Chapitre 1 - Rentrée
Les vacances de Noël arrivent à leur terme. Demain, c’est la reprise des cours, et comme tout étudiant qui se respecte, je n'ai incroyablement pas envie de devoir me relever chaque matin, pour assister à huit heures de cours ennuyants à mourir. Mais d’un autre côté, je suis impatient de retrouver ma belle que je n’ai pas vu depuis deux semaines.
D’habitude, je passe d’agréables moments pendant les périodes de fête. Mais depuis ce week-end avec Laurène, je ressens comme un vide que je n’arrive pas à combler quand elle n’est pas près de moi. Ma mère a quand même réussi à m’enlever un peu de la tête ma chérie à certains moments. Depuis sa rencontre avec Laurène, nous nous sommes énormément rapprochés ma mère et moi. Elle doit se sentir coupable de ne pas avoir été la personne en qui je pouvais me confier.
Pendant les vacances, nous nous sommes envoyés beaucoup, beaucoup de messages avec Laurène. Comme quoi on s’ennuyait, qu’on souhaitait être l’un à côté de l’autre. Mais ces derniers jours, elle ne répond plus trop aux messages. Elle prend de plus en plus de temps à répondre, et elle est beaucoup moins expressive dans ses phrases. Elle était peut-être moins disponible, ou alors un petit coup de blues. Je compte bien la réconforter demain si c’est le cas.
Et puis, je retrouverai Aleksy aussi. Étrangement j'ai pas mal pensé à lui pendant ces vacances. J'ai l'impression que depuis la rentrée, non, surtout depuis ce rêve en particulier, j'ai comme une obsession pour lui. Bien sûr, c'est normal de penser à ses amis parfois, de se demander ce qu'ils sont en train de faire à l'instant T. Mais j'ai la sensation que c'est... différent. Et quand je n'arrive pas à mettre le doigt sur quelque chose, je n'arrive pas à me le sortir de l'esprit. Aleksy...
Je me perds dans mes pensées, et je tombe dans les bras de Morphée sans même m’en apercevoir.
Le réveil est compliqué, mais ma motivation est plus forte et je parviens à me lever plus tôt que d’habitude. Je fais mon petit rituel habituel de la matinée et je rejoins même ma mère au rez-de-chaussée pour prendre un déjeuner avec elle, ce qui la ravit.
La route menant à l’école passe très vite, j’ai sûrement marché beaucoup plus rapidement que d’habitude sans m’en rendre compte. Je rejoins mon groupe de potes et on discute de nos vacances respectives. J’observe du coin de l’œil le portail pour guetter l’arrivée de ma tendre. Mais la sonnerie du début des cours retentit, et je ne l’ai toujours pas aperçue. Inquiet, je lui envoie un message avant de rejoindre ma salle de classe.
Je m’assieds à ma place attitrée et je remarque que la chaise à côté de moi est également vide, Aleksy n’est pas là non plus. C’est bien ma veine aujourd’hui. Moi qui me faisais une joie de retrouver Laurène et de savoir comment les fêtes d’Aleksy s’étaient déroulées, je me retrouve qu’avec les points négatifs de cette rentrée de merde. Enfin, le professeur est en retard, c’est bien la seule bonne nouvelle de la matinée.
Je tire une tronche comme pas possible. Ma joue est totalement écrabouillée contre la paume de ma main, et je regarde à l’extérieur pour essayer de penser à autre chose. Mais j’entends des gloussements insupportables qui viennent de derrière et j’ai comme l’impression qu’ils me sont destinés.
Je me tourne et je vois Xavier et Cassandra pouffer de rire en me regardant. Je sais pas ce qu’ils me veulent mais aujourd’hui je n’aurai clairement pas la patience de supporter ça plus longtemps.
N : Quoi, vous avez un problème ?
X : Ouais, mec t’as l’air tout triste que ton pote le pédé soit pas là, c'est parce qu'il pourra pas t’enfiler aujourd’hui c'est ça ?
Ils explosent de rire comme s’ils venaient de sortir la plus grosse punchline de la décennie. Ils sont astronomiquement cons ceux-là, je n’arrive pas comprendre comment Aleksy peut les supporter. D’ailleurs, de qui ils parlent ? Ils seraient pas en train de parler d’Aleksy justement ?
N : Je comprends rien à vos conneries. Vous parlez de qui ?
X : De ta petite lopette de voisin de classe ! Lui et toi vous êtes pas qu’amis hein ? Vous vous faites des choses en cachette après les cours pas vrai ?
N : Mais t’as viré débile mec, tu nages en plein délire ! Je suis pas gay, j’ai une copine, et lui aussi il sort avec… l’autre là.
