Chapitre 6 - Adieux
N : Quoi ? Mais… c’est impossible ! Elle a été virée ?
M. Du Toit : Non, bien sûr que non ! Ce sont ses parents qui l’ont retirée…
En entendant ça, le monde s’écroule tout autour de moi. Pourquoi ? Pour quelle raison ? Plein d’hypothèses embrouillent mon esprit. Auraient-ils découvert notre relation ? Ça paraît excessif comme réaction... Où alors, il lui est arrivé quelque chose de grave ? Non pas ça, par pitié… C’est injuste ! Pourquoi ça nous arrive ? Pourquoi ça m’arrive ? J’avais enfin trouvé quelqu'un… Je n’ai pas le droit au bonheur ?
Je reste livide, prisonnier de mon esprit, pendant de longues secondes. Le professeur m’observe, inquiet de mon absence de réaction. Sa voix me libère de mes pensées un court instant.
M. Du Toit : Tout va bien, Niels ?
N : Je… oui, tout va bien. Je dois y aller. Au revoir.
M. Du Toit : Très bien… Bonne soirée, Niels.
Je sors du bâtiment en pressant le pas. J’ai besoin de prendre l’air, ou sinon je vais faire un malaise. Je m’assois sur un des bancs qui font face au lac du lycée. J’ai encore du mal à réaliser ce que je viens d’apprendre. J’ai besoin de savoir. Ça me tue de l’intérieur de n’être au courant de rien. J’attrape mon portable et je cherche Laurène dans mon répertoire, puis je l’appelle sans tarder.
Bip… Bip… Bip… Bip… Aucune réponse.
Je réessaie, encore et encore. Mais le téléphone reste muet. Personne au bout du fil, personne ne décroche. Je demeure là, impassible, scotché à mon téléphone en attendant qu’un miracle ne se produise. Mais les miracles n’existent pas, ou du moins pas pour moi. Pourtant, je ne lâche rien, je n’abandonne pas. Je continue à l’appeler sans relâche, sans même compter le nombre de fois.
Tout à coup, je sens une main se poser sur mon épaule. N’ayant entendu aucun bruit extérieur tant j’étais concentré sur cette foutue sonnerie, je sursaute. J’aperçois Aleksy à bout de souffle, et un peu en colère.
A : Je t’ai cherché de partout ! Qu’est-ce que…
Il s’arrête au milieu de sa phrase tout en me regardant. Soudain, je sens des larmes couler le long de mes joues, sans que je ne puisse les contrôler. Mes nerfs sont en train de lâcher, je n’arrive plus à garder mes émotions en moi. Il s’assoit à côté de moi et passe son bras par-dessus mes épaules.
A : Pardon Niels, je… Dis-moi ce qu’il y a.
N : C’est Laurène…
A : Il lui est arrivé quelque chose ?
N : Je sais pas… elle n’est plus inscrite au lycée et elle me répond plus…
Mon regard erre dans le vide, sans but. Aleksy se contente de me tapoter le haut du dos, sans dire quoi que ce soit, comme je l’avais fait pour lui. J’ai besoin d’encaisser le choc, je dois vider le trop-plein d’émotions dans lequel je suis en train de me noyer. Heureusement qu’il est là pour me réconforter, pour me dire que ça va aller, qu’on va trouver une solution. Au fond, je sais qu’il n’y en a pas, mais ça fait quand même du bien de l’entendre.
Je prends plusieurs minutes à retrouver ma lucidité. Dans ce genre de situation, je me suis toujours dit qu’il ne fallait pas paniquer, qu’il fallait réfléchir calmement et rationnellement. Bien sûr, c’est tout de suite moins facile quand ça nous arrive personnellement. Mais ça y est, je prends une grande inspiration et j’expire tout doucement, tout en faisant le vide dans ma tête.
N : Qu’est-ce que je peux bien faire pour la contacter si elle ne répond pas ?
A : On pourrait demander au secrétariat s’ils savent quelque chose ?
N : On ne devrait déjà plus être dans l’établissement à l’heure qu’il est…
A : Ah oui, merde, il est déjà presque 18h00… On devrait y aller avant de se faire choper, non ?
N : Ouais… Ça te dérange pas d’aller marcher un petit peu ?
A : Non, tu peux me demander ce que tu veux… enfin presque tout !
