Mazurka
Un chapitre / Une musique
Passengers - Bruno Bavota
https://www.youtube.com/watch?v=38jVigSpVHw
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Samedi 18 juillet 1981.
Je me suis réveillé ce matin avec une érection du tonnerre ! Merci Lucas ! Impossible de résister au plaisir de commencer à jouer avec mon sexe. Mon père frappe à la porte, en me disant qu’il est temps de me lever. Départ dans trente minutes. Imitant une voix endormie, je lui réponds que j’arrive. J’attends quelques secondes, le temps de l’entendre s’éloigner. Tant pis si nous sommes un peu en retard. Je reprends là où j’en étais. Je m’imagine, mes bras autour du cou de Lucas, le couvrir de baisers. Il répond avec avidité, en m’embrassant, lui aussi. Il me faut moins de deux minutes avant de jouir sur mon ventre. Cela fait trop du bien !
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Nous sommes samedi 18 juillet. Il est tout juste huit heures. Vous écoutez RTL. Tout de suite les actualités de cette matinée. Nouveau rebondissement dans l’affaire du vol de la bijouterie parisienne Lagrange. Incarcérés, il y a quelques jours seulement, un des frères Colombani, David Colombani s’est déjà échappé, très tôt ce matin, de la prison de Fleury-Mérogis. Il est fort à parier qu’il va essayer de disparaître, sans laisser de traces. La police est déjà en alerte afin d’identifier les éventuels complices, disposés à lui apporter leur aide. C’est une véritable chasse à l’homme qui vient de commencer à travers tout le pays.
Ma mère éteint le poste de radio.
— Ils n’en ont pas assez avec cette affaire de bijouterie ! Allez, dépêche-toi, Alexandre, ton père va descendre d’une minute à l’autre.
— Oui, oui, ça va, laisse-moi finir mon café ! Nous ne sommes pas à l’armée, à ce que je sache ! dis-je, énervé.
Ma mère sait que j’en veux à mon père, une fois de plus. C’est pour cette raison qu’elle ne me reprend pas pour lui avoir parlé avec brusquerie. Hier soir, alors que je me brossais les dents, mon père m’a informé qu’il aurait encore besoin de moi au cabinet. Après tout ce qu’il nous a raconté depuis trois jours sur son installation, je ne sais pas en quoi je vais pouvoir lui être utile. Une fois encore, je n’ai pas mon mot à dire.
Quand je repense à hier, cela me console en partie. Il faut bien l’avouer, cet après-midi à la rivière avec Juliette a été d’un ennui mortel. Sous ses airs de ne pas y toucher, Juliette s’avère être une vraie allumeuse. Ce genre de fille me met mal à l’aise. Pourtant, je la plains. Elle ne devrait pas se comporter comme ça. J’espère qu’elle a réalisé que je n’entrais pas dans son jeu. Lors de notre retour, elle n’a pas pu comprendre la vraie raison de ma soudaine bonne humeur. Une fois à la pharmacie, je l’ai remerciée, ainsi que sa mère, pour cette idée de promenade. Madame Leduc était aux anges. Un petit sourire de satisfaction s’est formé sur mes lèvres.
Je suis encore dans mes pensées quand soudain, j’entends une tasse de café tomber sur le sol.
— Regarde ce que tu me fais faire, Charles ! Tu ne vois pas que tu vas me rendre folle !
Mon père s’impatiente en regardant l’heure.
— Oui, c’est ça, pars avec ton fils, au lieu de le mettre au courant, crie ma mère.
— Vas-tu arrêter, à la fin, Françoise !
Mes dents se crispent. Je regarde alternativement ma mère puis mon père, attendant l’explication qui ne vient pas.
— Alexandre, qu’est-ce que tu attends, on y va !
Je connais le ton de sa voix. Il est définitif. Impossible de demander ce que je devrais savoir et que mon père s’obstine à me cacher. Ce matin, je n’ai pas envie de subir ses foudres, alors je préfère embrasser ma mère et partir avec lui.
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Nous sommes de retour en fin de matinée. Résultat, j’ai perdu mon temps à nettoyer le placard de médicaments qui avait visiblement déjà été nettoyé, et lu des revues médicales auxquelles je n’ai rien compris. Je suis encore plus en colère contre mon père. Ma mère fredonne en cuisinant. Que nous vaut cette bonne humeur ? Dès qu’elle me voit, elle s'empresse d’enlever son tablier. Elle regarde mon père avec un sourire. Il semble comprendre sa signification.
— Alexandre, ferme les yeux, me dit-elle.
Qu’est-ce qui leur prend ? Je les ferme et me laisse prendre par la main. Vu la direction dans laquelle on m’emmène, nous nous dirigeons vers le salon. On me fait asseoir sur un siège. À peine ai-je posé mes fesses dessus que je devine ce dont il s’agit. J’ouvre les yeux. Mon cœur fait immédiatement un bond de joie. Il est là devant moi. Mon beau piano. Je comprends aussitôt pourquoi mon père voulait m’éloigner de la maison ce matin. Mais cela n’explique toujours pas les raisons de leurs sous-entendus, soit dit en passant.
J’ouvre le couvercle, pose mes doigts sur les touches. Les notes qui en sortent me réchauffent le cœur. J’ai envie de pleurer, tellement je suis ému. Il n’a pas l’air désaccordé. Il est tout juste parfait. Je me lève et monte quatre à quatre les escaliers pour aller chercher mon recueil de partitions. Je tourne frénétiquement les pages pour m’arrêter sur la Mazurka en ré mineur, opus.39, no.11 de Tchaïkovski. Il n’y a que ce morceau qui puisse refléter la joie de ce que je ressens à cet instant. Mes parents me regardent attendris. Ils aiment quand je joue. Seule la musique a le pouvoir de nous réunir.
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