Premier matin

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Un chapitre / Une musique

New year's wish · Perry Blake

https://www.youtube.com/watch?v=JfTKGPhhA64

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Dimanche 12 juillet 1981.

Les rayons du soleil pénètrent à travers l’encadrement des volets en bois. Où suis-je ? Quelques secondes d’étonnement à l’écoute du chant des oiseaux. Une odeur boisée me chatouille les narines. Je m’étire lentement. Je n’ai Jamais aussi bien dormi depuis longtemps. Si d'ordinaire, j’avais du mal à me lever, mon nouvel environnement de vie en a décidé autrement. Je bondis hors du lit. Mon érection forme une bosse dans mon pantalon de pyjama. J’attrape mon sexe dur et chaud. Je regarde la porte de ma chambre. Celle-ci n’est pas verrouillée. Pas de clef dessus. Je ferais mieux de remettre mon désir à plus tard. Je préfère rester prudent vis-à-vis de mes parents.

J’ouvre en forçant un peu la porte-fenêtre et rabats les volets. Sur le balcon, je m’appuie à la rambarde rouillée. La vue qui s’offre à moi est si surprenante, comparée à Paris ! Le tilleul en fleurs frémit au gré des branches et des feuilles qui se chevauchent, libérant un parfum entêtant. Au-dessous de moi, l’abri de la cuve à fioul. À l’angle gauche du mur, une grosse gouttière en cuivre. De l’autre côté, la terrasse où vient se poser durant quelques secondes, un petit oiseau. Il s’envole presque aussitôt. Il a dû sentir ma présence. Je reste quelques minutes à profiter du calme en fermant les yeux. Le soleil chauffe doucement mon visage.

Je sors de ma contemplation et descends le grand escalier. Il grince sous mes pieds, comme s’il me souhaitait la bienvenue. Je souris de ma réflexion complètement ridicule et fantaisiste. Dans la cuisine, je retrouve mon père assis à table, une tasse de café à la main. Ma mère au-dessus de l'évier, nettoyant une pile d’assiettes.

— Oh mon chéri, te voilà. Tu as bien dormi ?

— Oui très bien, et vous ?

Je devine la réponse en les regardant. Les cernes sous les yeux de mon père et la ride qui ne quitte plus le front de ma mère, indiquent que leur nuit a dû être très différente de la mienne.

— Il y en a qui ont eu de la chance. Ta mère n’a pas arrêté de se lever. Au moins cinq fois pour vérifier si la porte d’entrée ou je ne sais quelle fenêtre étaient bien fermées. Sans compter les nombreux bruits suspects, et autres fantômes qui hantent ce château, dit-il d’un ton moqueur.

Ma mère se retient de répliquer. Je ne sais pas comment mon père fait pour paraître aussi détendu malgré la dispute qu’ils ont eu hier soir après notre dîner. Ma mère a même versé quelques larmes, le maudissant de lui avoir menti sur l’état de la maison.

Quitter notre bel appartement parisien pour se retrouver en pleine campagne est désormais une réalité. Malgré le mensonge de mon père, j’ai refusé de soutenir ma mère ou de prendre part au conflit de quelque manière que ce soit. Car ma première impression sur cette maison est que le temps semble s'être arrêté. Loin du tumulte du monde. Moi qui pensais qu'il allait me falloir des semaines avant d’accepter mon nouveau sort, je me surprends à trouver cette vieille demeure rassurante et protectrice.

Je suis courbaturé de partout. Nous avons passé l’après-midi d’hier à ranger les deux camions. Il reste tant à faire.

— Assieds-toi mon chéri, je t’apporte ton bol de lait. Désolé, je n’ai pas trouvé tes céréales. Il faudra te contenter des biscottes et de la confiture.

Elle me les dépose devant moi, avec une assiette et une petite cuillère.

— C’est parfait. Merci.