Je rigole à sa petite allusion et nous partons marcher dans le centre-ville. Celui-ci est presque désert, la neige et la basse température ayant incitées les gens à hiberner chacun dans leur foyer. Nous nous baladons, côte à côte, dans ce froid polaire, équipés de nos vêtements chauds, bravant le vent glacial qui fouette nos joues découvertes.
Je lui raconte mes récents doutes au sujet de Laurène, de nos brefs échanges par SMS et de ses réponses toujours floues. Il me fait part de son avis, de ses hypothèses qui sont faites pour me rassurer un tant soit peu. Nous essayons de trouver des solutions, mais celles-ci sont infructueuses. Le plus logique est d’attendre Lundi pour demander des précisions au secrétariat, et d’essayer de la contacter ce week-end par téléphone. Ça ne me satisfait pas, mais je ne peux pas vraiment y faire grand-chose.
Nous arrivons devant la maison d’Aleksy et nous devons nous séparer, à contrecœur pour ma part. J’aurais bien voulu rester un peu plus longtemps avec lui mais il se fait déjà tard et il part tout le week-end. Je vais me sentir bien seul durant ces deux prochains jours…
Je rentre dépité chez moi. Ma mère remarque mon air maussade et essaye de me tirer les vers du nez, mais je ne lâche aucune information. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai vraiment pas envie de lui parler de mes problèmes de cœur. Elle est au courant de ma relation et elle arriverait sûrement à trouver les mots justes à travers son œil d’adulte. Mais je n’en ai pas la moindre envie, c’est comme ça.
Elle abandonne et me dit qu’elle est là si j’ai besoin de parler. J’apprécie son geste et je n’y manquerai pas si j’en ressens vraiment le besoin. Je prends mon repas calmement avec elle, en parlant vaguement d’autres sujets, et je file directement dans ma chambre. Je glande toute la soirée dans mon lit, devant la télé, en zappant régulièrement tant les programmes proposés sont ennuyants. Sur le coup des 23h00, ne trouvant plus la moindre émission intéressante, j’éteins la télé et je m’endors non sans mal.
Au petit matin, je suis réveillé par les vibrations incessantes de mon téléphone. Je le prends en main. Il est 8h07 et je reçois un appel entrant de… Laurène ! Je décroche sans plus tarder.
N : Laurène ?
L : Allô Niels…
N : Enfin, tu te décides à me contacter ! J’ai essayé de t’appeler des centaines de fois, mais tu ne répondais jamais ! Je me suis fait un sang d’encre tout ce temps ! Et puis, j’ai appris par un professeur que tu t’étais désinscrite du lycée, c’est quoi ce bordel ?
Dans le feu de l’action, je me rends compte que je me suis énervé sans lui laisser le temps de parler. Ce n’est pas dans mes habitudes d’être impulsif comme ça, et je n’aime pas mettre les gens mal à l’aise ou leur faire de la peine.
N : Pardon Laurène de m’être énervé, mais je me suis vraiment inquiété toute la semaine, et surtout hier…
L : Je comprends Niels, je suis vraiment désolée de ne pas avoir donné de nouvelles ces derniers jours mais… justement, je dois en parler avec toi.
N : Eh bien… Vas-y, je t’écoute.
L : Non… J’aimerais en parler en tête à tête, et pas au téléphone.
N : Ah oui… Tu veux qu’on se retrouve quelque part ?
L : En fait… je suis déjà devant chez toi. Tu peux venir tout de suite ?
N : Euh… oui, j’arrive !
Elle raccroche. Je suis encore plus inquiet qu’hier, j’ai senti que sa voix était… froide ? Non, ce n’est pas ça, c’était plutôt… une sorte de malaise, comme si elle était sur le point de m’annoncer une très mauvaise nouvelle et qu’elle appréhendait ma réaction. Je n’aime pas ça du tout. Je m’habille précipitamment et je descends sans faire un bruit, ma mère étant toujours en train de dormir.
J’ouvre la porte mais je ne l’aperçois pas. A cette heure-ci, le soleil n’est pas encore complètement levé et la luminosité n’est pas top. Je m’avance jusqu’au portail et là, je l’aperçois, adossée au pilier en pierre. Je sors et, sans que je n’aie le temps de réagir, elle se jette dans mes bras et sur mes lèvres.
