Église
Un chapitre / Une musique
Rosemary’s baby - Main title - Kryzsztof Komeda
https://www.youtube.com/watch?v=squlsSsjP6M
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Dimanche 26 juillet 1981.
Nous sommes dimanche matin. Me voilà de nouveau dans l’église de Saint-Amant-La-Rivière, coincé entre ma mère et Juliette, assis sur une chaise bancale. J’ai l’impression d’avoir encore plus froid que dimanche dernier. La fatigue sûrement. Je fulmine d’être ici en me faisant la promesse que c’est la dernière fois.
J’ai encore un peu mal à la tête. Je n’ai pas l’habitude de boire de la bière comme ça. Je ne pense pas avoir été ivre, si ce n’est de joie d’avoir passé ma soirée avec Lucas. Je suis content d'avoir eu le courage de lui parler de mes parents à cœur ouvert. J’ai été honoré qu’il se livre, lui aussi. Entre son père et l'absence de sa mère, je ne mesure pas ce qu’il vit chez lui. Je n'ai pas osé lui demander plus de détails. J’étais si bien à ses côtés. Est-ce vraiment moi qui ait voulu lui avouer mes sentiments ou bien est-ce l'abus d’alcool qui en est la cause ? Il va falloir que je sois plus prudent à l'avenir, car je n'ai pas envie de gâcher notre amitié naissante. En serai-je capable ?
— Tu m'écoutes, Alexandre ?
Je regarde Juliette en souriant.
— Heu, oui bien sûr. Tu disais ?
— Ok, je vois. T’as rien écouté, en fait ?
— Excuse-moi, Juliette, je ne suis pas très réveillé ce matin.
La moue qu’elle me fait m'horripile. Pourquoi n’arrête-t-elle pas de parler ?
— Je te disais que je te déconseille de le fréquenter… Enfin si tu en avais l’intention.
— Mais tu parles de qui ?
Juliette écarquille les yeux. Mais ce n’est pas en réponse à ce que je viens de dire, c'est à cause des frères Desbois qui viennent d’entrer. Je la vois soudain très mal à l’aise.
— Ça va, Juliette ?
— Oui, très bien, pourquoi ?
Alors qu’ils passent devant nous, sans nous regarder, Jacques vient subrepticement se glisser à ses côtés. François quant à lui, part s'asseoir à côté de sa mère.
— Bonjour Juliette, tu vas bien ? Tu fréquentes les petits bourgeois à présent ? dit-il en chuchotant, mais suffisamment distinctement pour que je l’entende.
— Vas-t-en Jacques, sinon je crie, dit-elle froidement, sans le regarder.
Jacques a un temps d’arrêt et accuse le coup. Il me regarde droit dans les yeux.
— Et toi, le Parisien, si t’aimes les salopes, fais-toi plaisir. Elle ne demande que ça.
Et aussitôt il se lève pour rejoindre son frère.
Abasourdi par ce que je viens d'entendre, je regarde Juliette trembler de tout son être.
— Juliette,, qu’est-ce qui se passe, ça va ?
Je vois des larmes couler le long de ses joues. Elle les sèche aussitôt, d’un revers de la main.
— Je t’ai dit que ça allait, lâche-moi !
Je reste sans voix. Tout à coup, tout le monde se lève, signe que la cérémonie commence.
Pendant l’heure qui suit, je la regarde à la dérobée. Elle retrouve peu à peu son assurance. Lorsque le calvaire de la messe se termine, et que nous nous retrouvons sur le parvis de l’église, je n’ai pas le courage de lui demander d’autres explications. Je suis content qu’elle retrouve une jeune fille de son âge à qui parler. Elles semblent bien se connaître et se mettent à glousser en regardant madame Desbois. À l’entrée de l’église, celle-ci lève les mains en l’air, en s’agenouillant au sol, criant à qui veut l’entendre : Il est revenu, il est revenu ! Tout le monde se retourne vers elle, un peu gêné. Ses deux fils la forcent à se relever, avec la hâte de partir, sûrement honteux du triste spectacle qu'elle offre. Ils me toisent quelques secondes. À ce moment-là, ils me font de la peine, mais je suis soulagé que leur mère ne m'ait pas reconnu.
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