Dernier sourire
Un chapitre / Une musique
Plastikman & Chilly Gonzales - Ekko (In Key)
https://www.youtube.com/watch?v=yjUzgyMVObY
*
Samedi 25 juillet 1981.
— Lucas, je voulais te dire…
Je déglutis de nouveau. Soudain, ça ne va pas du tout. Quelque chose remonte dans ma gorge. Je crois que j’ai envie de vomir. Pourtant, ce n’est que ma troisième bière. Ce n’est pas elle qui me rend malade comme ça, tout de même ! Si je ne me lève pas tout de suite, je vais me vomir dessus. Je fais quelques pas.
— Ça va pas, Lucas ?
— Si, si, t'inquiète !
Je chancelle un peu, place les mains sur mon ventre. Et sans prévenir, je dégueule. Je fais un méchant rot. Je me sens soulagé. Mes jambes tremblent. Je suis obligé de m’asseoir par terre. Je sens la présence d’Alexandre derrière moi. Si j’avais été avec Mathias, on aurait rigolé de la situation et il se serait bien foutu de ma tronche. Mais ce soir, c’est différent. Je ressens de la honte. Pas envie qu’Alexandre me voit dans cet état. Sa main se pose sur mon épaule.
— Ça va, lâche-moi, putain !
— Pardon, Lucas, je…
Je lève la tête. Il a l’air apeuré.
— Putain, désolé. Je ne sais pas ce qui m’a pris. C’est juste que…
— Non, je comprends. T’as peur que je t’imagine ressembler à ton père.
Comment fait-il pour lire dans mes pensées ? Je laisse un blanc. J'arrive pas à lui répondre tout de suite.
— Ouais, on peut dire ça comme ça.
Il me tend sa main pour m’aider à me relever.
— Ça va aller pour reprendre ton vélo ?
— Pour qui vous me prenez monsieur Dumont ? Sachez que non seulement, ça ne me pose aucun problème de reprendre mon vélo, mais qu’en plus, vous avez l’honneur de vous faire raccompagner jusqu’à chez vous !
Alexandre me sourit pleinement. Nous voilà donc chacun sur notre bécane sur le chemin du retour.
Arrivé devant le portail, il me tend la main pour me saluer. Je la lui serre. Ça me fait marrer.
— Allez Alex, et si on arrêtait nos politesses ? Je peux t’appeler Alex, non ?
— Heu, ouais, d’accord !
Ce mec est vraiment unique. Le revoilà tout timide alors qu’il y a à peine une demi heure, il se foutait en colère ! Je ne peux pas m’empêcher de le taquiner.
— T’as l’air d’hésiter ?
— Heu, mais non, pas du tout, c’est…
— Je plaisante, Alex, ne fais pas une tête comme ça !
Il me sourit.
— J’ai passé une excellente soirée, Lucas.
— Moi aussi. C’était pas grand-chose, juste…
Sans prévenir, Alex me prend dans ses bras, et me serre fort contre lui. Je sens sa force et son torse musclé. Son doux parfum sur moi. Pourquoi son accolade me fait autant du bien, sans ressentir la moindre honte ? Ce n'est pas un geste que je me serais autorisé avec Mathias, de peur de passer pour un sous-homme.
— Ça compte pour moi, Lucas. Merci, vraiment, me dit-il, en me libérant de son étreinte.
Je ne sais pas quoi dire. Il est si attachant, comme ça. Je me sens décalé. Comme sorti de moi-même.
— Bonne nuit Alex !
C'est tout ce que je réussis à dire. Je n'ai pas envie de partir. Mais je remonte quand même sur mon vélo.
— Bonne nuit Lucas.
Un dernier sourire et je m’en vais.
*
Je tourne la clef dans la serrure. Je referme la porte et reste dans l’obscurité, sans faire de bruit. J’enlève mes chaussures et m'apprête à grimper les escaliers qui mènent à ma chambre. Soudain, la lampe du salon s’allume.
— C’est à cette heure-ci que tu rentres ?
Je suspends mon pas. Je vois la tête de mon père. Il est furax.
— Il est deux heures du matin. Je commençais à m’inquiéter.
— Tu déconnes ?
— Arrête tout de suite ce sourire à la con.
Qu’est-ce qui lui prend ?
— J'arrêterai de sourire comme un petit con quand t'arrêteras de boire, papa.
Une lourde claque vient me sonner. Je ne l’ai pas du tout vu venir. Je secoue la tête, pour reprendre mes esprits.
— Allez file dans ta chambre !
C’est plus fort que moi, je lui décoche un coup de poing en pleine gueule. Lui non plus, il ne l’a pas vu venir. Ça le fait reculer et buter contre une chaise. Il se casse la figure. Je secoue ma main. Purée, qu’est-ce que ça fait mal !
— C’est la dernière fois que tu me frappes, papa. Sinon, la prochaine fois, je n'hésiterai pas à recommencer. T’as compris ?
Je vois qu’il saigne du nez. Il ne dit rien, estomaqué par ce que je viens de faire. Je n’en reviens pas moi-même. Je m'enferme à double tour dans ma chambre. Il y fait chaud. J’ouvre un peu la fenêtre. Je me mets à poil et m’allonge directement sur mon lit. Je me masse les jointures de mes mains endolories. Je suis à la fois fier de ce que je viens de faire et vraiment honteux. Je viens de frapper mon père.
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