L'ascension au trône 6/6
Elle regarda donc la foule avec un sourire aimable, attendant patiemment que le calme revienne.
— Je dois avouer que je suis très émue par vos réactions, commença-t-elle. Bien que je ne sois pas mon père, j’espère que je serais à la hauteur de vos attentes. Sachez que je prévois de grandes choses pour notre royaume.
De nouveaux applaudissements s’élevèrent de la foule, qu’elle stoppa rapidement en levant une main.
— J’ai quelque chose à vous dire. Selon moi, une reine se doit de toujours être honnête avec son peuple. C’est pourquoi je souhaite me confier à vous.
Elle marqua une courte pause, s’assurant que tous l’écoutaient avec attention.
— Comme je vous l’ai dit, la relation que j’avais avec mon père était devenue conflictuelle depuis quelques années. Pas seulement à cause de son l’avenir qu’il prévoyait pour moi, mais aussi et surtout parce que j’avais un avis fort différent concernant les décisions qu’il prenait pour le royaume.
Elle fit quelques pas le long de l’estrade.
— Vous en êtes les premiers concernés, reprit-elle le ton soudainement glacial. Vous l’avez remarqué, les hivers se font plus longs, plus froids et plus rudes chaque année. Nous manquons de vivres comme de terres à cultiver. Vos parents, vos frères, vos sœurs ainsi que vos voisins meurent de froid. De notre côté, le trésor s’amenuise d’année en année, ne nous permettant même plus de commercer avec les autres royaumes pour faire face à la saison froide. Et que faisait mon père pour arranger la situation ? Absolument rien.
Elle se tourna vers la foule et regarda chacun des visages présents devant elle avec intensité.
— C’est pourquoi j’ai assassiné mon père.
Un silence de mort tomba dans l’assemblée. Certains se regardaient horrifiés tandis que d’autres continuaient de fixer la reine, comme paralysé par la stupeur. Le fond de l’assemblée avait détourné le regard. Ils murmuraient entre eux en observant avec intérêt l’homme étrange qui était monté sur la seconde estrade et qui semblait occupé à attacher d’épaisses cordes aux potences.
— Je lui ai enfoncé une dague dans le cœur alors qu’il me sermonnait de nouveau sur un sujet aussi futile qu’inutile, ma vie sentimentale.
Le peuple abasourdi par la nouvelle ne savait comment réagir. Les citoyens chuchotaient entre eux afin de s’assurer qu’ils avaient bien compris. Les murmures se transformèrent rapidement en protestations et arrivèrent aux oreilles de Lorenna.
— J’ai conscience que cela est choquant, mais, croyez-moi, je l’ai fait pour le bien du royaume, s’exclama-t-elle pour essayer de couvrir les contestations.
Lorenna savait que la situation ne tarderait pas à prendre en intensité et échapper à son contrôle.
Un homme lança soudainement une pomme qui rata Lorenna de peu. Les citoyens se trouvant au fond de la foule exhortaient les autres au calme, mais un autre suivi quelques instants plus tard avec une pierre qui toucha malencontreusement le prêtre Obson à l’épaule.
— Chienne ! s’écria un homme dans la foule.
— Traitresse au royaume ! cria une femme.
— C’est vous qu’on devrait assassiner, cria un autre.
Lorenna fronça les sourcils et fit un signe de tête aux soldats. Il fallait agir avant que toute la population se rebelle. Sur son ordre, ceux-ci s’engagèrent dans la foule. Certains décampèrent aussi loin qu’ils le purent en les voyant approcher. Ils firent sortir une demi-douzaine d’hommes et femmes qui insultaient la reine ou bien lançaient fruits et pierres dans sa direction. Ils furent poussés sans ménagement dans le coin droit de la cour.
C’est alors qu’ils comprirent ce qui les attendait. Le bourreau les observait approcher, le regard mauvais. Sur ordre de la reine, il avait profité de son discours pour installer les cordes sur les potences. Certains avaient compris depuis quelques instants ce qui était sur le point de se tramer. Le reste de la foule le comprit en même temps que les malheureux qui avançaient vers leur funeste destinée.
Les soldats les firent monter sur l’estrade et installèrent les cordes autour de leur cou.
— Nous regrettons reine Lorenna, supplia l’homme qui avait jeté la pierre. S’il vous plaît, ne nous pendez pas. Nous ne recommencerons plus.
— Je vous en conjure, ma reine. Que deviendront mes pauvres enfants sans moi ? pleurnicha une femme dans une robe sale.
Un autre était sur le point de supplier pour sa vie. À peine avait-il ouvert la bouche que le bourreau actionna le levier et la trappe sous ses pieds s’ouvrit.
Quelques cris d’effroi s’élevèrent de la foule, mais la majorité restait silencieuse. Horrifiés devant leurs amis ou voisins qui n’avaient même pas eu le droit à un dernier mot et qui étaient maintenant en train d’asphyxier au bout d’une corde.
Les pendus agonisaient toujours lorsque Lorenna reprit la parole, cette fois-ci avec fermeté.
— L’honnêteté envers son peuple est essentielle pour une reine. Je préfère donc être clair avec vous. Je ne suis pas mon père. Je ne serais pas aussi souple qu’il l’était, en revanche je prévois de grandes choses pour notre royaume.
Tous les yeux étaient à nouveau rivés sur elle et personne n’osait plus dire un mot.
— Je souhaite que notre royaume retrouve sa grandeur, clama-t-elle avec férocité. Nous ne serons plus victimes des affres de l’hiver. Nous ne serons plus un peuple faible. Nous serons forts et je compte sur vous pour être à mes côtés lorsque commencera l’expansion de notre beau royaume.
Tous semblaient interloqués par cette dernière phrase. Que ce soit la foule, les soldats qui se tenaient non loin ou même Lord Chamberlan et le prêtre Obson, tous étaient pantois. Une expansion du royaume de Warnhos s’accompagnait forcément d’une guerre entre royaumes. Et la guerre signifiait fatalement la fin de la paix.
Lorenna tourna vivement le dos à la foule et s’approcha de ses deux conseillers.
— Harold, Obson, rassemblez le conseil royal immédiatement. Nous avons du travail qui nous attend.
Sur ces mots, elle descendit de l’estrade et parti en direction de l’intérieur du château sans le moindre regard pour ses sujets.
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