Lily enfonçait le bout rond d’une tige métallique dans une masse poilue, accroupie sur la route devant le magasin. « C’est quoi, ça ? » demanda-t-elle aux nombreuses araignées qui l’accompagnaient. Elles paraissaient aussi perplexes qu’elle.

 « C’est un gros rat ! avança To sur le dos de sa maman. Cette dernière lui fit comprendre que non. Mais, Lily partageait le même avis. Il lui manquait juste les pattes et le museau, après tout. Puis soudain la créature se mit à bouger ; son pelage ondula en courtes vaguelettes hypnotiques, et commença à lentement avancer, relâchant derrière elle une traînée baveuse de couleur arc-en-ciel. « Une limace ! s’écria Lily. C’est une grosse limace poilue !

 — C’est dégoûtant », dit No.

 L’homme s’accroupit à leurs côtés, les mains enfoncées dans ses manches. Il sentit les regards envieux des enfants se tourner vers lui. Ils n’avaient pas abandonné l’idée d’explorer ses vêtements ; seulement, ils ne tentaient rien tant qu’il restait éveillé.

 « Papa ! l’appela Lily. Tu sais c’est quoi, ça ?!

 — Une erreur, mon champignon. » Il enfouit une main dans sa chevelure blonde hirsute. Il était étonné de découvrir avec quelle facilité elle s’était adapté à ce nouveau monde. Il avait hérité d’un enfant solide. C’est certain. Elle sera capable de se débrouiller sans lui. Il le savait. Et cela le soulageait. « Tu as devant toi le fruit de l’union de deux existences, continua-t-il ; une de lumière, l’autre de chair. La vie s’est adaptée à son nouvel environnement. Le Cataclysme est notre nouveau monde, à présent.

 — C’est quoi le cataclysme ? le questionna-t-elle.

 — Un concept. Un nom. Une existence en colère ; torturée par le chagrin et la trahison. Aujourd’hui, il est plein de doutes, d’incompréhensions et de regrets. Il cherche à savoir qui il est vraiment. Ce n’est pas de sa faute s’il a avalé une partie de la planète. Il ne faut pas lui en vouloir. » Il tourna la tête vers la vitrine sous l’enseigne verdoyante de Ninil Mushroom. « Il semble s’être un peu calmé ces derniers temps. Peut-être a-t-il trouvé les réponses qu’il cherchait », termina-t-il, un sourire dans la voix.

 Ninil parcourait le magasin de long en large, houspillait les dormeuses et aidait ses employées à huit pattes à dresser correctement les fournitures sur les étagères. Elle s’arrêta pour lui faire un signe poli et retourna à son travail.