Sœur Marie Madeleine

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Le soleil était à son zénith lorsque la sœur acheva de dire l’office de sexte en un Amen victorieux de résurrection, un large sourire faisant apparaitre de légères rides sur le coin de ses joues. Du fond de cette grange où elle allait et venait depuis plusieurs semaines déjà, sœur Marie Madeleine retrouvait goût à la liberté que l’Eglise lui avait arrachée. Elle pouvait dire les offices à l’heure qu’elle voulait, les prières qu’elle désirait. Elle pouvait même manger en discutant si elle le souhaitait. Elle se sentait sereine comme jamais.

Elle aimait Dieu bien sûr, là n’avait jamais été le problème. On ne s’engage pas dans la vie religieuse sans avoir cette qualité-là. En revanche, elle ne savait pas rester enchainée et soumise aux ordres de ses supérieurs qui pensaient tout savoir mieux que tous le monde. Rien ne s’était passé comme elle l’avait imaginé plus jeune. Elle n’était en rien heureuse là-bas et le temps s’écoulait à une lenteur inimaginable. Elle avait donc saisie la première occasion pour s’enfuir et avait cessé de se battre bien rapidement pour cette vie qu’elle avait désiré au point d’abandonner les siens.

-A ton avis, demanda Carla en regardant les nombreux cageots de légumes commençant à moisir, il faut prévoir combien de kilos de nourritures pour pouvoir prendre le large ?

-J’en ai absolument aucune idée, ria la jeune sœur. Dieu pourvoira à nos besoins si jamais, j’ai confiance.

Et c’était vrai. Elle n’était en rien inquiète. Elle partait loin.

-On ne sert à rien dans cette histoire, remarqua la maman. Les autres sont toutes parties, et nous, nous sommes condamnées à devoir les attendre bien sagement.

Cette remarque énerva la sœur. Combien de fois avait-elle entendu dans sa vie qu’elle était inutile et qu’en se cloitrant de la sorte, elle serait comme morte aux yeux de la vie et de la société. Elle s’était tant battue et son combat n’était pas encore achevée, tandis que Carla la manipulait une nouvelle fois pour s’enfuir et retrouver sa vie d’antan. Elle ne s’était pas aperçue, malgré les décennies supplémentaires qui les séparaient, que Karmilla l’avait retiré de sa famille pour son bien et pour le bonheur de tous. D’elle-même avant tout.

Aux yeux de la sœur, chacun avait une place dans le monde. Tous ne pouvaient pas être de grands soldats, sinon qui s’occuperait de récolter les vivres ? Tous ne pouvaient pas non plus partir à l’aventure, qui continuerait à faire tourner le monde normalement ? De la plus petite violette, à la grande rose, chaque plante était utile aux yeux du Seigneur. Il en était de même pour les êtres humains.

-Tu penses à tout ce qu’on va voir dans notre vie grâce à elle ? Tu vas pouvoir vivre une vie que tu n’aurais même pas imaginé vivre car le faire seule parait complètement dingue. Mais ensemble. Rien n’est impossible ensemble Carla.

La vieille femme continuait de râler entre ses dents, mécontente. Elle savait que face à la sœur, elle n‘aurait jamais raison. Les autres se montraient moins dures avec elle. Même si elles étaient heureuses d’être ici, elles avaient au moins de la compassion pour celle qui se contentait de sa grise vie sans broncher, sans rêver à un possible ailleurs.

-Il y a une chose que tu ne peux pas comprendre en revanche, reprit Carla. Mes enfants me manquent. Ils étaient toute ma vie jusqu’à présent. Je n’ai jamais rêvé d’autre chose sinon que d’être avec eux.

Sœur Marie Madeleine explosa alors. Ses paroles jaillirent telles du venin :

-Et alors ? Tout le monde se fiche de tes marmots ! Et même eux, ils se fichent de toi. D’ici quelques années, ils tomberont amoureux et te laisseront seule avec un mari qui t’enterrera. C’est vraiment ça, la vie que tu veux ? Eh bien va-t-en alors. Je ne veux pas retenir quelqu’un qui a si peu d’ambitions près de moi.

Carla eut un sourire de satisfaction. La sœur se rendit aussitôt compte qu’elle avait fait exactement ce que sa compagne attendait d’elle. Sœur Marie Madeleine était furieuse après elle. Elle ne savait pas combien de personnes auraient aimé avoir cette opportunité. La mère ne se fit pas prier davantage. Elle prit ses jambes à son cou et regagna sa liberté tant désirée.

Une fois seule, sœur Marie Madeleine se rendit de nouveau face au crucifix qu’elle avait volé à l’église de proximité. Toutes ses émotions passaient par la croix. Elle se sentait même soulagée, consolée. Il n’y avait qu’à ces moments là qu’elle se souvenait des raisons qui l’avaient autrefois poussé à faire des vœux sacrés.

Elle rumina après Carla plus d’une journée durant. Comme si ça aurait pu la faire revenir. Mais le fait est qu’elle pouvait encore attendre longtemps. Dans l’obscurité de la nuit, elle serrait très fort son chapelet entre ses doigts, au point où elle eut les marques de la croix à tout jamais gravées sur sa paume. Elle était effrayée par la solitude. Mais Dieu ne laisse jamais ses brebis seules très longtemps.

Plus jeune, elle était la comblée de grâces. Le bébé de Dieu, la fiancée de Jésus. En son cœur, elle croyait qu’elle avait eu des miracles. Ceux qui n’avaient pas la foi, comme son père, se moquaient de ces bondieuseries pour lesquelles elle aurait donné sa vie. Mais elle ne s’était jamais laissé faire, n’abandonnant jamais ses principes, et sa foi, au grand drame de certains.