Mon père me regarde en ébouriffant mes cheveux. Je suis surpris de son geste, comme si la nature de la campagne apaisait son caractère. Je ne peux pas m'empêcher de me crisper, me concentrant plutôt sur ma tartine.

— Je suis content si tu as bien dormi fiston. Que dirais-tu d’aller me chercher le journal au village ? Monsieur Latour m’a dit qu’on y était en moins de vingt minutes.

— Mais Charles, laisse lui le temps de prendre son petit-déjeuner ! dit ma mère, avec un agacement affiché.

Mon père me gratifie d’un clin d'œil.

— Je suis sûr qu’Alexandre se fera un plaisir d’y aller. Surtout avec ce qu’il l'attend dans l’entrée.

Je le regarde, dubitatif. Il me sourit, ravi de me surprendre. Je bondis de ma chaise et ouvre la lourde porte en chêne. Et là, devant moi, un vélo rutilant, tout neuf. Je n’en reviens pas.

— Alors qu’en dis-tu ?

— C’est pour moi ? Mais comment avez-vous fait ? je dis bêtement.

— Tu n’as pas besoin de tout savoir. C’est notre cadeau pour ton anniversaire avec un peu d’avance.

Ma mère vient de nous rejoindre, un torchon à la main. Je saute au cou de mon père. Pourquoi est-ce que je m’autorise ce geste d'affection démesuré ? Surpris tous les deux, j’évite son regard. Je remonte quatre à quatre les escaliers et m’engouffre dans ma chambre. J’ouvre une valise au hasard dans laquelle je trouve, comble de chance, un bermuda bleu marine et un polo. Et j'attrape des sous-vêtements dans le premier tiroir d’une commode que j'ai commencé à remplir hier. Je profite du lavabo installé dans un coin de ma chambre pour me débarbouiller le visage, puis je m'habille en vitesse. Je redescends, embrasse ma mère sur la joue, et enfourche mon vélo avec lequel je fais plusieurs grands cercles dans l’allée. Il possède trois vitesses.

— Il est génial, vous êtes fous ! J'adore qu'il y est devant un petit panier pour les courses !

Mes parents me regardent, sourire aux lèvres, mon père entourant de son bras les épaules de ma mère. Un bref moment de paix entre eux. Peut-être l'un des derniers que j'aurais l'occasion de voir.

— Tiens, attrape, me lance mon père. Une petite bourse en cuir atterrit dans mes mains.

— Tu auras largement de quoi acheter le journal et une baguette de pain. Sois prudent sur la route.

Je suis si heureux à cet instant. Je range la bourse dans la poche de mon bermuda, les salue en actionnant la sonnette et franchis le portail. Je tourne à droite et commence à filer dans la rue des cascades qui n’en a bien que le nom. C’est plutôt une sorte de chemin dont on peut percevoir les restes d’un gravillonnage, bordé d’herbes folles. Je surplombe le village dont j'admire les toits des maisons enchevêtrées et le clocher de l'église. Il est entouré d’une ceinture verdoyante d’arbres. Quelques centaines de mètres plus loin, une vieille maison de pierre où trône dans la cour, du linge étendu sur un fil. C’est notre seule voisine, nous a prévenu le maire, hier. Je dépasse la maison à toute allure, et profite de la pente qui s'offre à moi. Je ne sais pas où je vais, mais je prends avec joie un premier virage puis un deuxième. De chaque côté de la route, les branches et les feuilles des arbres de la forêt me cachent du soleil et me rafraîchissent la peau. Je hume avec douceur des senteurs humides et boisées. Je continue bientôt en ligne droite jusqu’à reconnaître l’entrée d’un bourg. J’arrive sur la place de l’église sur laquelle je trouve sans difficulté réunis, la mairie, la boulangerie et le bar-tabac “Les Cascades”. Je dépose mon vélo contre le mur, ajuste correctement mon polo dans mon bermuda et entre dans l’établissement.

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