglantées.

Colleteur, il tendait ses rets sur presque cinq communes et parcourait chaque jour des dizaines de kilomètres à pied, pour relever ses pièges. Il posait des lacets de cuir mince et pourtant incassables qui étranglaient les lièvres les plus robustes et les plus vifs, la lanière coupante s'enfonçant par delà le poil dru dans la peau épaisse, jusque dans la tendresse de la chair. Quand il les trouvait assez tôt, les lièvres et les lapins étaient encore tièdes et mous, souples et lourdes poupées de peluche qui ployaient dans les mains du Braconnier, comme dans un jeu d'enfant. Mais quand il arrivait plus tard les corps des bêtes étaient déjà raidis, si exempts de chaleur qu'ils adhéraient alors au sol aussi fortement qu'au gluau. Il lui fallait les arracher à la terre et au gel, comme on défait du velcro, avec le même bruit de déchirement. Il devait alors placer les cadavres rigides au plus près de sa poitrine, au sein de sa propre chaleur, pour réchauffer, et ainsi ramollir le gibier, trop dur pour l'étripage.

Il posait aussi des petits collets de fils de fer, presque invisibles et cependant redoutables, qui étouffaient d'un coup, parfois jusqu'à la décapitation, les petits rongeurs et autres bestioles, qui s'aventuraient trop près. Parfois, un renard imprudent, ce qui était rare, se prenait une patte dans l'un d'entre eux, mais nous ne trouvâmes jamais guère plus d'un moignon rongé autour du nœud coulant et coupant, dévoré et arraché à la jointure.

J'eus du mal, au début, à m'habituer à ces rituels cruels et durs, mais le Braconnier, à l'égard de son art, faisait montre d'une patience et d'une passion rare et précieuse chez lui. Il m'expliquait tout en détails, me racontait le nom de chaque bête, chaque plante, chaque arme. Et j'aimais le regarder défaire avec adresse, les nœuds les plus fins et les plus serrés avec ses gros doigts, briser les carcasses rigides pour les plier et les engouffrer dans les multiples replis du carnier, et j'aimais tout particulièrement, mais avec un certain frisson glacé et acide, le voir caresser le large plat de son couteau dans le gras de sa paume, la lame acérée et effrayante glissant sur la chair, la traversant presque, mais sans jamais la couper, et replacer l'arme dans son fourreau de cuir, en l'enfilant comme un gant, une seconde peau. Il me parlait aussi beaucoup de la chasse, mais comme je ne l'avais jamais connue, naturelle et sauvage, pas inutile, et j'écoutais ses histoires, les histoires de sa vie, comme j'écoutais jadis les contes de fées, émerveillée.

Il me montra un jour comment attraper et préparer les ortolans, oiseaux minuscules et fragiles qu'il faut capturer vifs, pour les engraisser. Ils sont pris dans une matole, une sorte de trébuchet grillagé que l'on pose au sol de manière instable, de préférence dans des petits champs ouverts ou des vignes basses. Les ortolans, que l'on appelle également jardiniers car ils sont particulièrement gourmands de graines de semailles, ne résistent pas au double appel de l'appât et de l'appeau, du blé concassé et de l'appelant, un ortolan pris dans une chasse ultérieure et que le Braconnier relâchera, eu égard au service rendu. Une fois dans la matole, un système similaire à celui des tapettes pour souris déclenche la fermeture du toit grillagé, qui emprisonne alors les oiseaux imprudents. Ils sont ensuite mis au noir, certains leur crevant carrément les yeux, d'autres, comme le Braconnier, moins cruels et voulant éviter de les traumatiser, se contentent de les enfermer dans l'obscurité totale pour les empêcher de bouger, n'ayant rien d'autre à faire que d'engloutir d'énormes quantités de ce gros millet dont ils raffolent. Ainsi immobilisés et gavés, ils engraissent outrancièrement, et perdent presque toutes leurs plumes.

On les tue alors, en les noyant dans un verre d'Armagnac, et les saveurs de l'alcool semblent ainsi parfumer la chair tendre. On ne leur enlève que le gésier, en piquant la poitrine avec une aiguille particulière, comme un arrache-cœur. Le Braconnier est expert en la matière et ça fait son succès. J'ai vu l'oiseau pâmé entre ses doigts, la poitrine offerte et qui s'ouvre en silence sous la piqûre sûre du Braconnier, l'aiguille plonger, fouiller une brève seconde, et ressortir d'un coup avec la boule de chair frémissante qui ressemble bien à un cœur. Je devrais en être moi-même écœurée mais, j'ai honte de le dire, je l'en désire davantage...

