Surprise
Un chapitre / Une musique
Golden Sun - Trentemoller
https://www.youtube.com/watch?v=xrFB1bPf7X0
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Lundi 27 juillet 1981.
Me voilà dans le bureau de mon père, à l’étage, à côté de la chambre de mes parents. C’est pire que ce que je croyais. Il y a des cartons absolument partout, hormis sur son secrétaire impeccablement rangé. Il m’a laissé une note. Ce matin, j’ai pour mission de les vider et de trier les chemises cartonnées qui sont à l’intérieur, selon un code couleur bien précis. Une rangée d’étagères métalliques accueille déjà les premiers dossiers. Je maugrée devant cette tâche ingrate. La pièce sent encore le renfermé. Je commence déjà par ouvrir les volets en grand. D'ici, je vois le garage. Si je me penche sur le côté, j'aperçois un coin de la terrasse. Le soleil est voilé, le temps est lourd.
J'ouvre le premier carton à l'aide d'une paire de ciseaux. Et c’est parti. Il me faut bien une bonne vingtaine de minutes pour en venir à bout. Je compte le nombre de cartons restants. Une dizaine. Je soupire déjà.
Quand soudain, j’entends ma mère crier de venir tout de suite la rejoindre. Qu’est-ce qu’elle me veut encore ! Je descends les escaliers et là, dans le hall, en contre-jour, une silhouette que je reconnais tout de suite !
— Salut cousin ! Alors, tu croyais que je ne viendrais plus !
Gaspard ! Si je m’attendais à ce qu’il débarque comme ça, sans prévenir.
Il me donne une accolade virile et me regarde de la tête aux pieds.
— Voici un beau jeune homme de 17 ans, ma parole ! L’air de la campagne te réussit. Bon anniversaire mon grand. Je suis vraiment désolé de n’avoir pas pu être là, samedi. Tu ne m'en veux pas trop ?
À cet instant, toute ma rancune a disparu. Je suis si content de le voir en chair et en os.
— Mais non, pas du tout, Gaspard !
Ma mère est ravie de nos retrouvailles. Avec lui, elle a retrouvé son vrai sourire et ses couleurs joyeuses sur son visage. C’était inespéré. Et moi qui croyais qu’elle lui en voulait ! Je me fais des films, décidément. Mon cousin, lui aussi, a changé en six mois. Beaucoup même. Sa prestance naturelle s’est affadie. Il a pris un peu de poids, à moins que ce soit sa chemise froissée qui soit un peu trop petite. Ses cheveux châtains sont en désordre. Il a les traits fatigués. Il a l’air d’avoir vieilli en si peu de temps. Heureusement, ses yeux clairs sont toujours aussi lumineux, même si je crois lire une certaine inquiétude. Là encore, il vaut mieux que j’arrête de me faire des idées. Il doit être fatigué du voyage, tout simplement.
— Comment es-tu arrivé jusqu’ici ? Tu ne devais pas arriver par le train ?
— Ce serait trop long à t’expliquer. J’ai un ami qui m’a prêté sa voiture et me voilà enfin ! Préparez-vous à me supporter ! dit-il, en me montrant sa grosse valise dans le hall.
— Tu restes combien de temps ? dis-je, impatient.
— Aussi longtemps que tes parents le voudront, dit-il en regardant ma mère.
Elle lui sourit. Aucun doute, comme moi, elle est très émue de le voir.
— Il faut que je te fasse visiter la maison et puis le parc. Tu vas voir, il est immense.
— Alexandre, calme toi ! Ton cousin vient d’arriver, laisse lui le temps d'atterrir. Je vais d’abord nous préparer un café, si vous voulez bien. Pendant ce temps, occupe-toi de monter sa valise dans sa chambre.
— Non, laisse, Alex. Je m’en occuperai plus tard.
Mais j’empoigne déjà son lourd bagage et gravis une à une les marches de l’escalier. Elle fait vraiment son poids. Je ne sais pas ce qu’il a mis dedans, mais il a dû prévoir de rester longtemps. Je m’en réjouis d’avance.
Lorsque j’arrive dans la cuisine, il n’y a personne. Je vais dans le salon, les portes sont grandes ouvertes, je les vois sur la terrasse. Ma mère est confortablement installée sur sa chaise, Gaspard lui servant une tasse de café.
— Alexandre, ta mère est très tendue. Il serait temps qu’elle prenne soin d’elle, dit-il d’un ton bienveillant.
— Gaspard, arrête, veux-tu. C’est le déménagement, c’est tout.
— Et l’installation du cabinet de Charles ! Ça fait beaucoup de changement en si peu de temps. Charles m’a dit que tu voulais retapisser la cuisine, c’est bien ça ? Alex, tu m’aiderais ?
— Tu es notre invité, Gaspard. Nous verrons ça plus tard…Enfin, faites comme vous voulez, dit ma mère, qui semble s’en remettre à lui, comme soulagée que quelqu’un prenne enfin le relais dans la maison.
— Bien sûr, Gaspard !
Si mon père m’avait demandé de faire ses travaux avec lui, ça m’aurait vraiment coûté. Mais le faire avec mon cousin change évidemment les choses.
— Gaspard, tu as bien fait de venir, Alexandre est beaucoup plus conciliant avec toi qu’avec son père, dit ma mère.
Je ne réponds rien, mais préfère sourire à mon cousin qui comprend vite la situation.
— J’imagine que Charles doit être tout feu, tout flamme, avec son cabinet.
— Non, comme d’habitude, toujours aussi autoritaire et injuste, dis-je.
