Mangez-moi
Un après-midi d’automne, on avait trouvé un moyen de locomotion…
Trois heures de bagnole et l’album de Billy Ze Kick qui tourne en boucle. C’est la quatrième fois que j’entends la chanson, j’en ai marre. Les voilà qui se remettent à chanter. Pitié !
Mangez-moi ! Mangez-moi ! Mangez-moi !
C’est le chant du psylo qui supplie…
Le chant du quoi ? Du silo ? Du stylo qui se plie ?
Qui joue avec les âmes et ouvre les volets de la per-cep-tion.
Ils se prennent pour les Doors ou quoi ? À défaut des volets, si déjà on pouvait ouvrir les fenêtres de la voiture… Je crève de chaud. En plus, j’ai envie de faire pipi.
– Les mecs, c’est quand qu’on s’arrête ? J’en peux plus.
– On fait une halte à la prochaine station d’autoroute, c’est dans moins de vingt kilomètres.
– Tu as déjà dit ça tout à l’heure.
– Ah, les gonzesses, des vraies pisseuses. Allez, chante avec nous au lieu de faire la gueule, ça te fera patienter.
Il pleuvait beaucoup ce jour-là. Heureusement on avait des capuches…
Oui, ben aujourd’hui, il pleut pas. J’aimerais bien, plutôt que de me taper sept heures de route en plein cagnard quand il fait quarante degrés dehors. Alors que je n’ose même pas boire, vu qu’on ne s’arrête pas pour pisser.
– On est censé faire une pause toutes les deux heures, je vous signale.
– On s’arrête bientôt, je te dis.
Mangez-moi ! Mangez-moi ! Mangez-moi !
Dire qu’il reste encore quatre heures à rouler. Je ne supporte plus ce groupe de raggamuffin. C’est quoi d’abord, le raggamuffin ? C’est comme du reggae, mais avec le chanteur qui passe son temps à avaler des muffins ? Ma mère disait pourtant : ne parle pas la bouche pleine.
Je lis le panneau. Prochaine aire dans dix kilomètres. Une pause dans cinq minutes, enfin ! J’ai les jambes complètement ankylosées et je n’ai qu’une envie, c’est de me précipiter aux toilettes. Ce coup-ci, s’il continue, je pique une crise.
Oh toi tu marches comme un canard…
C’est moi qui vais marcher comme un canard quand je sortirai de la voiture. J’en peux plus, je n’arrive pas à m’étendre dans cette caisse.
Tiens voilà un mégot de pétard, ça doit être un très bon champ…
C’est une chanson sur les champignons hallucinogènes, paraît-il. Peut-être que si j’en goûtais un, je pourrais supporter les paroles, voire les chanter avec eux.
Euh…même pas en rêve. Je suis dépitée rien qu’à voir leurs mines radieuses à l’approche du refrain. Et c’est reparti.
Mangez-moi ! Mangez-moi ! Mangez-moi !
Mangez-moi ! Mangez-moi ! Mangez-moi !
Plutôt que de m’écraser, pourquoi ne pas me manger ?
Je préfère ne pas dire qui j’ai envie d’écraser en ce moment. Putain, j’ai mal au crâne, j’ai la vessie qui va exploser.
Un après-midi d’automne, on avait trouvé un moyen de locomotion…
Oui ben, la prochaine fois, entre bus et covoiturage, je choisirai le bus.
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