Marche dans le Noir.
L’homme arpentait les rues abîmées par les ans. Derrière lui s’activait toute une procession d’araignées. Elles chantaient en chœur un refrain d’encouragement pour tenir son allure. Il désirait explorer la ville qu’il avait jadis connue étincelante ; chaque pas le meurtrissait, lui rappelait des souvenirs douloureux, ses erreurs, ses péchés... Il finit par s’arrêter devant une masse de champignons luminescents. Là, les ténèbres tentaient de les happer de leurs bras tentaculaires.
Un couinement le sortit de sa rêverie. Une petite araignée sur ses épaules glapissait maladroitement des mots incohérents. Elle le tapotait frénétiquement comme pour tenter de le réconforter, ou de le réprimander. Il ne savait pas trop.
Elle fut attrapée par sa maman qui la jeta adroitement sur son abdomen. Cette dernière, en route vers son abondante chevelure s’arrêta près de son oreille masquée par des mèches auburn.
« Elle veut te dire de ne pas paniquer », lui apprit-elle.
Il garda le silence. Puis le brisa d’un soupir.
« Je ne les crains pas. Je m’interroge. Pourquoi suis-je en vie ? »
Une petite lui répondit par borborygme. Une autre se pendit par le fil devant son masque et s’écria maladroitement : « Je suis un Nuage ! » en agitant ses petites pattes. Les enfants s’amusaient gaiement sur sa tête, excités par cette aventure dans laquelle ils se lançaient avec leur maman. Cette innocence et cette simplicité lui apportèrent du baume au cœur. « Je suppose que je me fais trop de soucis », pensa-t-il tout haut.
Ils déambulèrent des minutes entières. Marcher lui faisait du bien. Il était longtemps resté assis devant son champignon. Une heure, un jour, un an ? Il ne se souvenait pas. Le monde avait cessé de tourner. Le temps n’avait plus de prise sur lui.
Une petite voix l’arrêta soudain. Un groupe d’araignées leur barrait l’accès à une avenue encombrée de gravats.
« Pas passer ! Propreté de Ninil en cours de nettoyage ! annonça la première.
— Piété ! tenta de corriger la deuxième.
— Vous êtes bêtes, ça se dit “papoter” ! s’exclama la troisième.
— Mais, on ne nettoie pas le papotage ! rétorqua la quatrième.
— C’est propriété ! Propriété ! insista la dernière. Nous sommes en expédition ultra trop top dangereuse ! Nous on est trop des incroyables ! Les meilleurs des meilleurs, des meilleurs !
— Sinon, qui veut une pause donut ? proposa la deuxième. J’ai mon bidon qui gargouille. »
Une vague d’acquiescements parcourut la procession. Si bien que toutes les araignées s’éparpillèrent pour aller reposer leurs pattes. L’homme, quant à lui, décida de continuer un peu plus loin. Il s’engouffra dans une autre rue avec seulement les bébés et leur maman sur la tête.
Il y trouva un magasin portant l’enseigne de « Nunul Petroom », marqué en lettres de sang sur un crâne pendu à la poignée de la porte. Il enfouit une main dans sa manche et en sortit une éponge humide.
« Tout le monde n’apprécie pas Ninil, lui apprit la maman. Le groupe expéditionnaire va s’en charger. Nous devons partir. C’est dangereux, ici.
— Des araignées ? questionna-t-il en attrapant le crâne à la forme indéterminable.
— Des abominations, rectifia-t-elle. Tu n’es pas le dernier de ton espèce. Tu es seulement le dernier sain d’esprit.
— Je vois. Alors, ils ne sont pas tous morts. Quelle tristesse. »
Il reposa le crâne nettoyé sur le sol et s’apprêta à repartir lorsqu’un bruit au fond de la rue attira son attention. Les ombres s’excitaient là où une silhouette sinistre se découpait entre les façades éventrées. Un grondement inquiétant suivit les piaillements des bébés affolés.
La chose se dirigeait vers eux.
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