Le cambriolage
Un magnifique crépuscule se préparait dans la paisible campagne. Seule une fourgonnette aux vitres arrières calfeutrées circulait sur un des chemins de terre. Sa conductrice était une jeune femme aux longs cheveux bruns retenus par une pince.
Sarah-Maëlle affichait un regard déterminé tandis qu'elle manœuvrait derrière un fourré. Dès qu'elle coupa le moteur, elle bondit hors de l'habitacle pour aller observer derrière les arbres. Un château se dressait là-bas, entouré d'un parc bien entretenu, de hautes grilles ouvragées, et de prairies à chevaux. À l'aide de jumelles la jeune femme vérifia la présence de vie. Les garages et les volets étaient clos. Sa prédiction s'avérait bonne : les propriétaires étaient absents.
Soulagée, Sarah-Maëlle alla ouvrir la porte latérale de sa fourgonnette. Un miaulement sonore l'accueillit.
— Tu peux aller te promener, minette. Ne t'éloigne pas, car je pourrais partir à toute vitesse !
La chatte tabby se frotta contre ses mollets pour lui signifier qu'elle avait compris et s'éloigna la queue à la verticale dans les hautes herbes.
L'intérieur de la fourgonnette avait été aménagé par les soins de sa propriétaire pour devenir un espace de vie. Dans un coin, une banquette pouvait se transformer en lit en un tour de main. À l'opposé, des rangements croulaient sous des livres plus ou moins récents. Certains s'habillaient de reliures en cuir usé autant par le temps que par les manipulations. Quelques colifichets agrémentaient les rangements de bizarrerie ; à eux seuls ils vaudraient la suspicion de tout gardien de la loi jetant un œil dans la fourgonnette. Enfin, dans la partie centrale, en face de la porte latérale, se trouvait un arrangement de cuisine.
Sarah-Maëlle se dirigea vers ses plaques de cuissons et retira l'assemblage précaire par lequel elle avait maintenu une marmite sur le feu durant la conduite. Cette décision risquée s'expliquait par le liquide frissonnant dans le récipient. Cette préparation devait mijoter longtemps pour être efficace.
La sorcière jeta un regard sur les chaudrons entreposés à côté, l'un deux en cuivre aurait été plus indiqué. Dans l'art des potions, les matériaux et leurs valeurs ajoutées jouaient un rôle non négligeable. La situation exigeait parfois des dérogations. Après tout, sa marmite en fonte lui venait de sa grand-mère, l'aspect valeur sentimentale jouait !
— Voyons où ça en est…
Bonne odeur, bonne couleur et un début de vapeur s'élevait en volutes prometteuses. Sarah-Maëlle avait étudié la magie et ses divers aspects en autodidacte, alors elle se satisfaisait de chaque réussite. Tandis que la mixture s'achevait à feu doux, la sorcière s'équipa d'un sac-banane en semi-cuir. Dedans, elle plaça une fiole préparée avant son départ, remplie d'un liquide semblable à de l'eau.
Elle fit glisser quelques gouttes d'une pipette dans ses yeux. La lumière grise de la tombée de la nuit devint plus claire, cette nyctalopie provisoire lui serait indispensable. Ensuite elle plaça un masque fin sur son visage qui brouillerait ses traits si d'aventure une caméra la filmait. Puis, elle enfila des gants pour camoufler ses empreintes, assez fins pour garder sa dextérité, et peu glissants pour garantir le maintient de sa baguette en bois. Un foulard enroulé sur ses cheveux compléta son accoutrement.
Sarah-Maëlle grimaça en sentant ses tennis noires lui serrer les orteils, elle qui aimait tant se balader pieds nus. Et son pantalon en matière souple lui donnait l'impression d'avoir les jambes dans des entonnoirs, vivement qu'elle puisse remettre une jupe longue et ample !
Bref, l'action que s'apprêtait à entreprendre Sarah-Maëlle n'était pas de gaité de cœur.
Une fois la potion dans la marmite achevée, elle la versa dans une petite bouteille qui rejoignit la fiole dans son sac ventral. Elle y plaça encore une bille et quitta la fourgonnette sous l'œil concupiscent de la lune.
Franchir la grille représentait une tâche des plus aisées, en un tour de baguette la sorcière masquée la rendit molle. Elle parcourut à pas de loups la pelouse devant le bâtiment du château accessible au le public. Il s'y trouvait, au sein d'une collection hétéroclite, une relique mortuaire dont Sarah-Maëlle voulait s'emparer. Ce n'était pas un vol, non, juste une récupération d'un artefact qui méritait d'être mieux exploité.
La porte n'offrit guère plus de résistance. Dans son entrebâillement, Sarah-Maëlle laissa couler sa potion longuement mijotée. Au contact du sol, elle se sublima en une brume qui la masquerait à la vue du système de surveillance en allant s'accumuler sur les appareils électroniques. La sorcière pénétra dans le bâtiment et remonta le couloir jusqu'à la pièce de la collection. Elle avait pris soin de visiter officiellement le manoir une semaine plus tôt. Un coup de baguette et elle entra dans une salle de taille moyenne embrumée. Des présentoirs cachaient les murs à la vieille tapisserie, remplis de trouvailles accumulées par les ancêtres du châtelain.
Une étagère, au centre de la salle, présentait l'objet de la convoitise de Sarah-Maëlle. Elle s'en approcha et ouvrit la vitre – la baguette magique : la clé passe-partout de la sorcière ! Différents objets mystiques s'offraient à elle, des médaillons de saints, une relique ouvragée contenant une phalange de martyr, une flûte en os et surtout un globe oculaire conservé dans un flacon de formol. Sarah-Maëlle l'avait tout de suite repéré. Les ondes magiques de sa vénérable propriétaire émanait avec force de la relique malgré le récipient et son liquide.
Le cœur de la sorcière battait tellement qu'elle l'entendait résonner dans la salle. Elle ouvrit le flacon avec ses doigts fébriles et ressentit comme une décharge électrique lorsqu'une voix s'éleva derrière elle :
— Je me disais bien que tu reviendrais ici !
Manquant de peu de lâcher sa prise, Sarah-Maëlle se retourna pour faire face à une femme négligemment appuyée contre le chambranle de la porte. L'air suffisant, les cheveux courts et vêtue d'un ensemble en jean. Elle portait des gants en cuir et tenait une fine baguette à la main droite.
(à suivre…)
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