Une nuit, à l’âge de seize ans, un ange lui était apparu alors qu’elle dormait profondément. Même la nuit, elle adorait son Créateur à l’époque. L’ange la foudroya en plein cœur si bien que la jeune fille crut mourir d’amour tant elle souffrait. Elle n’avait jamais plus oublié. Elle se doutait qu’après avoir goûté à l’Eternel, un simple être humain ne pourrait la satisfaire. Tout comme la vie religieuse d’ailleurs. Tandis qu’on lui avait fait miroiter une vie simple mais chaleureuse autour de frères et sœurs, elle fut entourée d’autant d’hypocrites que d’égoïstes. La déception était complète. Elle en fut rapidement dégoûtée. A terme, on lui avait fait perdre le peu d’amour qu’elle éprouvait pour autrui.

Karmilla l’avait sauvé. Elle était la Providence. Tandis qu’elle se terrait dans sa funeste vie religieuse, elle lui avait fait comprendre que sa vie était loin d’être achevée. Elle fantasmait déjà sur son paradis céleste.

Elle vivait dorénavant aujourd’hui et maintenant, pleinement, avec son fiancé de toujours. Pourtant, elle demeurait si fragile.

Dès que l’aube se leva, elle quitta son nid douillé pour partir à la découverte des horizons. Elle n’y trouva pas son compte, pas un seul ami avec qui passer du bon temps. Mais elle récolta au moins son repas pour ce soir. Il était curieux de voir combien de gens changeaient de comportement face à une bure et une soutane alors qu’ils ne daignaient même pas faire l’aumône au plus pauvre d’entre eux. Par charité, la sœur offrit la moitié de sa miche de pain au paysan qui était quotidiennement assis aux portes de l’église. « Le paradis me le rendra » songea-t-elle.

Elle décida d’entrer de nouveau dans cette église. Le crucifix qu’elle avait volé avait bien vite été remplacé par un autre plus imposant mais plus coloré. Il surpassait tous les bancs. La sœur ne regrettait en rien ce méfait. Elle s’installa au premier rang afin de se reposer un petit peu.

Elle réfléchit de nouveau au sens que prenait sa vie. C’était quelque chose qu’elle aurait aimé ne plus jamais avoir à faire car cela signifiait qu’elle était de nouveau passive, qu’elle s’ennuyait. Elle rêvait de passer des journées si palpitantes que le soir, elle n’aurait pas eu le temps de penser à quoique ce soit tant le sommeil l’aurait gagné rapidement. Elle s’était trompée sur toute la ligne en devenant une contemplative.

Ses réflexions furent coupées par les pleurs d’un enfant. La jeune sœur écouta dans un premier temps le puissant nourrisson. Son cri aurait réveillé les morts. Après quelques minutes, l’enfant ne se calmait toujours pas. Elle décida d’aller voir ce qu’on lui faisait subir, prête à défendre la veuve et l’orphelin. « De toute manière, pensa-t-elle, ma prière est fichue maintenant. » Elle y allait sans grande miséricorde.

Aux portes de l’église, emmitouflées dans de grandes couvertures de laines colorées, reposait un nourrisson à la peau rougit par le froid. La place était presque déserte, hormis les pauvres qui continuaient de faire la manche et d’autres rares passants. La jeune sœur, crédule, cria :

-A qui est cet enfant ?

Le vent glacial fut le seul à émettre un son discret.

-Excusez-moi ma sœur, mais si quelqu’un l’a déposé ici, c’est pour le laisser aux mains de Dieu

-Un abandon ? répondit-elle étonnée.

On lui avait bien entendu parlé du rôle de l’Eglise lorsqu’arrivait l’impensable à ses yeux. L’acte d’abandon. Elle voyait ça comme un sacrilège, un refus d’un cadeau de Dieu. Elle n’avait jamais rien vu de la sorte pendant tout son parcours.

-Qui dois-je prévenir ? demanda-t-elle, dégoûtée.

-Prenez-le ma sœur. Et trouvez-lui une famille d’accueil plus correcte que sa famille de sang, lui conseilla-t-il en un clin d’œil.

Avant qu’elle n’aie eu le temps de dire quoique ce soit, il s’était volatilisé. Elle se retrouvait maintenant face à deux choix : soit elle repartait en abandonnant elle aussi le nourrisson, incertaine qu’il survive aux températures glaciales, ou à une vie difficile où il serait davantage vu comme un travailleur ou un esclave plutôt que comme un enfant. Soit, elle l’embarquait avec elle dans ses aventures.

Ce choix inenvisageable bousculerait sa vie à tout jamais. Regardant le nourrisson hurler, elle le prit dans ses bras. Le petit se calma aussitôt. Il avait besoin de quelqu’un. Lui non plus ne voulait pas être seul.

-Bonjour toi, murmura-t-elle. Je suis Sœur Marie Madeleine. Je suis ravie de te rencontrer aujourd’hui. Ta vie est un cadeau, tu feras le bonheur d’un grand nombre de gens.

C’était quelque chose qu’elle répétait régulièrement. Elle se surprit à le redire une fois encore. Ce temps prit dans l’église fut le dernier où la jeune sœur s’ennuya. Car quelque chose de Carla venait de la transformer. Elle était devenue un semblant de mère.

Ce soir, elle s’endormit non pas avec la froideur de son chapelet entre ses doigts mais avec la chaleur d’un nourrisson qui l’étreignait contre son cœur.

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