Portée disparue
Un chapitre / Une musique
Cerrone - Cerrone's Supernature (feat. Beth Ditto - The Shoes Remix)
https://www.youtube.com/watch?v=S4vaLVhuptg
*
Lundi 10 août 1981.
Devant nous, la mère Langlois, le front perlé de sueur, les habitués du bar, le teint rougi, et d'autres clients, des traits de fatigue sur le visage. À les regarder de près, on a l’impression qu’ils sortent d'une étuve.
— Qu’est-ce qui se passe ? demandé-je à Patrick, le postier, qui n’arrête pas de triturer sa casquette.
Il n’a pas le temps de me répondre qu’ Aurélien Picard débarque devant nous. Il a l’air à cran.
— Ah, les garçons, on vous cherchait !
À sa tête, je comprends qu’il est arrivé quelque chose de grave.
— Où étiez-vous aujourd’hui ? Avez-vous vu Juliette ?
Je regarde Alex, dont le visage commence à rougir.
— À la rivière, par ci, par là, pourquoi ? Il lui est arrivé quelque chose ?
— Juliette a disparu, enfin c'est ce dont sa mère a peur. Mais nous commençons à être très inquiets. Elle n’est pas rentrée chez elle depuis hier soir…
J’entends arriver quelqu’un derrière moi. C’est madame Leduc, justement. Son chignon est à moitié défait, elle semble désespérée.
— Alexandre, ah enfin, je te cherchais partout. Dis-moi, tu as vu Juliette, n’est-ce pas ? Dis-moi que tu l’as vu ! dit-elle en lui secouant les épaules fortement.
— Geneviève, calme toi, intervient Aurélien.
— Désolé, madame Leduc, je n’ai pas vu votre fille.
— Espèce de menteur, t’es bien comme ton père et ta famille de détraqués ! se met-elle à crier.
Je vois Alexandre ne plus savoir où se mettre. La mère Langlois n’en perd pas une miette.
— Ça suffit, Geneviève, lâche ce garçon, voyons ! gronde Aurélien.
— Mais, laissez-moi ! Et faites quelque chose pour retrouver Juliette, nom de Dieu ! Nous avons assez perdu de temps !
— Geneviève, elle n’est pas allée bien loin ta fille, elle est juste partie respirer ailleurs ! Une belle jeune fille comme elle !
Voici exactement ce que la mère Langlois balance à la pharmacienne. Je la déteste, j’ai envie de la gifler. Elles se toisent. Il va falloir les séparer, sinon, elles seraient capables de se crêper le chignon.
— Écoutez, ça suffit ! C’est n’importe quoi ! Geneviève, rentre chez toi. Je ne manquerai pas de te tenir informée de la situation. Je lance les recherches dès que possible. Et vous tous, rentrez aussi chez vous, le spectacle est terminé ! dit Aurélien, de sa voix soudainement autoritaire.
Comme tout le monde, nous partons nous aussi. Je me sens hyper mal concernant Juliette. Mais impossible d’en parler à Alex pour le moment. Il remonte sur son vélo.
— Bon, et bien, je crois bien que je vais rentrer.
— Heu, ouais, moi aussi. J’ai passé une super journée, on se voit demain ? dis-je.
J’ai envie de lui rouler une grosse pelle, mais évidemment, ce n’est pas du tout le lieu.
— Je ne sais pas si je vais pouvoir attendre aussi longtemps, me dit Alex.
— Ah oui ? À moins que tu aies une autre idée ?
— J’en ai bien une, mais je ne sais pas si tu vas être d’accord.
— Dis toujours !
Je le vois rougir. Il me fait signe d’avancer, ce que je fais. Il me chuchote à l'oreille sa proposition. Je souris bêtement, tout en regardant autour de nous, si personne ne nous voit.
— Ça me paraît être un bon programme. Tu me raccompagnes jusqu’à chez moi, ça changera pour une fois ! dis-je.
Évidemment, il accepte. Il me fait un large sourire. Il est vraiment craquant comme ça, tout bronzé.
*
Alex dépose son vélo dans la cour. Je sors de mon sac mon paquet de clopes.
— Une petite cigarette ?
— T’as oublié ? Je ne fume pas, idiot.
— Ouais, je sais. C’est juste pour te garder encore un peu près de moi.
