Blessure

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Un chapitre / Une musique

Lulled By Numbers - IAMX

https://www.youtube.com/watch?v=UmI4BxV4aCQ&list=OLAK5uy_kNROe_l15pNwijyul8AZIunXLSeXyzEV8&index=4

*

Jeudi 23 juillet 1981.

Même avec les volets fermés, dès le matin, il fait horriblement chaud dans la maison. Je suis torse nu, en simple short, allongé sur le canapé. Ma tête me lance. Mon arcade sourcilière gauche me fait un mal de chien. Je suis courbaturé de partout. Les frères Desbois ne m’ont pas loupé. J’ai réussi à leur mettre deux trois coups de poing, mais pas assez pour qu’ils ressemblent à ce que je ressemble, c’est à dire, à pas grand chose. Je ne sais même pas ce qu’est devenue Juliette. Elle a dû partir pendant que nous nous battions. Ils m’ont laissé, allongé par terre, à reprendre mon souffle comme un buffle. J’ai mis des plombes pour revenir au village. Heureusement, qu'avant de retourner chez moi, le docteur Dumont a pu me prendre en urgence !

On frappe à la porte. Qui est-ce qui vient me faire chier ? Patrick, avec un autre recommandé de la poste ? Je me lève péniblement et ouvre.

— Qu’est-ce que tu fous là ?

Je regrette aussitôt le ton de ma voix.

— C’est peut-être pas le bon moment…

Je suis content de le voir. Je me radoucis.

— Tu déconnes, c’est cool que tu sois là ! Passe par le portillon pour mettre ton vélo dans la cour. Je te rejoins par le garage.

Comment Alexandre a-t-il fait pour savoir où j’habite ?

— Vas-y entre. Fais pas gaffe au bordel.

On slalome entre les cartons, un pack d’eau et un tas de linge informe. On se retrouve dans le salon. Je le fais asseoir dans un fauteuil.

— Tu m’en veux pas si je reste allongé ? dis-je, en grimaçant, lorsque je pose mon dos contre le dossier du canapé.

Alexandre a l’air inquiet de me voir dans cet état.

— J’imagine que ton père t’a dit que j’étais passé le voir à son cabinet.

— Oui.

— Il t’a filé mon adresse, c’est ça ?

— Non, pas franchement.

Je sens à sa réponse que ça n’a pas l’air d’être le grand amour entre eux. Je l’avais déjà remarqué le jour de leur arrivée.

— J’ai harcelé la pharmacienne qui a bien voulu me dire où tu habitais. Qu’est-ce qui t’es arrivé ?

— Elle a voulu se faire pardonner, celle-là. Quand elle m'a vu arriver avec mon arcade en sang, elle m’a vite fait les premiers soins, comme si j’étais un pestiféré, avant de m’envoyer voir ton père. Si j’avais pu m’en passer. Bref. Tu me croiras pas si je te dis que je me suis pris une porte ?

— Non, effectivement.

— J’ai pas très envie d’en parler, si tu veux bien.

Je vois qu’il est déçu par ma réponse, mais il n’a pas le choix.

—J’aurais préféré que tu ne me vois pas dans cet état.

Il sort quelque chose de son sac à dos.

— Tiens, je t’ai apporté une pommade cicatrisante et apaisante.

Ce garçon est trop gentil.

— Fallait pas. Mon dos accepte volontiers et te remercie. Mon père a refusé de m’en acheter. C’est pour les femmelettes selon lui. Je n’ai droit qu’à du doliprane. Merci beaucoup.

Je vois Alexandre hésiter.

— Si tu veux, je t’en passe sur ton visage et dans le dos, ça ne va pas être pratique pour toi, sinon.

— Heu… oui, c’est clair. Ce n’est pas mon père qui le fera de toute manière ! dis-je avec un rire forcé. Je suis un peu mal à l’aise. Mais je n’ai pas la force de refuser, c’est si gentil à lui.

— Assieds-toi sur un tabouret, tu seras mieux, je pense, dit-il.

— A vos ordre, docteur !

Alexandre lève les yeux au ciel, en souriant. Il prend une chaise et s'installe devant moi. Il dévisse le bouchon de la pommade. Il en met un peu sur le bout de son doigt, s’approche de moi, tremble légèrement. Je sens le contact froid de la pommade sur ma peau. Je grimace. Nos visages sont très prêts l’un de l’autre. Ses yeux marrons si expressifs me fixent intensément. Je suis troublé, sans savoir réellement pourquoi.

— Pardon, je te fais mal ?

— Non, c’est juste qu’au début, ça fait un peu froid.

Il s’applique à étaler délicatement la crème sur mon arcade endolorie.

— Mon père ne m’a même pas dit qu’il avait été obligé de te recoudre ! Ça tire pas trop ?

— Si, terriblement.

— Les trois points sont faits proprement. Tu ne devrais pas avoir de cicatrice trop visible.

— Entre le père et le fils, je suis entre de bonnes mains alors ! dis-je, pour le faire rire.

Il m’offre un sourire timide. Ses joues sont encore rouges, comme si je l’intimidais. Ou est-ce qu'il est gêné, comme moi ?

— Tourne-toi maintenant, s’il te plait, que je m’occupe de ton dos.

Je sens ses doigts glisser sur mon épaule gauche, puis sur l'autre. Descendre sur mes omoplates. Parcourir doucement ma colonne vertébrale, pour finir dans le creux de mes reins. Je soupire d’aise.

— Aaaah, ça fait trop du bien. Merci beaucoup.

Une fois la pommade appliquée, je sens ses mains revenir sur mes épaules qu’il commence à masser.

— Laisse toi faire, tu es tout tendu.

— Qu’est-ce-que ça fait du bien, putain ! T’es doué. T’as appris ça où ?

— Faut bien que ça serve parfois d’avoir un père docteur, non ?

Je courbe le dos et m’abandonne à ses mains expertes. Elles sont magiques.

— Voilà, terminé, ça devrait te détendre !

— Je te remercie, vraiment.

— De rien.

— Je crois que je vais me rallonger un peu.

— Vas-y ! Le massage va te détendre, je pense. Tu veux de l’aide ?

— Non, ça va merci.

A peine me suis-je allongé sur le canapé que je me mets à bailler.

— Je suis vraiment désolé, mais je crois que je vais faire un petit somme, si ça ne t'embête pas.

— Mais non, bien évidemment !

Je suis vexé pour la sortie que nous avions prévue.

— C’est raté pour retourner à la rivière, on dirait !

— Ça sera pour une prochaine fois, ne t’inquiète pas, dit-il, en posant sa main sur mon bras. Je sens sa chaleur. Son geste est doux. Son regard aussi.

— Je repasserai demain pour voir comment tu vas, ok ?

— Non, ça ira merci. T’as sûrement autre chose à faire.

— Je ne te laisse pas le choix. Ordre du médecin Dumont fils ! dit-il en riant.

Je ris à mon tour, mais ça me lance dans les côtes. Je n’aurais pas dû.

— Ça va aller ?

— Oui, t’inquiète, c’est vraiment gentil à toi d’être passé me voir. J’apprécie. Je ne te raccompagne pas. Tu connais la sortie.

— A demain.

Je le vois sortir par le garage. Je soupire de bien être. Ça fait si longtemps que quelqu’un ne s’est pas occupé de moi comme ça, tout simplement. Bientôt mes yeux se ferment et je m’endors sans même m’en rendre compte.

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