Mes sentiments sont contrastés à ce moment précis. Oui, je suis rassuré, elle m’aime toujours et je peux enfin la sentir à nouveau près de moi, ce doux contact qui m’avait tant manqué. Mais d’un autre côté, je sens un arrière-goût, comme un baiser d’adieu, quelque chose que j’ai du mal à exprimer.
Malgré cela, je me sors ces idées saugrenues de la tête et je profite de l’instant présent avec ma chérie. Nous nous embrassons pendant plusieurs minutes en nous serrant fort l’un contre l’autre, puis elle relâche l’étreinte. Elle affiche un visage coupable et marqué d’une grande fatigue. Mes doutes resurgissent instantanément.
L : On peut aller marcher un peu et se poser dans un endroit tranquille ?
N : Comme le parc, par exemple ?
L : Oui, c’est à ça que je pensais.
Nous marchons pendant un bon quart d’heure, main dans la main, mais silencieusement. Aucun de nous ne souhaite sortir le moindre mot, redoutant le moment fatidique. Nous arrivons au parc. Aucune âme ne l’arpente, nous sommes seuls. Nous nous asseyons quand même sur un banc un peu excentré, pour être tranquilles au cas où d’autres personnes venaient à peupler le parc. Nous demeurons muets pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce que je décide enfin de briser le silence.
N : Bébé… J’ai besoin que tu m’expliques…
L : Oui, je sais mon cœur, mais… c’est difficile de te le dire.
N : Tu m’inquiètes là…
L : Je suis désolée… mais j’ai peur de te blesser.
N : Je préfère que tu me le dises tout de suite, j’ai trop attendu…
L : Tu es sûr ?
Je lui réponds par un hochement de tête. Elle prend une grande inspiration et regarde droit devant elle. Elle évite tout contact visuel pour se donner du courage.
L : Si j’ai quitté le lycée, c’est parce que… je vais déménager.
Mon cœur se presse fortement dans ma poitrine. Je m’attendais à tout sauf à ça. Je ne l’avais pas envisagé une seule seconde et ça me fait un choc.
N : Loin ?
L : Oui… Plutôt oui…
N : Où ?
L : Aux Etats-Unis…
Mon cœur est tout proche de s’arrêter de battre. Ça veut dire que… je ne la reverrai plus ? Genre, plus jamais ? Ou alors seulement pendant les vacances d’été, ou dans plusieurs années ?
N : Et… quand ?
L : Je… je prends mon avion ce soir.
Une nouvelle de plus qui s’abat sur moi. Mon instinct ne m’avait pas trompé, c’était bien un baiser d’adieu tout à l’heure. Dans moins de 24 heures, mon amour sera à plusieurs milliers de kilomètres de moi, pour toujours. Cette fois-ci, c’est moi qui regarde tout droit, dans le vide. Ma gorge se noue et les mots ont de plus en plus de mal à sortir.
N : Mais… pourquoi ?
L : C’est mon père… Il a reçu une opportunité pour son travail qu’il ne pouvait pas refuser. Je te promets, j’ai tout fait pour le retenir, mais il a fait son choix et je ne peux rien y faire… J’aurais voulu… J’aurais voulu rester avec toi longtemps, pour toujours même, mais je suis obligée de les suivre et… j’aurais pu partir sans rien te dire, pour ne pas te faire souffrir, plus mais je ne pouvais pas… pas partir comme ça…
Ses sanglots l’empêchent de parler plus. Je la prends dans mes bras et je laisse échapper quelques larmes également. Au fond, je sens qu’elle aussi souffre, peut-être même plus que moi, puisqu’elle porte également le fardeau de la culpabilité. Mais elle n’y peut rien, et je ne veux pas lui en vouloir. Enfin si, je lui en veux quand même de ne pas m’en avoir parlé plus tôt. Je la laisse se calmer avant de reprendre la conversation.
N : Depuis quand est-ce que tu le sais ?
L : Niels…
N : J’ai besoin de savoir. J’aurais voulu être au courant et être là pour t’accompagner. Apprendre que demain, je ne te verrai plus, c’est… soudain, trop soudain. J’ai du mal à réaliser…
L : Je suis vraiment désolée Niels, j’ai tout fait de travers et je m’en veux énormément… Je t’ai menti pour cette semaine, je n’étais pas malade. Je préparais le déménagement avec mes parents et… plusieurs fois j’ai voulu te le dire, mais je n’ai jamais réussi à le faire. Et puis j’ai pensé à ce que ta mère m’a dit, et je me suis vraiment sentie mal…
N : Oui, je sentais bien que tu ne me disais pas tout, mais je ne m’attendais vraiment pas à ça… J’ai vraiment besoin de savoir Laurène, depuis quand tu le sais.