Il regarde autour de lui et profite qu’il n’y ait personne pour venir m’embrasser. Soudain, je le repousse violemment en apercevant mon père qui arrive, un sac de courses à la main ! J'espère qu'il ne nous a pas vu. Il a un temps d’arrêt en apercevant Alex.
— Bonsoir les jeunes ! Vous avez passé une bonne journée ?
Alex lui sert la main.
— Bonsoir monsieur Mercier.
— Le vieux Dufour nous a gentiment donné un gros melon et une salade. Tu restes dîner avec nous jeune homme ?
Alex me regarde, étonné.
— En fait, il s'apprêtait à partir papa…
— Avec plaisir monsieur Mercier, il faut juste que je prévienne mes parents, je peux téléphoner ? répond Alex, en me regardant avec sa gueule d’ange.
— Vas-y, entre, je t’en prie. Le téléphone est dans l’entrée.
Je toise mon père.
— Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, non ? me dit-il en me faisant un clin d'œil.
Je reste sur le cul.
*
Je suis content d’être tombé directement sur ma mère au téléphone. Après lui avoir annoncé que je restais dîner chez Lucas, je lui ai dis que je ne savais pas à quelle heure je rentrerais. Je ne lui ai pas laissé le choix. Je m’en fiche pas mal de comment elle va annoncer ça à mon père. Je raccroche le combiné gris, avant de voir débarquer monsieur Mercier.
— Les jeunes, disparaissez de ma cuisine, le temps que je prépare à manger, je ne veux pas vous avoir dans mes pattes, dit-il en plaisantant.
Nous ne nous faisons pas prier. Lucas grimpe déjà les escaliers qui mènent, j'imagine, à sa chambre. À peine la porte fermée à clef, il me pousse sur le lit pour venir m’embrasser.
— Je te jure que mon père n’est pas comme ça d’habitude, je ne sais pas ce qui lui prend ! dit-il en chuchotant.
— T’es sûr qu’il ne nous a pas vu tout à l'heure ?
— Certain, je peux te dire que sinon, tu ne serais pas là !
— Il ne va pas nous entendre ?
— Mais non, t’inquiète, dit-il en déboutonnant mon bermuda.
— Mais arrête, t’es fou ! dis-je en continuant à chuchoter.
— J’ai fermé la porte à clé, tais-toi.
Je deviens tout rouge, mais me laisse faire. Il baisse mon caleçon.
— Tiens, tiens, je vois que t’en as autant envie que moi.
Je réprime un fou rire et le regarde plonger sa tête entre mes jambes. Je suis allongé sur son lit, et profite de sa bouche chaude et humide sur ma virilité. Je jette un regard à sa chambre que je découvre pour la première fois. Elle est petite, la tapisserie est bleue claire, avec une photo de soleil couchant punaisé au mur.
— Arrête Lucas, sinon je ne vais pas pouvoir me retenir bien longtemps !
Mais rien à faire, il en a décidé autrement. Cette fois-ci, il retire sa bouche à temps avant que j'éclabousse mon ventre. Heureusement que j'avais enlevé mon t-shirt !
— À table !!! crie son père.
Lucas me fait un clin d'œil en me donnant un kleenex. Je m’empresse de m’essuyer et de me rhabiller.
— Et bien, tu vois, toi qui voulais faire le mur ce soir, pour me rejoindre dans ma chambre, ce ne sera pas la peine. Je pense que nous pouvons remercier mon père.
Je pouffe, vérifie que j’ai une tenue présentable avant que nous ne descendions dîner.
