Chapitre 2 : à l'ombre des colonnes

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 Sous un ciel constellé d’étoiles, Bralthas grattait distraitement les cordes de son luth, accompagné par le crépitement des flammes devant lui. Il tâtonnait en écoutant les notes produites par son instrument dans l’espoir de trouver un accord ou un début de mélodie qui sonnerait agréablement à ses oreilles. Au bout d’un moment, il crut en trouver une. Avant que l’air ne s’évapore de son esprit, il tapota le cristal qui ornait le manche de son luth. Les multiples facettes de la gemme commencèrent à émettre une douce lumière bleutée. Le barde reproduit sans plus tarder les quelques notes en rajouta de nouvelles et essaya de poursuivre sa composition.

 Tout en créant cette nouvelle musique, son regard fut attiré par les légers balancements de tête de Torkos qui se trouvait de l’autre côté de leur petit feu de camp. Le maître d’arme d’âge mûr semblait pourtant imperturbable, trop occupé à dépecer leurs anciens ennemis pour les transformer en repas. En plus d’être très concentré sur sa tâche, Bralthas se fit encore une fois la remarque que le quarantenaire paraissait plus calme et plus paisible que lors de leurs combats. Il reporta son attention sur son luth avec cette pensée en tête lorsque qu’une voix se fit entendre derrière lui :

 - C’est bon ! J’ai enfin trouvé du bois pour le feu !

 Bralthas se retourna et vit Carthankos sortir de derrière la tour rocheuse prêt de laquelle ils étaient installés. Torkos leva lui aussi la tête et lui intima de déposer ce qu’il avait dans les bras près du feu. L’épéiste s’exécuta puis s’étira longuement, surement autant pour l’aller-retour qu’il venait de faire que pour le combat qu’ils avaient mené quelques heures plus tôt. Il s’assit à même le sol avant de tourner la tête dans toutes les directions. Lorsqu’il sembla avoir enfin trouvé ce qu’il cherché, il interpella son ami :

 - À ce que je vois notre cheffe est encore occupé ? dit-il en pointant du doigt un petit monticule de terre qui se trouvait à une cinquantaine de mètres d’eux.

 Le jeune barde releva la tête et suivit le regard de Carthankos. Au loin, il pouvait voir la silhouette de Lanastrya se découpe sur l’horizon. Il maintint ses yeux dans sa direction pour l’admirer, peut-être un peu plus longtemps que ce qu’il aurait voulu, avant de revenir vers son ami. Il voulut répondre quelque chose, mais Torkos le prit de court :

 - Laisse-la profité de sa tranquillité. En tant que jeune arumentare, elle a encore besoin de temps pour appréhender pleinement ses pouvoirs élémentaires. D’autant plus que je lui demande de ne pas les utiliser quand on combat ensemble. Pour une fois, j’avais cru qu’elle m’avait écouté …

 Il laissa sa phrase en suspend tout en lâchant un long soupir. Bralthas sourit en repensant à la dernière attaque que la jeune lancière avait exécuté avant de retourner à sa composition. Mais cette fois-ci il laissa ses pensées errer librement au sujet des Arumentars.

 D’après les récits qu’il avait lu par le passé, leur première apparition lors de la Guerre des Cinq Races était la solution des quatre dieux Majeurs pour contrer les dieux Noirs et leur armée innombrables de forces démoniaques. En opposition à ces dernières, les Arumentars n’étaient que quatre, un pour chacune des quatre races créés par les dieux Majeurs il y a bien longtemps. Ils étaient certes ridiculement peu nombreux, mais ils possédaient cependant un potentiel dévastateur, des pouvoirs incommensurables en lien avec l’attribut de leurs dieux : eau, terre, air et feu. Contrairement à n’importe quel autre magicien ou adepte de la magie, ils pouvaient invoquer leurs pouvoirs sans passer par une quelconque forme d’incantation, car ils ne faisaient qu’un avec leur élément respectif. Leurs puissances étaient telles, que c'est grâce à eux que la Guerre fut gagnée et que tout l’Empire de la Tétrade, l’ensemble du monde connu, retrouva enfin la paix. Il restait certes encore des forces de dieux Noirs éparpillé un peu partout dans la nature, mais le plus gros de leurs forces fut réduit au silence et les cinq races purent retrouver une vie paisible, après plus de trois cents ans de combats. La tristesse frappa cependant l’ensemble des peuples lorsque les héros qu’étaient les Arumentars décédèrent les uns après les autres de vieillesse. C’était il y a deux siècles. Depuis, deux autres générations d’Arumentars furent choisis par les dieux pour continuer le combat de leurs prédécesseurs en venant à bout des forces démoniaques restantes.

 Quant à Lanastrya, elle faisait partie de la quatrième génération. Bralthas n’avait pas été là lorsqu’elle avait découvert qu’elle était porteuse de telles pouvoirs un an auparavant. Carthankos lui avait raconté que c’était quelque chose de magnifique, qui dépassait l’entendement … mais qui avait aussi été source de tracas pour une personne en particulier que le jeune barde n’avait pas eu la chance de rencontrer.