L : Je l’ai appris... la veille du week-end chez toi…
Mon sang ne fait qu’un tour. Donc nous sommes allés aussi loin alors qu’elle savait que ce n’était qu’une question de jours ? Elle m’a laissé m’accrocher à elle, en sachant pertinemment que ça ne durerait pas ? Au final, je n'étais rien d'autre qu'un plan cul pour elle ? Je me sens trahi, j’ai l’impression d’avoir été utilisé.
L : Je sais à quoi tu penses, mais c’est faux bébé ! Tout ce que je t’ai dit est vrai, tous mes sentiments sont vrais, je t’aime vraiment plus que tout au monde !
N : Alors pourquoi ! Pourquoi est-ce qu’on a couché ensemble, en sachant que ça ne nous ferait que plus de mal après ? Pourquoi tu ne me l’as pas dit tout de suite, pourquoi tu me l’as caché ?
L : Je… je suis désolée Niels, vraiment… J’étais tellement heureuse de passer ce week-end en amoureux avec toi que je ne voulais pas tout gâcher… J’ai été égoïste et je n’ai pas pensé aux conséquences… Mais je te jure Niels que je n’avais rien planifié, je n’étais pas venue pour le sexe, mais pour toi. Je t’aime comme une folle et ça m’a empêché de réfléchir. J’espère vraiment que tu ne le regrettes pas... Sache que tu es la première personne à qui je m'attache autant et je me rappelerai de toi toute ma vie.
Ma colère s’amenuise petit à petit. J’ai senti qu’elle était sincère dans ses mots, et je n’arrive pas à lui en vouloir. Je suis à la fois si heureux de l’entendre me dire ça, et à la fois si triste en réalisant que c’est fini entre nous.
N : Non, je ne regrette pas Laurène, et moi non plus je n’oublierai jamais. Mais je ne pense pas pouvoir aimer quelqu’un d'autre autant que toi…
L : Ne dis pas ça Niels, tu es quelqu’un d’exceptionnel alors ne t'interdis pas d'aimer.
N : Mais les autres ne m'intéressent pas Laurène, c'est juste toi...
L : Écoute... je pense que l’on ferait mieux de s’arrêter sur un bon souvenir. Je n’ai pas envie qu’on s’accroche à un rêve qu’on ne pourra sûrement jamais réaliser… Vivons notre vie à fond et si le destin fait que l’on se recroise un jour, alors peut-être… Mais je t’en prie, ne te prive pas à cause de moi.
N : Tu as sûrement raison… mais tu ne pourras pas m’empêcher de penser à toi tous les jours.
L : Oui je sais, ça sera sûrement pareil pour moi… Mais surtout, ne regrettons rien, tu me le promets ?
N : Promis…
Comme pour conclure notre pacte, nous joignons nos lèvres dans un ultime baiser au goût amer. Elle se lève et je la suis instinctivement, comme une âme en peine. Nous nous dirigeons vers l’arrêt de bus, au bout de la rue, et nous nous asseyons silencieusement sans échanger le moindre regard ou le moindre mot pour ne pas rendre la situation encore plus compliquée.
Nous n’avons pas à attendre bien longtemps puisque quelques minutes après, celui-ci arrive. Il annonce pour moi la fin d’un chapitre, certes court mais si intense et si ravageur. Nous échangeons un dernier regard, un dernier sourire, puis elle s’engouffre dans ce monstre de métal qui vient kidnapper ma bien-aimée.
Elle s’assoit contre la fenêtre, me regarde avec nostalgie, et dessine un petit cœur avec son doigt contre la vitre embuée par le froid. Au même moment, le bus démarre. J’ai la soudaine envie de tout plaquer, de la suivre jusqu’au bout du monde, de vivre notre amour jusqu’à notre mort. Trop tard, mes jambes sont crispées par toutes ces émotions et le bus est déjà loin. J’ai raté ma chance de revoir son doux visage, que je ne reverrai probablement jamais.
Adieu mon amour…
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