Il ne tue que pour survivre. C'est un prédateur et son gibier constitue l'unique viande qui nourrit sa famille. Il vend aussi l'excédent, ces mêmes ortolans de contrebande aux riches particuliers, les bécasses rares aux restaurants chics bordelais, et le menu fretin, les oiseaux moins recherchés et pourtant désirés, aux chasseurs, qui s'achètent ainsi une sorte d'honneur, comme une nouvelle virginité, pour tout simplement ne pas rentrer bredouilles.

En chemin, il cueille aussi des champignons, et en particulier les cèpes gras et parfumés, qu'il trouve plus facilement et plus rapidement que n'importe qui, et qu'il revend souvent beaucoup plus chers que son gibier de chair.

L'automne était sa saison, bien sûr, et je trouvais qu'il en portait si bien le parfum, frais et sauvage. Ses mains étaient constamment rougies de sang et de froid, ses ongles noirs et ses paumes sales et rugueuses. Pourtant je n'aimais rien de plus que ces mains insolentes sur mon corps, avide de caresses, et qui ne recevait que la brûlure du frottement impatient. Et, toujours, cette odeur douçâtre de sang séché et de cadavres emmitouflés dans sa chaleur, qui me pénétrait par les narines, par toutes les papilles de mon corps, quand il me prenait par le sexe.

Je le suivais comme un deuxième chien, le sien allant toujours de l'avant, ouvrant la voix pour son maître, découvrant les coulées, passages ineffables et invisibles aux yeux des hommes qu'emprunte le gibier et que seuls les chiens et les braconniers reconnaissent. Ce chien était, je le compris bien assez tôt, plus important que n'importe quoi ou n'importe qui, pour lui. C'était un bâtard de Setter et de Griffon Kortal, et sûrement d'autres choses indéterminées, une grosse boule de poils sales. Pataud et lourdaud, il puait et bavait beaucoup, et je ne l'aimais pas.

C'était aussi le chien de chasse le plus convoité de la région, car, malgré son absence totale de pedigree, il était, de loin, le meilleur de tous. C'était sa versatilité, plus que tout autre chose, qui faisait de lui un champion hors pair. Superbe chien d'arrêt, il cherchait le gibier fuyant, pendant des heures, sans se fatiguer, sans décoller la truffe du sol. Il levait si bien la proie, en pleine mire du fusil, que le plus maladroit des chasseurs ne pouvait la manquer. Bien sûr, il n'avait aucun mal à débusquer les grosses poules faisanes, paresseuses et ne sachant plus voler, ainsi que leurs mâles emplumés mais tout aussi dolents, et le Braconnier nourrissait, chaque automne, sa petite famille aux gras faisans d'élevage.

Mais le Pougnac, c'était le nom de ce compagnon canin du Braconnier, était surtout l'un des rares chiens à pouvoir traquer sans relâche la bécasse rare et farouche, fragile reine montée sur de fines échasses, et que tous rêvaient un jour de tuer. C'était, chez lui, un véritable don, presque un miracle, et on venait de loin pour louer ses services, pour traquer l'oiseau rare, trophée couronné de plumes mordorées.

Moi, le Pougnac ne pouvait pas me voir. Il grognait quand j'approchais, montrait des dents quand je touchais son maître et aboyait derrière mon vélo quand je partais, comme pour me faire déguerpir au plus vite. En général je n'ai pas peur des chiens, et surtout pas des chiens de chasse qui sont des animaux sociables et plutôt gentils avec les humains. Je sais ne pas montrer ma peur devant un chien inconnu et je ne crains pas le contact avec les bêtes, j'en ai l'habitude. Mais le Pougnac ne m'aime pas.

Pas assez souvent pour moi, mais trop souvent pour lui, je viens briser le couple fidèle et stable qu'ils forment tous deux depuis des années. J'accompagne désormais, sur de petites pistes, celui qui a toujours chassé en solitaire, ne se fiant qu'à son chien, et réciproquement. Et puis, quand j'apparais, le Braconnier délaisse un moment sa traque et son traqueur pour s'abreuver de moi, de notre sexe. Je crois que le Pougnac était jaloux, tout simplement.