X : Ah nan j’ai un scoop pour toi, Cassandra elle sort plus avec ce pédé. Quand il s’est retrouvé à poil devant elle, sa queue elle est restée toute, toute petite. Il a même pas réussi à bander cette tarlouze.
N : Mais personne n'arriverait à bander devant Cassandra. Même la CPE, elle est plus bandante.
C’est sorti tout seul de ma bouche. Toute la classe me regarde avec des yeux ronds. Moi, Niels, l’illustre inconnu qui se dresse seul devant le clan qui "contrôle" la cour de récré. Je comprends que je viens de mettre le feu aux poudres, et que je vais sûrement m’attirer tout un tas de problèmes. Il manquait plus que ça.
C : T’as dit quoi sale petit puceau ?
N : En reformulant pour que tu comprennes mieux, je viens de dire que t’es une grosse crasseuse.
Celle-là aussi, elle est sortie toute seule, mais je la regrette pas une seule seconde. Et malheureusement pour elle, la fin de sa phrase est fausse maintenant. Xavier se lève de sa chaise et se dirige vers moi. Toute la classe appréhende ce qui est sur le point de se passer, mais bizarrement je n’ai pas peur. Il se tient là, juste à côté de moi, mais je ne le lâche pas du regard.
X : T’as pas l’air de comprendre ce que t’es en train de faire là ?
J’en ai ras-le-cul de le voir me menacer avec son petit air supérieur à deux balles. Lui et ses potes se prennent carrément pour des yakuzas, et ça me fout la haine. Je me lève également et je me positionne juste devant son visage, toujours en le fixant dans les yeux, histoire de bien le provoquer.
N : Ouais, je comprends parfaitement et tu comptes faire quoi ?
Au même moment Monsieur Brasseur, notre professeur d'histoire-géographie, rentre dans la classe et se précipite pour nous séparer. Lui aussi, doit bien regretter d’être rentré de vacances, je le plains de devoir gérer ça dès sa première heure de cours. Juste avant qu’il nous atteigne, j’envoie à Xavier un dernier petit pic.
N : Bah alors, qu’est-ce que t’attends ?
X : T’es dans la merde mec.
Le professeur emmène Xavier dans le bureau du directeur en le tenant par l’épaule. Tandis que moi je m’en sors indemne. Un peu de favoritisme, ça fait jamais de mal, l’avantage de ne jamais faire des siennes. Il n’avait qu’à pas s’attirer les foudres de tous les profs depuis le début de l’année aussi.
Le cours se finit relativement dans le calme. Je ne me retourne même pas pour voir si Cassandra m’observe. En fait plus précisément, j’en ai rien à foutre. Ce qui m’importe, c’est de sortir pour prendre des nouvelles d’Aleksy. Si tout le monde l’a abandonné, je m’inquiète de ce qui pourrait bien lui arriver.
Les minutes passent à une lenteur affolante. Je ne suis pas du tout attentif au cours, je regarde juste les aiguilles de l’horloge bouger lentement, lentement, lentement… Nan, je ne peux pas le supporter plus longtemps, il reste encore presque une heure de cours et je suis sur le point d’exploser tellement il y a de choses qui me passent par la tête.
N : Excusez-moi monsieur, est-ce que je peux aller aux toilettes s’il-vous-plaît ?
M. Brasseur : Non, vous attendrez la fin du cours comme tout le monde.
N : Je me sens pas bien depuis ce matin, et avec les épidémies qui trainent en ce moment…
M. Brasseur : Bon… dans ce cas-là ne trainez pas, et passez par l’infirmerie avant de revenir en cours.
N : Merci beaucoup monsieur.
Ma capacité à mentir a l’air de s’être bien améliorée, c’est passé comme une lettre à la poste. Je sors de la classe en me tenant le ventre, et je me dirige directement aux toilettes. Je m’enferme dans une cabine, et j’appelle illico presto le numéro d’Aleksy. Sur le répondeur, une fois, deux fois, trois fois, cinq fois, huit fois. La neuvième est la bonne. Il décroche et lâche un « oui » forcé et tremblotant. J’ai bien fait de persévérer.
N : Allô Aleksy ? T’es où ?
A : Nulle part… j’ai pas le moral pour venir en cours…
N : On peut discuter ? Dis-moi où t'es et je te rejoins.
A : Désolé Niels… j’ai envie de rester un peu seul…
N : Je t’en prie Aleksy, j’ai vraiment besoin de te voir. S’il-te-plaît…
A : Je… bon ok… mais juste toi alors.
N : Je te le promets ! Tu es où ?
A : Dans le parc municipal… sur le banc tout au fond.
N : Ok, j’arrive tout de suite.
A : T’es pas en cours ?
N : Si mais t’inquiètes, je me débrouille.