Je sais, ça ne me ressemble pas de dire ça, mais en la présence de Gaspard, je m’autorise cet affront.
— Alexandre, enfin ! Excuse-toi tout de suite, explose ma mère.
— Françoise, laisse-le. Souviens-toi, quand j’avais son âge, j'étais même pire.
À la fois, je remercie mon cousin de me défendre et d’un autre côté, j’ai l’impression qu’il me prend encore pour un enfant qui fait un caprice.
— Oui, tu as raison. Alexandre vient d’avoir 17 ans et il est temps de s’opposer à son père, je présume.
— Hé, ho, vous deux, je suis là, je vous le rappelle ! dis-je en souriant, pour essayer de détendre l’atmosphère et de me rattraper.
Tous les deux pouffent gentiment.
— Attendez, vous deux, je reviens, dit Gaspard en disparaissant dans le salon.
Nous nous regardons avec ma mère.
— Merci d’avance pour la tapisserie, mon chéri. Je suis sûr que ça fera plaisir aussi à ton père. L’arrivée de ton cousin va tous nous faire du bien, j’en suis convaincue, dit-elle, les yeux rougis.
Je suis décontenancé de la fragilité de ma mère à cet instant. Je la trouve touchante. Elle a raison. L’arrivée de Gaspard est l’occasion de mettre dans cette maison la gaîté qui lui manque. Je le vois arriver avec un grand paquet cadeau.
— Tiens, Alex, c’est pour toi. Bon anniversaire !
Je l’ouvre avec avidité. C’est une raquette de tennis flambant neuve.
— Mais tu es fou Gaspard, lance ma mère.
Je suis aux anges. Je me demande juste à quel moment et où je pourrais la tester.
— Merci Gaspard. Mais c’est trop, tu n’aurais pas dû. C’est un très beau cadeau. Vraiment. Quand papa va voir ça.
— Et ça, c’est pour toi Françoise, dit mon cousin en sortant de sa poche un petit paquet carré.
Elle est surprise et se met à rougir en l'ouvrant.
— Mais enfin Gaspard, qu’est-ce que…
C’est une magnifique paire de boucles d’oreille en argent. Je vois ma mère les larmes aux yeux, gênée d’un si précieux cadeau.
— Elles te plaisent ?
— Oh oui, bien sûr… Excusez-moi, je reviens.
Elle se lève précipitamment en les emportant avec elle.
— C’est papa qui va être jaloux ! Si tu savais comment ils se disputent depuis notre arrivée !
Gaspard est soudain gêné par ce que je viens de lui apprendre.
— Oui, j’ai cru comprendre. Ton père m’en a parlé au téléphone.
Je ne sais pas s’il est au courant sur les véritables raisons de notre déménagement, mais je préfère m’abstenir. Ma mère pourrait revenir d’un instant à l’autre.
— Ça fait trop longtemps que l'on ne s'est pas vu ! Six mois, tu te rends compte ? Félicitations pour ton diplôme ! dis-je pour changer de sujet, même si je sais que le fait d’aborder ses études le ramène à l’étude de mon oncle et de son décès.
— Merci Alex. Je suis content. La succession de papa arrive enfin à son terme. Ton père va pouvoir m’aider à y voir plus clair pour la suite.
Je constate dans sa voix une douleur pesante, mélangée à une envie d’aller de l’avant. Là encore, je n’ose pas poser plus de questions, de peur de raviver de mauvais souvenirs.
— Prends-le pas mal, Gaspard, mais tu as l’air fatigué. Va te reposer le temps que nous préparions le repas, si tu veux.
— Regardez-le qui prend soin de son cousin ! T’es gentil Alex. Vraiment. Garde ça avec toi, c’est si précieux la gentillesse.
Son compliment sonne de façon étrange. Je ne saurais dire pourquoi.
— Mais que fait maman ? Allez, viens, je vais te montrer ta chambre, dis-je en emportant avec moi ma raquette de tennis.
— Voici votre chambre, monsieur !
Je lui ouvre la porte.
— On t’appelle quand le déjeuner sera prêt !
Il me remercie. Je vais dans ma chambre pour vérifier s’il me reste toujours une boîte de balles de tennis. Je pourrais essayer la raquette dans le jardin, après tout. Je cherche dans les deux cartons qui me restent à vider, en vain. Elles sont peut-être dans le garage où nous avons entreposé d’autres cartons que nous n’avons pas jugés urgents de déballer. Je ressors de ma chambre. Sur le palier, j’entends des chuchotements. Ils proviennent de la salle de bain. Je m’approche et entends la voix de ma mère.
— Je suis si fatiguée, Gaspard. Je suis à bout. Il va me rendre fou. Pourquoi es-tu venu ? Nous nous étions mis d’accord, il me semble.
Ils ont remarqué ma présence, dû au bruit de mes pas sur le parquet. La porte s’ouvre brutalement sur mon cousin et ma mère, surpris.
— Alex, ta mère me disait qu’elle ne se sentait pas bien. La chaleur sûrement. Elle a besoin de se reposer. C’est moi qui vais t’aider pour préparer le repas de ce midi.
J’admire les boucles d’oreille de ma mère qu’elle porte avec élégance. Elles sont vraiment magnifiques. Gaspard a bon goût. Mon père n’aurait pas su en choisir d’aussi belles.
Soudain, on sonne à la porte.
— Bougez pas, je vais ouvrir, je leur dis.
Je descends quatre à quatre. C’est un technicien des P.T.T. ! J’avais complètement oublié. Enfin, nous allons avoir le téléphone !
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