Le Braconnier me faisait jouir, irrémédiablement, ou du moins je le croyais éperdument, et je ne pouvais plus m'en passer. Les corps qui m'entouraient me répugnaient, me glaçaient, et je m'en détournais, en me rétractant de toute ma peau, comme une chatte devant l'eau froide. Tout ce qui n'était pas sexe me faisait fuir et je recherchais sans cesse la chaleur de l'étreinte, la moiteur de la peau, le corps du Braconnier.

Et puis, je le vis de moins en moins, le printemps arrivant. Il désertait les bois, les laissant libres de toute entrave pour les amours animales, pour les saillies et le renouveau des vies et des races. Il respectait toujours les cycles de chaque espèce, les reproductions, les nidifications, les migrations, et prenait bien garde de ne pas déranger les habitats fragiles et les bourgeons des plus petites créatures, des plus petites vies.

Il était, cependant, minoritaire dans sa façon de vivre et la différence entre lui et le reste des chasseurs était alors criante, comme une grande fosse en forme de tombe qui le séparait des simples meurtriers. C'est à dire, jusqu'à l'arrivée de l’actrice Suzie Marteau.

Il y a deux sortes de chasses aux oiseaux migrateurs, celle de départ, pratiquée de septembre à octobre, et celle de retour, au printemps. À l'automne, les palombes et les tourterelles quittent l'Europe pour les pays chauds de l'Afrique où elles vont se réchauffer, se régénérer. De retour au printemps, les oiseaux sont accouplés et préparent la nidification pour les prochaines générations. S'ils en ont le temps...

Les palombes et les tourterelles passent par un grand couloir dans le Sud-Ouest de la France qui traverse en particulier le Médoc, et c'est là, dans ce mince passage entre ciel et terre, parmi les vignes les plus riches et les plus grasses du pays, que les chasseurs les attendent, embusqués, ou dans les Landes plates, perchés dans les palombières, et les aspergent de grains bleus.

Cette chasse est très règlementée, voire interdite, surtout depuis l'unification de l'Europe, mais les chasseurs n'en ont cure et continuent de traquer et de détruire les lourdes palombes bleues, les graciles tourterelles beiges dont le cou délicat, orné d'un collier bis, les font ressembler aux belles Arlésiennes des gravures provençales.

Alors, parfois, et pour des raisons diverses, certaines célébrités viennent jusque dans le Sud-Ouest pour protester contre cette aberrante tradition. Ce printemps-là, l'actrice Suzie Marteau vint donc militer en faveur des oiseaux. Les chasseurs se mobilisèrent et contre-attaquèrent. Et parmi eux: le Braconnier! Je ne comprenais pas sa soudaine solidarité avec les chasseurs de palombes, lui qui, mieux que tout autre, connaissait l'impact de cette chasse lâche et criminelle sur la reproduction des oiseaux. Je lui demandai le pourquoi de son revirement, quand il m'avoua qu'il partait pour le Médoc manifester.

- On va se fendre la gueule, me répondit-il avec son air con des mauvais jours. On a fait pourrir des caisses d'œufs et on va les lancer sur cette connasse, on va s'éclater.

- Mais, et la chasse? Tu n'es plus contre la chasse à la Palombe? demandai-je, effarée.

- Ça a rien à voir, répondit-il sans me regarder. D'abord moi je chasse pas la palombe, et puis c'est pour déconner avec les copains.

- Mais si tu prends parti pour eux c'est comme si tu participais aussi au massacre, tu peux pas faire ça quand même! plaidai-je, à bout d'arguments.

- Fous-moi la paix avec tes conneries. Si ça te plaît pas, t'as qu'à te casser. Si tu crois que je vais me laisser emmerder par une gonzesse, tu te goures, petite conne. Allez, tire-toi, tu me fais chier, lâcha-t-il en me repoussant brusquement.

Je restais interdite, les larmes aux yeux, fixant obstinément sa silhouette fuyante. Il me laissa en plan, et je n'entendis plus rien de lui pendant un très, très long mois.

Parvint-il à canarder Suzie Marteau? Fit-il bien la fête avec les chasseurs? Pensa-t-il à moi? La dernière question était hélas bien futile car le Braconnier ne pensait jamais à personne, et surtout pas à quelqu'un d'aussi peu important, pour lui, que moi. Mais il pensait à son chien, et c'est cela, ce ne pouvait être que cela, qui le fît revenir.

