— Tiens, fils, attrape ça ! lança Michael d’une voix qu’il voulait assurée. Colle-toi contre le mur et sois vif ! Notre survie en dépend !
Michael, un homme de forte stature, à la cinquantaine grassement assumée, essayait de paraitre confiant malgré la panique qui le gagnait. Il lança un regard appuyé à son fils, Adam, pour tenter de le rassurer. Le jeune homme de 22 ans, aussi longiligne que l’était feue sa mère, semblait plus fragile encore dans la tourmente qui les enveloppait.
— Qu’est-ce que tu racontes, P’pa ? jeta-t-il d’un air ahuri.
— Fais-moi confiance, Adam !
— P’pa, on devrait plutôt prendre la voiture, non ? Partons d’ici ! dit Adam en roulant des yeux affolés.
— Et pour aller où ? Regarde autour de toi ! Dans quelle direction penses-tu aller ?
— Peu importe ! On ne peut pas rester là à attendre ! Les autres sont tous partis ! cria Adam. Il avait élevé la voix pour couvrir le vacarme ambiant.
— Et laisser la maison ? Comme ça, sans un regard en arrière ?
Une détonation retentit, et ils se jetèrent au sol. Mains sur la tête, ils restèrent immobiles quelques instants.
— Ce n’est rien, ça doit venir de la réserve de munitions de Tony, déclara Michael en se relevant. Ce n’est pas ça le plus dangereux. Ne reste pas là ! On ne va pas attendre sans rien faire, on va se battre ! Jusqu’au bout !
Michael y mit toute la conviction possible, malgré le peu qu’il ressentait. Il était essoufflé sans même avoir bougé. Ses yeux le piquaient, l’air devenait suffocant. Il jeta son foulard à Adam.
— Mets ça sur ton visage.
— Tu es vraiment sûr que c’est la bonne décision ?
— Dieu seul le sait, mon garçon.
— Je ne veux pas mourir, P’pa !
Michael ne pouvait pas ignorer la note désespérée dans le ton de son fils. Il lui donna une accolade brusque, malgré l’urgence, et espéra lui donner la force de se battre.
— Fais-moi confiance, répéta-t-il.
Ils se mirent côte à côte.
— Chaque fois que ça démarre à proximité de la maison, tu bombardes ! N’hésite pas, Adam. Si l’un de nous tombe, l’autre le tire en arrière et prend sa place. C’est le seul moyen.
Adam leva les yeux. Dieu, qu’il faisait noir ! En pleine journée, il pouvait à peine discerner l’autre côté de la rue. Il adressa une prière brève aux cieux sombres. L’air brûlant le fit tousser. L’intime conviction qu’il allait mourir l’envahit, il se laissa alors gagner par l’énergie du désespoir, celle qui fait tenir debout les condamnés.
— Je t’aime P’pa ! hurla Adam.
Le bruit autour d’eux était assourdissant, et il n’était pas sûr que son père l’ait entendu. Il n’en montra rien, en tout cas. Il avait commencé à arroser le jardin, Adam l’imita. Un arbre tomba dans le jardin des Taylor, s’abattit comme au ralenti, dans un bruit de tonnerre. Armés de tuyaux d’arrosage, les deux hommes aspergeaient les départs de feu, les murs de la maison, essayant désespérément de freiner l’avancée du mur de feu. Toutes les cinq minutes, ils se jetaient à terre et s’inondaient, pour ne pas brûler vifs dans cet enfer. Un rideau de flammes les entourait, et n’attendait qu’une faute d’inattention pour s’emparer de leurs vies et de leur maison. Le gigantesque incendie qui ravageait la Californie depuis quelques jours avait atteint son paroxysme en atteignant la ville de Paradise. Le feu avait pris à l’entrée du canyon, et carbonisait la région avec la vitesse d’une tornade. Rien ne subsistait, même la terre était noircie. Mais deux hommes tenaient bon, et avaient pris la bonne décision.