 - Hey ! c’est plutôt pas mal ça.

 Bralthas sortit de sa rêverie en entendant son ami. Sans s’en rendre compte, il avait continué de gratter les cordes de son luth au rythme de ses pensées, donnant une balade qui évoquait tout ce qu’il avait ressenti. La gravité des combats de la Guerre ; la mélodie des Arumentars ; les notes d’espoir qu’il offraient aux peuples ; le requiem de ces héros ; le renouveau qu’offraient les nouvelles générations ; son admiration qu’il avait pour Lanastrya dont il avait la chance de voir au combat.

 Tout en repensant à ce qu’il venait de composer il observa le cristal sur son instrument dont la douce lumière bleutée continuait d’oscillait au rythme de la musique qu’il y avait enregistré grâce à sa magie. Bralthas le retira et le fit tourner au creux de sa main.

 Ce genre de gemmes était une découverte récente mais qui était arrivée assez vite chez eux. Elle permettait de sauvegarder magiquement les sons produits par l’instrument sur lequel elle était fixé. Il n’avait plus qu’à laisser glisser un peu de sa magie de ses veines vers le cristal pour réécouter l’air. Il s’en imprégna une nouvelle fois avant de le décrocher et de le jeter dans le feu, insatisfait. Carthankos faillit s’étrangler, lorsqu’une voix leur parvint :

 - C’est dommage, je n’ai entendu que la fin, mais cela semblait très bien cette fois-ci.

 - Ah ! Je suis bien d’accord avec toi Lana, parvint à articuler l’épéiste.

 Bralthas sursauta en entendant la jeune arumentare approcher. Il sentit ses joues changer de couleur, mais ce devait être à cause du feu, il ne voyait pas ce que cela pouvait être d’autre.

 - Je … non … Non, ça n’allait pas. Il y avait des notes qui marchaient mal ensemble.

 Lanastrya soupira et vint s'asseoir devant le feu. Elle tendit la main vers celui-ci pour mieux en ressentir la chaleur. Elle pouvait parfaitement visualiser l’énergie qui s’en dégageait. Si elle le voulait, elle aurait pu en prendre le contrôle et le modeler à sa guise. Au lieu de cela, son attention était attirée avec une certaine lassitude par de faible scintillement bleuté qui persistait au fond des flammes. Elle soupira encore une fois devant la sensation de déjà-vu qui lui revenait. Elle s'écarta doucement du feu et s’adressa à Torkos :

 - Qu’est-ce que ça donne cette viande de rouleur ? Tu es sûr que c’est comestible ?

 Pour toute réponse, il lui tendit plusieurs cuisses de rouleur écailleux, chacune plantée sur une branche. Le maître d’arme l’invita à les approcher du feu pour les faire cuir. Lanastrya les attrapa et les distribua à ses deux autres compagnons pour que chacun puisse s’occuper de la sienne. En attendant que leur repas soit prêt, Carthankos voulant casser le silence qui allait s’installer, engagea la discussion :

 - Hey Lana, la dernière attaque que tu a faite tout à l’heure, c’est la première fois que tu en fais une aussi puissante ?

 - Les méthode de Messire Torkos semblent porter leurs fruits, fit-elle en lançant un regard en coin au maître d’armes. Plus sérieusement, je sens que je peux puiser de plus en plus d’énergie magique de mon Âme et j’arrive de mieux en mieux à la canaliser. Pour une fois, j’avais envie de tester ce que ça pouvait donner en plein combat.

 Elle porta son regard vers Torkos pour voir sa réaction. Elle s’attendait à ce qu’il montre un signe d’exaspération car elle n’avait pas suivi ses consignes. À la place, il leva ses yeux vers elle et lui dit dans un souffle :

 - Elle serait si fière de toi.

 En entendant cette réponse inattendue, Lanastrya se crispa imperceptiblement et porta sa main sur le foulard attaché à son bras, celui qui, autrefois, appartenait à sa grande sœur. À côté d’elle, elle vit Carthankos perdre un peu de sa jovialité habituelle. Quant à Bralthas, il semblait quelque peu désorienté. Il devait avoir compris que cette simple phrase avait installé une certaine gêne, il était cependant probable qu’il ne sache pas de qui Torkos parlait. Elle ne lui en voulait pas d’avoir évoqué le sujet, elle avait décidé d’aller de l’avant. Même s’il persistait une part de doute caché dans un coin de son cœur. Pour chasser cette pensée, elle sauta sur ses deux pieds sous le regard surpris de ses compagnons et elle s’adressa au maître d’armes :

 - J’imagine bien. Et c’est pour ça que nous allons continuer de nous entraîner pour nous améliorer et être reconnu auprès des autres races, déclara-t-elle aux deux autres d’un ton encourageant. Demain nous rentrons à Voltraf pour nous reposer quelques jours. Profitez-en bien parce que j’ai le sentiment que notre prochaine mission sera des plus ardues.

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