Le Pougnac tomba malade, sous la tutelle provisoire de Gauret, à qui le Braconnier l'avait confié pendant son absence. De ma chambre, je pouvais le voir tous les jours, tirant sur la chaîne rouillée dans la cour boueuse du voisin, et chaque jour ma gorge se serrait en pensant à son maître. Il me manquait, et je n'y pouvais rien.

Le Vieux a toujours eu des chiens de chasse, et parfois de très grands pedigrees. Il posséda même, pendant plusieurs années, un Pointer de pure race avec lettres de noblesse et nom à rallonge. Le ridicule de la situation lui échappait totalement et il était fier d'exhiber sa bête de luxe dans toute la région. Sauf que le Pointer était un peu con sur les bords et qu'un jour, imprudent, il voulut suivre la voiture de son cher maître jusque sur la Nationale. Il se fit écraser comme une merde, par un pauvre type tout penaud que le Vieux manqua d'étriper. Depuis ce jour funeste, le Vieux garde ses chiens attachés à une chaîne d'acier, comme celle du voisin. Il également devenu une sorte d'expert canin et ce fut lui qui sauva le Gaurat d'un terrible faux-âs.

Le Vieux n'eut pas besoin de s'attarder longtemps sur le clébards aux yeux chassieux et à la bave verte pour en conclure à l'inévitable: le Pougnac avait été piqué par une tique, ce qui est presque toujours fatal. Le Gauret, se sentant coupable, refusa tout d'abord le diagnostic, mais le Vieux lui rappela qui était le maître du chien et les obligations diverses que chacun d'eux avaient envers lui, et Le Gauret s'inclina. Ils portèrent le chien avec de grandes précautions dans la voiture du Vieux, enroulé dans une couverture, douce et propre pour l'occasion, et foncèrent chez le vétérinaire.

À leur retour, leur mine maussade et inquiète témoignait de la gravité de la situation. Le Gauret s'attarda chez nous, en se faisant tout petit dans notre cuisine. Il se passait sans cesse la main sur la figure, en soufflant comme un phoque. Le Vieux tenta de le réconforter:

- Allez, ça va s'arranger, il en a vu d'autres, le Pougnac.

- S'y lui arrivait quelque chose, je me le pardonnerais jamais, gémit le Gauret, d'un air pathétique. Un chien comme le Pougnac, c'est un crime de le laisser crever, on pourra jamais le remplacer.

- Allons, renchérit le Vieux, il est pas encore mort, je connais le véto, y le remettra sur pieds tu vas voir.

- J'en dors plus de la nuit, confessa le Gauret, la voix chevrotante, je pourrais pas supporter d'avoir sa mort sur la conscience. J’ai trop de respect pour lui. J'aurais du rester chez ton véto pour passer la nuit avec lui. C'est peut-être pas trop tard, qu'est-ce que t'en penses?

- Mais non, allez, il a pas besoin de toi pour lui tenir la patte, il est dans de bonnes mains, je t'assure, le rassura le Vieux.

- Ça me donne presque envie d'aller prier. Ma femme est allée allumer un cierge, mais je sais pas si ça marche, ces conneries, enfin, bonsoir, je vais à la soupe, déclara le Gauret en prenant son béret pour sortir.

- Allez, demain y fera jour, lui lança le Vieux à sa sortie.

Le Pougnac s'en sortit de justesse mais il fallu rappeler son maître de sa virée Suzie Marteau. J'ai un peu honte de le dire ici mais j'avais le coeur qui battait la chamade, incontrôlablement, à l'idée de le revoir. Bon, à l'époque, je ne réalisais pas encore le sale con que c'était. Tout ce que je voulais, c'était le revoir, et je le revis.

J'eus même la chance de pénétrer chez lui, de rencontrer sa femme et ses enfants, de toucher son monde. Le Vieux avait finalement hérité de la garde du Pougnac, pour sa convalescence, et il devait le ramener chez le Braconnier. J'insistai pour l'accompagner, inventant, à toute volée, une excuse bidon du genre: « J'ai besoin d'aller chez Untel qui habite à côté pour vérifier un truc », bref un bredouillage incompréhensible mais que le Vieux n'avait pas les facultés intellectuelles nécessaires pour déchiffrer.