Le repas se passe super bien. Le père de Lucas nous raconte sa journée de travail et n’arrête pas de faire des blagues. Je vois Lucas sur ses gardes, pas très à l'aise. Je ne m’attendais pas à rencontrer un homme aussi jovial. J’ai du mal à croire qu’il soit violent avec son fils. Au moment de nous faire un café, il nous annonce qu’il s’en va. Je vois aussitôt Lucas se crisper. Mais la raison de son départ concerne Juliette. Il part avec d'autres personnes à sa recherche. La nouvelle de sa disparition a déjà fait le tour du village. C’est le genre d'affaires où les faits sont déformés, amplifiés, qui alimentent les conversations. Les gens veulent connaître tous les détails, même les plus horribles. Il a croisé Patrick sur la place du village à son retour du travail. Comme lui, il souhaite apporter sa contribution. C’est Frédo qui a lancé l’idée avec quelques-uns de ses amis. Mais Aurélien n’est pas ravi. Il sait que ça part d’une bonne intention, mais que c’est la dernière chose dont aient besoin des recherches organisées, à savoir des gens qui courent dans tous les sens, piétinent les indices et rentrent chez eux au bout de vingt minutes parce qu'ils en ont marre de ne rien trouver. De toute façon, le gendarme est incapable de savoir par où commencer. La dernière fois que Juliette a été vue, C’est la veille, sur son vélo, quittant Saint-Amant, en tout début de matinée. Nous proposons aussi notre aide, mais le père de Lucas nous l’interdit. Hors de question de mêler des mineurs à cette histoire. Il nous voit inquiets, mais tente de nous rassurer, en nous disant de ne pas imaginer le pire. Il finit par nous quitter, nous laissant la vaisselle à faire.
— Mais arrête de m’arroser, les cascades ne t’ont pas suffit ! dis-je, l’éponge à la main.
— Allez dépêche, on s’en fout de la vaisselle, j’ai trop envie de toi.
Je m'acquitte de ma tâche du mieux possible et n’insiste pas pour l’essuyer. Lucas m’arrache le torchon des mains, avant de me proposer de remonter dans sa chambre. Nous passons la soirée, allongés sur le lit, à nous embrasser. Lucas me fait aussi écouter la musique qu’il aime. Supernature de Cerrone emplit la pièce. Il m’offre une chorégraphie qui me fait mourir de rire. Il se déhanche, puis enlève un à un ses vêtements. Il s’approche de moi, il ne lui reste que son slip. Je le baisse d’un coup. Je lève les yeux en souriant, puis commence à m’occuper de lui avec avidité.
Nous voilà allongés, serrés l’un contre l’autre sur son lit une personne. Ce soir, nous nous livrons comme jamais, discutons de tout ce qui nous passe par la tête, évoquons des souvenirs d’enfance, parlons de quelques-uns de nos amis. Lucas me parle de sa passion pour le karaté, et surtout de son envie de partir d’ici. Je comprends mieux à présent ses motivations. Je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine appréhension. Dans quelques mois seulement, nous serons amenés à ne plus nous voir. Cette perspective m’effraie.
— On pourrait partir tous les deux, si tu veux ! dit-il.
Il doit voir dans mes yeux ma détresse, malgré mon sourire.
— Ouais, je sais, je raconte n’importe quoi. Mais dès que t’as 18 ans, tu pourras venir me rejoindre quand tu veux.
Cet horizon me plaît davantage, même si cela ne semble qu’un rêve lointain, voire inaccessible. Pour apaiser mes doutes, il vient m’embrasser.
— Alex, et si cette nuit, tu restais avec moi ? me chuchote-t-il à l’oreille.
Mon cœur va exploser tant je partage la même envie.
— Tu sais que ce n’est pas possible.
— Allez, s'il te plaît, les autres, on s’en fout…
— Arrête, il faut…
Lucas m’empêche de terminer ma phrase en me couvrant de baisers.
Je ne sais pas depuis combien de temps nous sommes dans sa chambre, mais je n’ai pas vu le temps passer, lorsque je m’aperçois qu’il est déjà minuit. Je décide de me lever.
— Il faut que j’y aille, sinon ton père va se demander ce qu’on fabrique.
— Je m’en fous de mon vieux, Alex. Reste encore un peu, dit-il en me tirant le bras pour me faire revenir sur le lit.
Je retourne me blottir contre lui, ma joue contre son torse. Il passe sa main dans mes cheveux, en me racontant une anecdote de classe avec son ami Mathias. Nous entendons soudain, la porte claquer.
— Merde, ton père, il faut vraiment que j’y aille.
Cette fois-ci, il ne me retient pas. Il vient m’embrasser une toute dernière fois, avant que nous dévalions l’escalier. À la tête de son père, nous comprenons qu’il s’est passé quelque chose de grave.
— Vous avez retrouvé Juliette ? demande Lucas.
— Asseyez-vous les enfants, il faut que je vous parle.
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