Cauchemar

3 minutes de lecture

Un chapitre / Une musique

Mylène Farmer - Mylenium (instrumentale)

https://www.youtube.com/watch?v=U93sptO3W1w

*

Vendredi 14 août 1981.

8h et je me réveille en sursaut. J’entends ma mère crier. Mais c’est pas vrai ! Je plonge la tête sous l’oreiller pour avoir la paix. Je ne veux rien savoir, plus rien du tout. Plus jamais.

10h et je me réveille en sursaut. J’ai dû faire un cauchemar. Il me reste seulement une heure avant de retrouver Lucas chez lui. Je m’étire tranquillement avant de bondir hors du lit pour descendre prendre un petit-déjeuner. J’entends un bruit inhabituel dans la chambre de ma mère. Je pousse la porte et la vois, accroupie, en train d’ouvrir une grande valise de voyage.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Ça ne se voit pas ? Je fais ma valise. Tu peux faire la tienne. Nous partons.

Je la regarde, incrédule. Ses yeux sont celles d’une folle.

— Mais qu’est-ce que tu racontes ?

— Je quitte ton père. Hors de question de rester avec cette ordure.

Je suis sous le choc.

— Et tu vas où ? Retrouver Gaspard ?

— À Paris, chez ta tante Yvette.

— Mais ça fait au moins cinq ans que tu ne l'as pas vu ! Vous n'êtes plus fâchées !

— Ma sœur avait raison sur toute la ligne. Ce n'est pas faute d’avoir essayé de m’ouvrir les yeux. Mais moi, comme une conne, je n’ai pas voulu l’écouter.

Ma mère se lève et ouvre son armoire. Nerveuse, elle triture son collier de perles qu’elle porte autour du cou. Elle semble hésiter dans le choix des vêtements à emporter.

— Hors de question que je parte avec toi, maman !

— Je ne te laisse pas le choix !

Mes jambes se mettent à flageoler.

— Tu m’avais juré de faire en sorte de ne pas me mêler à vos histoires !

— Oui, je sais, mais c'était avant que ton père se retrouve avec un procès au cul !

Je n'ai jamais entendu autant de grossièretés dans sa bouche. Contrariée par ma réaction, elle continue de manipuler son collier en l’entortillant autour de son doigt.

— Je reste ici, avec papa, que ça te plaise ou non.

Voilà qu'elle me regarde de la tête aux pieds et se met faussement à rire.

— Ça, c’est la meilleure. Tu passes ta vie à détester ton père et voilà que monsieur veut rester avec lui ! Solidarité masculine quand tu nous tiens ! Tu ne tiendras pas une semaine mon pauvre. Et puis de toute façon, nous en avons parlé ensemble, il est d’accord pour que je te ramène à Paris avec moi.

Je hurle dans ma tête. C’est impossible. Ils ne peuvent pas me faire ça !

— Ce n’est pas la peine d'essayer de te convaincre si j’ai bien compris.

— Exactement ! dit-elle, comme si le sujet était clos.

Elle retourne à son armoire pour la vider entièrement.

— Et on part quand ?

— Dimanche. Je n’ai pas pu avoir de billets de train avant.

— Maman, tu sais quoi ?

Elle me regarde comme si elle m'accordait une faveur.

— Toi et papa, vous pouvez aller vous faire foutre !

Je la vois se crisper, tirer sur son collier qui finit par se casser, déversant des dizaines de perles sur le parquet. Elle pousse un cri strident. Je claque la porte et descends en trombe pour retrouver Lucas. J’attends d’être sur mon vélo pour hurler tout fort ma colère et laisser couler mes larmes sur mes joues.

*

C’est la fin de l’après-midi, nous avons, une fois de plus, du mal à nous quitter. Alex doit rentrer chez lui pour faire sa valise et laisser croire à sa mère qu’il se range à son avis, résigné. Mais en réalité, il prépare surtout son sac à dos, afin que nous partions en douce comme prévu, pendant la fête des Cascades. Nous allons essayer de passer une dernière soirée ensemble et profiter des festivités du village.

Il faut reconnaître que cette journée au bord de la rivière a été en demi-teinte : entre l’envie de profiter pleinement d’être ensemble et l’inquiétude des conséquences de notre fugue. On espère que celle-ci fera changer d’avis ses parents et qu’il pourra rester à Saint-Amant en septembre. Si ce n’est pas le cas, nous avons déjà prévu un plan b. C’est moi qui monterais à Paris dès mes 18 ans. Nous pourrons alors nous retrouver dès l'hiver prochain. Nous ne savons pas encore comment, mais chaque chose en son temps.

Il nous reste donc plus que demain pour profiter de tous les endroits qui ont marqué notre été : la rivière, l’aire de repos le long de la voie ferrée, les champs de tournesols, le moulin, la grotte, et bien sûr les cascades. Tous ces lieux remplis de nos ébats, de nos rires, de nos confidences, de notre amour.

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