Arrivés chez le Braconnier, il me fallut quand même du courage pour descendre de voiture et accepter de grimper dans l'hideuse caravane sans roues qui constituait son foyer. Je me sentis très mal, très vite. En pénétrant dans la roulotte, la forte et tenace odeur de la pauvreté crasse m'assaillit d'emblée. Le tabac froid et chaud, la bière en stagnation, les couches merdeuses, le vomis incrusté dans toutes les fibres du plancher, la pisse de chat, le cul mal lavé et l'eau de Cologne bon marché qui sent plus l'alcool qu'autre chose, la moiteur des corps humains qui s'entassent, sales, suants, suintants...

Elle est là, debout au milieu de sa cuisine-salle-à-manger-chambre-à-coucher, une cigarette à moitié consumée au coin des lèvres fardées de vif, son petit cul et sa taille de guêpe sous-alimentée moulés dans un pantalon orange, un vieux pull vert qui pète encore, et la masse sale et broussailleuse de ses cheveux rouges, qui pendouille dans son dos étroit. Je la vois et je la déteste. Elle est vulgaire, moche, sale, conne, elle pue, elle craint, elle a rien à voir...

Mais elle a quelque chose, quelque chose que je n'ai pas, si ce n'est un mari, un homme que j'aime aussi, et autre chose encore. Il y a en elle une force irrésistible, une attirance puissante qui la rend belle et désirable, sous bien des angles. Sa bouche, maquillée comme celle d'une pute, est néanmoins pleine et sensuelle, ses cheveux rouges lui donnent l'air d'une lionne en rut, magnifique et sauvage. Sa maigreur renforce en elle une image dure, saillante, tranchante, et sa présence en est d'autant plus sensible. Il émane d'elle une incontestable aura de sexe et de chaleur, de passion fiévreuse. Elle a du chien, comme on dit.

Ça me fait mal de penser à elle, et, en même temps, je me sens proche d'elle. Je voudrais presque être comme elle, être elle. Je veux toucher avec ma propre chair celle du Braconnier, même à travers elle. Je prends le bébé dans mes bras, le câline, le chatouille. Je joue à la petite femme du Braconnier, je me force à aimer la puanteur moite de la caravane, le poupon baveux, la pisse de chat, les gosses qui braillent, le plancher dégueulasse, le lit défait, les draps gris de crasse, le bordel ambiant ...

Le Braconnier n'est pas encore rentré et on l'attend dans la chaleur exagérée du poêle à mazout. La femme du Braconnier s'est rallumé une clope et reprend le bébé, qui toussote sous les volutes de sa mère. Je lui souris bêtement et elle me fixe à travers la fumée, défiante. Elle sent sur moi l'odeur de son homme, ne semble pas s'en inquiéter, plutôt se moquer. J'ai honte et je me sens rougir, je voudrais partir.

Le Braconnier entre alors et mon cœur manque un battement. Je sens mes joues prêtes à exploser, cuisantes, mais il me sourit, énigmatiquement il me semble. Puis il voit son chien et court vers lui, le retrouve. À genoux près de la bête, il lui caresse doucement la tête, lui parle tout bas, lui soulève une oreille et la lisse dans sa paume ouverte et accueillante. Je ne l'ai jamais vu aussi tendre, aussi doux, aussi humain, et, la chose fera sûrement sourire, il m'émeut. Je le re-aime, là, au sein de son taudis et devant sa famille, c'est lamentable mais c'est comme ça.

Le Vieux échange quelques mots avec le Braconnier, qui est rassuré de savoir que son fidèle compagnon est tiré d'affaire. Avant de nous laisser sortir de chez lui, il me lance un regard long comme un poignard et qui me va droit au cœur, en passant par ma vulve huileuse. Dans ses yeux, je crois bien lire une certaine gratitude, point méritée et irrationnelle, mais néanmoins présente, et je comprends. Dans son esprit il m'associe désormais au sauvetage laborieux de son chien, de son seul trésor on pourrait dire, et peu importe ma participation à l'acte, c'est vers moi que son désir de justice s'élance, et je crois que s'il m'a aimée un peu, c'est à cette seconde précise.

Peu de temps après, nous reprîmes nos ébats, avec plus de ferveur que jamais. Il me touchait longuement, m'embrassait voracement, me caressait plus. Il me faisait l'amour en murmurant presque, en gémissant beaucoup. Il semblait avoir désormais du mal à me laisser partir, me retenant dans sa bouche, ses mains avides dans mon soutien-gorge et ma culotte. Moi, j'explosais de bonheur, je jouissais en cascade, comme une cataracte d'eau pure et bleutée. Mais l'été s'en venait.

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