Je raccroche prestement. Je sors de la cabine et pose mon front sur le radiateur des toilettes. Avec la température qu’il fait dehors, le chauffage tourne à fond. Lorsque mon front est assez chaud, je me dirige vers l’infirmerie en feintant mon mal-être. L’infirmière en déduit que c'est peut-être un état grippal et me recommande de rentrer chez moi pour aujourd'hui. Elle appelle ma mère pour la prévenir mais elle n’a pas besoin de se déplacer, j’habite juste à côté. Je retourne chercher mes affaires et après avoir averti le professeur, je sors de l’établissement.
Je me dirige en courant vers le parc pour rejoindre Aleksy le plus vite possible. Je cherche dans tous les recoins ce fameux banc-tout-au-fond dont il m'avait parlé et je l'aperçois enfin, recroquevillé et totalement frigorifié.
N : Aleksy ! Tu vas attraper la crève !
A : M’en fous… ça n’a plus d’importance de toute façon.
N : Dis pas des trucs comme ça !
J’enlève ma veste et je la pose sur ses épaules. Une envie soudaine de le prendre dans mes bras pour le réchauffer me traverse l’esprit. Mais je n’y prête pas attention.
N : Dis-moi ce qui va pas.
A : Des gens ont parlé de moi à l’école ?
N : Ouais… Xavier et Cassandra.
A : Je m’en doutais…
N : Mais je leur en ai foutu plein la gueule à ces deux connards, je pouvais pas les laisser parler de toi comme ça.
A : Mais t’es fou ! Ils vont t’en faire voir de toutes les couleurs maintenant…
N : J’en ai strictement rien à foutre de ce qu’ils peuvent bien me faire.
A : Tu devrais pas…
Aleksy se replie sur lui-même. J’ai la mauvaise impression que quelque chose de vraiment pas cool lui est arrivé.
N : Ils t’ont fait quelque chose ?
A : Non rien…
N : Aleksy s’il-te-plaît t’as besoin de me parler, je vois clairement que tu ne vas pas bien...
A : Mes problèmes ce sont pas les tiens !
Je suis surpris de la manière dont il m'a répondu. Je n’arrive plus du tout à le reconnaître. Il a beaucoup changé depuis que je l’ai connu, et le voir sombrer comme ça me désespère.
N : Désolé Aleksy, je voulais pas te brusquer…
A : J’ai pas envie de te parler de moi ! Pourquoi on fait que parler de moi alors que personne ne parle de toi ? Niels, le garçon parfait, qui vit le grand amour avec sa copine, tout roule comme sur des roulettes pour toi donc tu ne trouvais plus d’intérêt à me parler.
C’est l’hôpital qui se fout de la charité. Depuis qu’il est avec cette grosse pouf de Cassandra, enfin était, c’est limite s’il m’ignore quand je lui adresse la parole. Et maintenant il me le reproche alors que j’étais le seul à essayer ? J’ai franchement les boules, mais Aleksy n’est pas dans son état normal. Ce n’est pas le moment de me prendre la tête avec lui, je dois aller dans son sens.
N : Désolé si c’est vraiment ce que tu as ressenti… J’aurais dû être là quand t’avais besoin de parler et je m’en excuse sincèrement.
Il ne me regarde même pas. Il a vraiment l’air remonté contre moi, mais je ne sais même pas pourquoi il m'en veut à ce point.
A : Mouais…
N : Écoute Aleksy… J’ai vraiment pas envie qu’on se brouille toi et moi. T’es vraiment quelqu’un d’important pour moi et je suis heureux de pouvoir être de nouveau avec toi alors qu’on s’était perdu de vue toutes ces années. Tu t'en rappelles, en primaire... Ça serait bien qu'on redevienne les mêmes amis qu'on était avant...
Aleksy se retourne et plonge son regard dans le mien. Je peux voir toutes ses émotions à travers ses yeux. Je ressens chez lui une grande tristesse, et un énorme besoin d’attention. J’entends mon cœur battre plus fort que la normale pendant un court laps de temps. Mais j’ai l’impression que ma dernière phrase ne lui convient pas totalement. Je dois me faire des idées. Il baisse les yeux, un peu honteux de la crise qu’il m’a faite juste avant.
A : T’as raison… Je suis idiot de te crier dessus alors que c’est toi qui est venu vers moi… Je suis vraiment qu’un con.
N : Nan Aleksy t’en fais pas... Parfois, on dit des choses sous le coup de la colère qu’on ne pense pas.
A : Ouais…
On reste silencieux pendant plusieurs minutes, à observer le seul petit bout de ciel qui arrive à s’infiltrer au milieu des nuages. Soudain, une idée de génie me traverse l’esprit pour rompre le silence et retrouver un peu de gaieté tout en se défoulant et en étant au chaud : le full package !
N : Dis Aleksy, ça te dirait de venir boxer un peu avec moi dans mon garage ?
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